« Je n’ai naturellement aucune dette envers le Département de l’Isère. » C’est ce que nous a répondu Alain Carignon à propos d’une vieille ardoise autour de l’échangeur routier d’Alpexpo. C’est l’un des épisodes de la corruption mise en place par Carignon, alors président du Conseil général de l’Isère. Ce dernier a magouillé, de 1986 à 1989, pour le compte de son parti politique, le RPR, ancêtre des Républicains. Il sera jugé, avec son directeur général des services Xavier Péneau, pour plusieurs projets dont l’échangeur d’Alpexpo. « Xavier Péneau touchait l’argent de la main à la main de la part d’entrepreneurs du bâtiment et en reversait une partie à Alain Carignon qui en reversait, lui-même, une partie au RPR », expliquait Raymond Avrillier (ancien conseiller municipal de l’opposition à Grenoble) à 20 minutes (03/02/2011).
En 1999, un jugement du Tribunal de grande instance s’est saisi de ce cas concret. L’arnaque est simple. Un « contrat de concession » est réalisé pour l’échangeur d’Alpexpo entre la Sadi (l’aménageur du Département) et le Conseil général de l’Isère. Pour faire l’échangeur, la Sadi emprunte l’équivalent de 16 millions d’euros, par l’intermédiaire de Rhoddlams, une société amie de Carignon, qui prend une belle commission de 2%, ce qui représente 370 000 euros.
« Le recours à cet intermédiaire était inutile », si ce n’est à enrichir le RPR et Carignon, estime le Tribunal, qui condamne Carignon à 18 mois ferme, et une amende de 80 000 francs (12 000 euros). Auxquels s’ajoute la condamnation par la Cour des comptes, qui en 2004 réclame une amende de 25 000 euros pour Carignon et 15 000 pour Péneau. En sus, la Cour demande un remboursement de 250 000 euros (l’estimation du préjudice) pour le Département. Ce n’est qu’après le jugement en appel, rendu en avril 2009, que les deux lascars sont condamnés définitivement et commencent à payer leur amende. Mais les deux font de la résistance pour le remboursement des 250 patates.
Xavier Péneau comme Alain Carignon bénéficient d’un soutien de poids en 2010. Ils sont tous les deux proches du président de la République, Nicolas Sarkozy – Carignon parce qu’il le conseille, Péneau parce qu’il est haut fonctionnaire. Ce dernier va même recevoir la légion d’honneur des mains de Sarko.
De son côté, André Vallini (président PS du département) demande à récupérer l’argent. Mais il se rend compte que le duo Péneau-Carignon a déposé une demande de remise gracieuse auprès du ministre du budget. Xavier Péneau tente aussi d’attendrir André Vallini « en expliquant qu’il a trois enfants et pas un sou vaillant », selon Le Canard enchaîné (24/02/2010). Les caciques de l’UMP s’agitent dans leur coin. Brice Hortefeux, ami de Carignon, tente d’intercéder en glissant à André Vallini : « Dans pareils cas, toutes les collectivités ont accordé une remise gracieuse. »
Même Jack Lang glisse un mot au président du Département, expliquant que Carignon « est un ministre qui a fait du bon boulot » toujours selon Le Canard enchaîné.
Qu’importe, en février 2011, le ministre du budget rejette cette demande de remise. Péneau et Carignon doivent payer 253 126,36 euros, assortis de 51 000 euros d’intérêts (depuis 2004, le temps se fait long). Alors, ont-ils casqué ?
En 2020, on a tenté d’avoir le fin mot de l’histoire. La com’ du Département refuse de répondre, ce qui est en soi scandaleux. Des sources internes affirment que Carignon « aurait » payé l’amende, et « aurait » remboursé la collectivité. Raymond Avrillier le pense aussi, même si notre question « lui met le doute ». Carignon répond par messages lapidaires, sans aucun document confirmant son paiement, répétant dans un deuxième message qu’il n’a « naturellement » aucune dette envers le Département de l’Isère. Et nous n’avons « naturellement » aucune confiance dans les affirmations d’Alain Carignon. Si quelqu’un parmi ses amis tombe sur un reçu, merci de nous le faire parvenir : c’est au croyant de prouver que Dieu existe, pas au sceptique de prouver le contraire.