Accueil > Décembre 2012 / N°18

Dans le massif de belledonne et dans la vallée de la romanche

Vends biodiversité pour grands chantiers

Il se forme ces temps-ci dans les Alpes un véritable marché de l’hectare de réserve naturelle, permettant aux différents géants du bulldozer de s’échanger des coins de forêts pour pouvoir en dévaster d’autres, selon la logique suivante : je vous coupe une main, mais je vous en restitue immédiatement une autre semblable, dans le dos : ainsi, vous êtes contents, vous n’êtes pas lésés. La technocratie dénomme cette nouvelle mode « les mesures de compensation de biodiversité  ».
Le Postillon vous propose deux balades - la première à Combe Madame, au cœur du massif de Belledonne, et dans la vallée de la Romanche – pour comprendre comment le géant électricien EDF tente de rentabiliser des zones montagnardes inutilisées en les transformant en « réservoirs de biodiversité  ».

Imaginez une vallée montagnarde de plus de 1300 hectares située à quelques dizaines de kilomètres de Grenoble où il n’y a rien. Des chamois, des bouquetins, des pierriers, des alpages, une forêt. Rien.
Cette vallée, dont le départ se situe à quinze kilomètres d’Allevard, s’appelle Combe Madame. Elle est connue seulement de quelques randonneurs, skieurs de randonnée ou chasseurs. Certains racontent que l’endroit doit son nom aux caprices d’une grande dame des temps anciens, qui aimait s’y faire transporter en chaise à porteurs. Le lieu possède en effet un certain charme, sauvage, avec un ruisseau fougueux, de la forêt, quelques pentes herbeuses ou parsemées de rhododendrons et de myrtilliers. Et des cailloux. Beaucoup. Énormément. Des immenses tas de cailloux qui s’étirent des sommets aux abords du ruisseau et qui révèlent l’une des conséquences les plus visibles du réchauffement climatique, à savoir la fonte des glaciers et leur remplacement par d’austères moraines. Un ancien berger racontait qu’il y a cinquante ans, dans Combe Madame, il y avait un glacier qui descendait jusqu’à 2300 mètres et qui recouvrait tout le haut de la combe (jusqu’à 2900 mètres). Aujourd’hui, il n’en reste plus que quelques pitoyables bouts, rétrécissant d’année en année.
Il se trouve qu’ EDF est propriétaire de ce morceau de montagne. De l’eau coulant ici en grande quantité, le géant électricien a imaginé un jour pouvoir l’exploiter. Tout près, de l’autre côté des crêtes du Mouchillon, aux Sept-Laux (il s’agit des lacs et non pas de la station de ski), EDF a fait des barrages et tire profit de la ressource hydraulique présente en abondance dans ce massif de Belledonne.

Mais Combe Madame, EDF n’en a jamais rien fait. Au début de son expansion, la station de ski des Sept-Laux avait pensé s’agrandir dans ces pentes idéales pour le ski en construisant une remontée mécanique jusqu’au sommet du Rocher Blanc. Finalement, ce projet mégalo a été abandonné et la vallée n’est aujourd’hui pas véritablement exploitée.
Au milieu de la combe, il y a un petit refuge, ouvert l’été et dont la vingtaine de places est rarement occupée. En juillet et août, un berger y loge et tente de faire pâturer un petit millier de brebis dans les raides pentes parsemées de cailloux. Voilà à peu près toute l’activité économique présente dans cette vallée, qui, à la différence d’autres endroits de Belledonne (les Sept-Laux, le lac du Crozet, les vallons de la Pra), n’est jamais présente sur les cartes postales vendues dans les magasins de souvenirs du coin.

Pour Combe Madame, cette « inutilité » économique est bientôt terminée. Car EDF a enfin trouvé comment exploiter ce site. Cette vallée va lui permettre de devenir « opérateur de compensation de biodiversité ». Non, ce n’est pas une blague, ni un terme de novlangue tiré d’Orwell. Le site L’Usine Nouvelle (14/06/2012) développe le concept : « EDF vient d’être sélectionné par le ministère de l’Écologie pour devenir opérateur de compensation de biodiversité. Cela consiste, pour l’électricien, à mettre à disposition 1200 hectares lui appartenant en Isère. Ce terrain servira aux maîtres d’ouvrage de la région à compenser l’impact de leurs travaux d’aménagement (ferroviaire, urbanisation...) sur les milieux naturels, comme la loi les y oblige. Ils paieront ainsi EDF pour que cette dernière, via des ONG, réhabilite la faune et la flore alpine considérées comme remarquables. L’électricien s’en servira aussi pour atténuer sa propre empreinte écologique. Cette expérimentation, qui devrait durer huit ans, fait partie des outils de compensation actuellement en test  ».
Il s’agit du principe des «  permis de pollution », issus du protocole de Kyoto. Concrètement, une entreprise ayant saccagé tant d’hectares pour réaliser tel chantier pourra se « racheter écologiquement » en finançant EDF pour qu’elle entretienne la biodiversité dans tant d’hectares de la Combe Madame. Et EDF elle-même pourra compenser ses chantiers ravageurs en arguant de son action à Combe Madame.

Cela vous paraît relever d’un cynisme effarant ? C’est pourtant la réalité.
Selon un document de présentation de «  l’opération expérimentale d’offre de compensation de la Combe Madame » [1] , EDF entend valoriser la biodiversité dans Combe Madame par plusieurs opérations : en faisant de la « gestion forestière intégrée », en mettant en place une « ouverture mécanique des milieux » (c’est-à-dire en coupant des arbres), en créant une mare et en entretenant celle déjà existante. Il reste encore « à étudier  » des « mise à défens  », c’est-à-dire interdire l’accès à certains endroits aux randonneurs.
Une fois ces opérations menées, EDF proposerait «  à la vente » trois «  types d’unités » : des « milieux ouverts », des « milieux humides  » et des «  milieux forestiers  ». Un des grands axes de communication serait que certains endroits de la combe sont particulièrement propices à la reproduction et au développement du tétras-lyre (autrement appelé « petit coq de bruyère  »), espèce d’oiseau sédentaire emblématique des Alpes.
Voilà comment, après quelques opérations et beaucoup de communication, cette vallée complètement inutile et non rentable, servira « pour compenser les travaux d’EDF sur ses ouvrages hydroélectriques et pour répondre aux besoins de compensation d’autres projets d’aménagements spécifiques à la région (développement des stations de sports d’hiver, projets d’urbanisation, projets ferroviaires…) ».

Imaginez : la station des Sept-Laux décide de s’agrandir par une remontée mécanique sur le Pic de la Belle étoile, et de faire fuir un peu plus loin les nombreux chamois et bouquetins présents sur le secteur ? La SEMT7L, propriétaire de la station, pourra racheter à EDF quelques hectares de forêt bien gérée à Combe Madame et se faire pardonner la gêne occasionnée.
La communauté de communes du Grésivaudan engage un programme d’urbanisation totale de la vallée, en préemptant les derniers espaces agricoles, tout ça afin que le Sillon Alpin soit « compétitif au niveau européen » ? En échange de la bétonisation des marais et de la transformation des vergers en parking, la collectivité pourra, pour sa bonne conscience environnementale, acheter à EDF quelques hectares de rhododendrons préservés dans Combe Madame.
La future ligne TGV Lyon-Turin, son méga-tunnel entre la Maurienne et le Val de Suse, et ses plus petits tunnels sous Belledonne et la Chartreuse, vont bouleverser des zones classées Natura 2000 ? Pas de problème : en échange, l’Etat français donnera à EDF quelques sous pour qu’il s’assure de la bonne santé des deux mares de Combe Madame.

Cela fait plusieurs années que différents élus du massif de Belledonne se réunissent dans une structure dénommée « Espace Belledonne » afin de «  promouvoir le développement des communes de Belledonne  ». Leur principal but est de réussir à créer un Parc naturel régional pour le massif afin de répondre à leur «  besoin de reconnaissance », de permettre «  la valorisation des richesses naturelles et culturelles », et de prendre acte de « la nécessité d’être organisés pour renforcer l’efficacité de nos actions collectives ».
Il s’agit donc de créer une structure technocratique afin de rendre valorisable ce massif de Belledonne, « la belle dame », qui ne sert plus à grand chose économiquement parlant depuis la fin des âges d’or de l’exploitation du fer puis de l’hydroélectricité. Comme si les charmes de ce massif, ses lacs, ses pâturages, ses hauts sommets, ses longues vallées souvent enveloppées de brouillard, ne comptaient plus pour rien, dans un monde où tout doit être rentable.
Les parcs naturels comme les mesures de compensation de biodiversité relèvent d’une logique où la règle est la destruction de l’environnement, et la préservation une exception. Leur philosophie peut se résumer ainsi : sur-protéger quelques endroits par des usines à gaz technocratiques pour mieux pourrir tout le reste.


Le refuge de Combe Madame


À quelques encablures de Combe Madame, au sud du massif de Belledonne, voilà longtemps que les vallées du Drac et de la Romanche n’ont plus grand chose de sauvage : cela fait un bon siècle que le développement hydro-électrique a transformé ce coin des Alpes en usines à watts. L’eau et la pente étaient les ingrédients nécessaire à l’alchimie de la « houille blanche », ce mythe fondateur de l’industrie locale [2] .

Cet été, à l’occasion de l’anniversaire du barrage du Monteynard, EDF se payait un supplément de huit pages dans Le Daubé, un publi-rédactionnel intitulé «  Le géant du Drac a 50 ans » (04/07/2012). Des cadres EDF de tout poil, quelques élus de bas étage et un message simple : les grands barrages, c’est bon pour nous. Tout ce petit monde est content, puisque tout ce petit monde est d’accord - magie de la communication - pour nous refaire le plaidoyer de l’orgie énergétique. Un siècle après les débuts de la houille blanche, et moins de deux ans après l’accident nucléaire de Fukushima, l’industrie de l’énergie est toujours un secteur-clé dans la région. Pas si loin de notre bonne vieille cuvette, au fond des vallées, la production électrique continue de faire la pluie et le beau temps.

En la matière, toute communication est désormais pensée en fonction d’un principe unique : l’augmentation de la consommation électrique, principe tenu pour inexorable, voire naturel. En 1948, date à laquelle est créée EDF et où commencent les travaux du barrage du Monteynard (qui remplace une centrale plus petite), ce sont déjà des moyens pharaoniques qui sont mis en œuvre pour «  répondre à la forte demande en énergie ». Ses turbines ont une puissance de 360 mégawatts, soit, nous dit-on, «  l’équivalent de la consommation d’une ville de 200 000 habitants ». Mais derrière ce slogan, il y a une réalité moins reluisante : la région pullule d’entreprises qui sont de véritables gouffres à mégawatts. Cette logique nous amène, cinquante ans après la mise en service des turbines du «  géant du Drac  », à remettre le couvert pour répondre, encore, à une «  forte demande  ».

Cette fois, c’est à Livet-et-Gavet que «  les grands travaux sont lancés  » (Le Daubé, 01/06/12). Cette commune, située le long de la Romanche sur la route de l’Oisans, était devenue au début du XXème siècle une colonie industrielle dédiée à la production d’énergie hydro-électrique. Ses six centrales servaient, à l’époque de l’épopée de la « houille blanche  », c’est-à-dire de l’énergie hydraulique (aujourd’hui on dirait « charbon durable »), à faire tourner à plein régime les aciéries du saint-patron local, Charles-Albert Keller (1874-1940), fournisseur officiel d’obus en tous genres en temps de guerre, et promoteur acharné de l’électrification en temps de paix. Par la suite, les centrales de la vallée de la Romanche ont contribué à fournir du jus aux industries les plus polluantes et les plus énergivores - l’aluminium notamment - pour des groupes comme Péchiney, qui sont aujourd’hui partis polluer ailleurs pour moins cher. Après ça, on aurait cru que les rois du pétrole potable en avaient terminé avec la vallée, mais non : ils en remettent une couche.
Le projet « Nouvelle Romanche  », dont la phase de travaux a débuté cette année, prévoit la construction d’une centrale hydro-électrique unique en remplacement des six centrales actuelles, afin de « produire 30% d’électricité supplémentaire ». Au programme : le terrassement pour détourner la rivière, le creusement par deux tunneliers de la conduite forcée de 9,3 km, et la création à l’explosif de deux cavernes artificielles sous la montagne, où sera installée l’usine. D’après EDF et ses communicants, la centrale souterraine, dont la construction coûtera seulement 250 millions d’euros, sera bien sûr porteuse de tous les bienfaits : emploi, énergie et surtout écologie. Nous sommes sauvés !

Emploi, car EDF prévoit d’embaucher quelques chômeurs le temps des travaux. Le chantage à l’emploi est un classique de la communication des grands projets d’infrastructures, qui a généralement pour effet de faire applaudir mécaniquement, de gauche à droite, les partisans du redressement productif. Bravo, mais la réalité dans ces grands travaux d’infrastructure, confiés à des groupes comme Vinci, c’est que la main d’œuvre est réduite au maximum, sous contrats précaires, et parquée dans des villages en algeco fonctionnant en vase clos. Et combien d’emplois resteront après la mise en service du barrage ? Au Monteynard, tenez-vous bien, ils sont sept techniciens : tout est automatisé (Le Daubé 04/07/2012 et 26/07/2012). « La présence de ces personnes aura forcément des retombées sur le commerce local »... Oui, forcément.

Mais tout ça n’est rien à côté de la manne énergétique que représentera la centrale, à partir de 2017 : 560 millions de kilowatts-heure, soit... «  la consommation d’une ville de 60 000 habitants  ». Là encore, quelle manière habile de présenter les choses : est-ce que quelqu’un a prévu de créer une ville de 60 000 habitants dans le secteur ? Ou bien la construction de centrales encore plus grandes est-elle la réponse à l’augmentation de la consommation électrique, en particulier de notre industrie régionale ?

Qui passe aujourd’hui près des travaux à Livet peut contempler un paysage lunaire, où rien ne bouge à part des engins de chantier : « On brasse du cube  », dit un contremaître au Daubé (01/06/2012), laissant supposer la haute conscience environnementale qui anime les entreprises qui mènent les travaux (comme Vinci, par exemple). Mais au rayon écologie du service com’ d’EDF, on retrouve toute la panoplie des arguments durables, du genre : le barrage sera équipé d’une passe à poissons. Bel effort. Mais il ne faut tout de même pas s’attendre à retrouver un coin sauvage, vu que la vallée a été consciencieusement polluée par la métallurgie depuis un siècle, grâce à l’énergie hydro-électrique, et qu’EDF compte encore extraire 310 000 m3 de déblais, qu’il faudra bien mettre quelque part.

Plus étonnant, le maître d’ouvrage prévoit «  la mise en œuvre de mesures compensatoires » [3] , dont l’ambition est de «  garantir le niveau global de biodiversité ». Et en quoi cela consiste-t-il ? Eh bien on commence par détruire des espaces naturels, des bois à Gavet par exemple, avec toutes les autorisations préfectorales nécessaires. Pour compenser ces destructions, EDF va mettre en « gestion conservatoire de la biodiversité  » Cinquante-sept hectares pendant quinze ans, ailleurs. Au delà de cette belle formule technocratique, nous avons essayé de comprendre sur le terrain en quoi consistait la démarche compensatoire.

Toujours d’après la com’ d’EDF, la plupart des terrains destinés à devenir des réservoirs de « biodiversité » est située dans la même vallée, en aval, juste en face des fameuses ruines de Séchilienne, au lieu-dit l’Ile Falcon. Les ruines, c’est ce bout de montagne qui menace de s’effondrer, formant un barrage naturel, qui aurait ensuite rompu sous la pression de l’eau. Et l’Ile Falcon, c’est ce hameau dans la plaine, qui a été entièrement exproprié par la préfecture ces dix dernières années.
En 1997, le hameau comptait 90 maisons et 300 habitants, mais à l’époque, les études prédisaient une véritable catastrophe en cas d’éboulement. Il faut savoir que tout le problème de Séchilienne, c’est ce qu’il y a en dessous : le pôle chimique, qui exposerait la population des vallées avoisinantes à des pépins sérieux en cas d’inondation. On pataugerait dans le gaz moutarde [4] jusque dans le bureau du préfet si ça devait arriver. On a donc creusé par prévention un tunnel d’écoulement qui ressort juste derrière le hameau, et on a exproprié toute la zone depuis 1997. Aujourd’hui, c’est un petit désert de 115 hectares, qui garde les traces des maisons et des fermes détruites. Mais finalement, d’après les études récentes et officielles, l’éboulement ne sera pas aussi important que prévu, et il n’y aura pas d’inondation importante [5] . Trop tard pour les habitants du coin ... mais tout cela n’est pas perdu pour tout le monde, puisque EDF va maintenant pouvoir « gérer » cet espace « compensatoire  ».
Au milieu de ce no man’s land, nous avons rencontré Roger. La pelle à la main, il se présente comme « voleur de fumier », en riant. Les terrains sous nos pieds étaient à sa famille. À propos des expulsions pour raison de sécurité, il répond du tac-au-tac : «  De la poudre aux yeux. Je leur ai demandé moi : pourquoi vous la faites pas tomber la montagne ? Personne a répondu, parce que s’ils la font tomber ils sont responsables, tandis que si elle tombe toute seule, c’est catastrophe naturelle, donc ils en ont rien à foutre : c’est l’État qui paye. EDF s’est tout accaparé, et tout ce qui l’emmerdait, maintenant elle l’a vendu ».
Au bout de l’Ile se trouve une centrale électrique, qui fonctionne avec l’eau du lac Mort, au dessus. Elle aurait été revendue à des sociétés privées. Ce bâtiment, lui, est resté intact, et il y a même des travaux en cours pour rénover la conduite forcée, et une ligne électrique toute neuve. « Il y a eu un blessé grave sur le chantier cette année. Donc, là-bas c’est pas foutu. Ici ils veulent raser pour faire quelque chose pour eux-mêmes, ils ne veulent plus de maisons ici. Les premiers sont partis il y a dix ans. Mais les derniers ... J’avais un collègue qui est décédé maintenant, M. Paul Pontonnier, c’est lui qui a construit sa baraque et tout, fallait pas venir le toucher. S’ils venaient le toucher ils les dessoudait, hein. Lui il avait le fusil à portée de main. Mais le pauvre il a eu une attaque et il s’est retrouvé à l’hôpital, donc ils en ont profité. Il y avait 90 maisons ! Et de ce côté c’était que des vieilles fermes, je venais chercher des bêtes, j’étais boucher, et ça allait jusqu’à la centrale. Ah y avait du monde, hein.

  • Et alors il y en a combien qui sont restés jusqu’au bout ?
  • Quatre, qui ont été vraiment tenaces pendant presque deux ans. Le préfet c’était celui qui était un peu barjo, là, l’ancien militaire ... 
  • Le Douaron ?  
  • Oui, ça a pas discuté avec lui ».
    La dernière famille a vu arriver les CRS un matin, et leur maison a été détruite.
    Au milieu du désert, on croise quelques bêtes, des ânes et des moutons squatteurs, derniers irréductibles qui doivent bientôt laisser la place à la nature selon la définition d’EDF. Quand on demande à Roger s’il a entendu parler des projets pour la zone il répond : «  Ils vont monter une machine à concasser les pierres, pour construire une nouvelle déviation de la route ». Comme tout ça ne colle pas vraiment avec la biodiversité, nous lui parlons du lien avec le chantier de barrage, et des mesures compensatoires : « l’usine qu’ils montent à Gavet, c’est pas une plume. Mais ici l’EDF, elle a tous les droits  ». Il crache dans ses paumes, et puis s’appuie sur le manche de sa pelle. Plus loin, un groupe d’étudiants en visite observe studieusement les ruines de la montagne, tournant le dos à celles de l’Ile. Bientôt ici, une nouvelle réserve naturelle, créée de toutes pièces à la place d’un village, et qui n’est rien d’autre qu’un permis de polluer ailleurs.

Nucléaire, hydraulique : une seule logique

Ce qui est frappant avec l’industrie énergétique, c’est à quel point il semblerait que le monde lui appartienne déjà en totalité. Ainsi, vous serez heureux d’apprendre, dans un article vantant les mérites de l’hydro-électricité (Le Daubé 04/07/2012), que lorsque les centrales nucléaires, par leurs rejets « d’eau propre », réchauffent le Rhône outre mesure, des techniciens ouvrent le barrage du Monteynard depuis leur salle de contrôle à Lyon, et utilisent les eaux du Drac pour le refroidir. Bouton rouge, bouton bleu, et tout va pour le mieux.
On pourra toujours arguer que l’hydraulique, au regard du nucléaire, c’est moins crade, et cinq fois moins cher (le kilowatt-heure hydraulique coûte environ 10 euros, le nucléaire 50). Mais en réalité, tous les modèles de production sont interconnectés, interdépendants, et les grands groupes du BTP qui construisent les barrages et les réacteurs sont les mêmes. La vraie question n’est pas comment produire l’électricité, mais qui la consomme, en quelle proportion et pour quoi faire.
Pour fabriquer une puce de téléphone portable, il fallait plus d’électricité que n’en consommait une personne en un an ; sauf que cette personne a maintenant un deuxième cellulaire, deux pc, un climatiseur, voudra bientôt une voiture électrique, et se rendre partout en deux heures de TGV. On aura beau faire mine de croire aux décors publicitaires, que tout cela est bon pour nous, pour nos enfants, pour la « nature », l’emploi, le tourisme, il reste un fait : plus notre dépendance à l’industrie énergétique augmente, plus la surexploitation de l’environnement progresse, et moins notre faculté de décider s’exerce.

Notes

[2Voir notamment Le Postillon n°11 et Le mythe noir de la houille blanche sur
www.piecesetmaindoeuvre.com.

[3Dossier de presse EDF « Nouvel aménagement hydroélectrique Romanche-Gavet », avril 2012.

[4L’entreprise Perstorp utilise à Pont-de-Claix du phosgène, le même gaz qu’en 1914 on appelait le gaz moutarde, utilisé comme arme chimique dans les tranchées.