L’administration pénitentiaire à l’offensive
Varces Attaque
Pressions, représailles, crainte de perdre sa place : critiquer une institution expose à des risques. Imaginez en prison ! Dans la maison d’arrêt de Varces, où les salariés étaient moins de 150 et les détenus près de 350 avant le confinement, tout se sait très vite. La direction et les surveillants peuvent à tout moment faire pleuvoir coups et sanctions arbitraires. Alors qu’à l’automne dernier, 16 détenus et ex-détenus ont déposé un recours contre l’insalubrité et l’indignité des conditions de détention, des prisonniers témoignent des violences et abus de pouvoir subis entre les murs, décidément trop épais.
Valérie Mousseeff adore la randonnée : dans son bureau, une carte en relief lui rappelle son « TMB » (tour du Mont-Blanc sous tente). Pendant le confinement, comme Booba, Benzema et Yannick Noah auparavant, la cheffe d’établissement participe à une émission destinée aux personnes détenues sur la chaîne LCP, le 10 avril. « Il y a une vraie similitude à mon sens entre la montagne et la détention. La détention c’est être confronté à des épreuves, se surpasser. À chaque fois, l’aventure est unique, le chemin vers la liberté aussi, mais on en ressort souvent plus fort et grandi. C’est un peu le sens des missions des [agents] pénitentiaires aujourd’hui, qui sont près des détenus, ne les ont pas abandonnés, sont présents et les accompagnent doucement vers ce sommet. »
La détention n’a pourtant rien d’une promenade de santé. Des détenus et leurs proches rapportent de plus en plus de comportements abusifs de la part des surveillants depuis près de deux ans. Le 10 juin prochain, le surveillant NG passera en procès pour trafic de portables en détention avec deux de ses collègues, dont un, PS, déjà condamné en automne dernier. Sorti en janvier, Rémi m’apprend que les marges de ce trafic étaient considérables : entre 1 500 et 2 000 euros mensuels par surveillant. Pendant deux ou trois ans, ils proposaient un téléphone à chaque nouvel arrivant, 500 ou 600 euros pièce. Les portables rentrés par les parloirs ou par dessus le mur (et donc sans eux) étaient systématiquement confisqués. « Je les ai vus ramener des sacs-cabas avec quinze téléphones portables neufs, dans la boîte de chez Carrefour. Les gars sont là, ils travaillent pour le gouvernement, l’État, et ils se permettent de s’enrichir sur notre dos. »
Selon les témoignages recueillis auprès de lui et d’autres, ces « pratiques » ne s’arrêtent pas là. Comme dans bien des prisons, humiliations, menaces et insultes sont quotidiennes. Rémi m’expose : « J’ai fait huit années de prison. Saint-Quentin [Fallavier], Aiton… Jamais eu de problèmes comme ça. À Varces avant, les surveillants c’était des pères de famille, la quarantaine, il y avait un dialogue possible, un respect mutuel. Il y avait toujours deux trois abrutis bien sûr, mais y avait au moins deux ou trois bons surveillants. La nouvelle génération là, ils ont plus aucun respect, ils nous parlent mal... Moi j’ai 35 ans : ils sont de dix ans plus jeunes que moi. Je leur disais “vous avez pas honte de parler comme ça ?”. En fait ils ont le pouvoir et ils nous traitent comme de la merde. Ils y vont toujours de force et machin, et on rentre dedans, et on met au mitard [à l’isolement en quartier disciplinaire]. C’est dommage, beaucoup de gens de mon âge sont là pour faire leur peine sans rentrer dans un jeu vicieux. »
Tous les rapports publiés sur la maison d’arrêt depuis onze ans font état de nombreux surveillants à peine sortis d’école, en grande difficulté pour assurer les tâches qui leur sont confiées. Pour cause : chaque année, au moment des vœux d’affectation, la taule est désertée par les surveillants suffisamment avancés dans leurs carrières. En 2016, la contrôleuse générale des prisons indiquait 23 % de stagiaires sur l’effectif total de l’établissement. Contacté par téléphone, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lyon, qui a autorité sur l’établissement, n’a jamais pu nous communiquer le chiffre actuel.
Des jeunots en début de vingtaine occupent donc systématiquement les postes en contact direct et quotidien avec les prisonniers. À l’intérieur, l’un d’eux affirme : « C’est eux les pires ! On dirait qu’ils sont investis d’une mission. Ils te disent “je vais rentrer [dans ta cellule] et me venger”. Ils doivent penser “peut-être que dehors c’est un voyou, mais ici c’est moi qui commande : j’ai le manche [de la matraque]”. »
Même son de tôle chez Hafed (pseudo), peu de temps après sa sortie. À son arrivée, un surveillant connu dans une autre prison le prévient : « Fais attention, c’est vraiment space ici. » Mais les insultes et coups bas ne viennent pas seulement de stagiaires. « Jamais vu ça ! Même les premiers surveillants [premiers gradés dans la hiérarchie pénitentiaire] ils utilisent les mêmes insultes que les détenus. “Ferme ta gueule espèce de mangeur de gamelle, tu sors même pas en promenade tellement t’es triqué, allez reste dans ta cellule”. Et ça, il va le dire bien fort devant tout le monde. T’imagines la tête du détenu ? Même pour aller à l’infirmerie il osera plus passer dans le couloir. Jusqu’à ce que le mec pète les plombs : ils vont en avoir marre de l’entendre crier, ils vont rentrer et le cabosser, tout simplement. » C’est également par les premiers surveillants que sont couvertes certaines violences entre détenus. « Ils s’entendent super bien avec les deux trois détenus qui tiennent un peu la promenade. J’en ai entendu un dire “je m’en fous des bagarres, juste : j’veux pas d’hôpital.” »
Hafed me raconte son arrivée, placé dans une cellule à l’évier bouché, « des trous à la fenêtre, trois boules de pétanque elles rentrent » et des toilettes noires de crasse. Après deux semaines à « péter les plombs » tous les jours, il est finalement autorisé à voir des surveillants. « Je toque normalement, j’ouvre la porte, j’en vois un les pieds sur la table, l’autre en train de manger, le dernier les pieds sur la chaise. Je dis poliment “bonjour, c’est pour un changement de cellule”, et là ils me crient dessus sans raison “tu fais quoi là, tu vois pas que tu nous fais chier ? Ferme-moi c’te porte, ça fait courant d’air”. Si les chefs sont comme ça, alors les surveillants je te dis pas. »
Questionnée sur son personnel, l’adjointe à la direction, Mathilde Gaillard-Lamberet, rétorque : « La force qu’on a, c’est l’encadrement. Les surveillants ne sont pas livrés à eux-mêmes. Ils ne peuvent pas commettre d’exactions de façon délibérée. On a de très bons agents, il ne faut pas dénigrer la profession. » Le pouvoir des surveillants dépasse cependant largement la corruption ou les traitements dégradants. Un ancien détenu me fait part d’un tabassage par des matons, certainement pas le seul du genre (voir encart). De nombreux (ex-) prisonniers m’apprennent que les surveillants falsifient régulièrement leurs plaintes ou comptes rendus d’incident pour les poursuivre ou les sanctionner. D’après Rémi, « y en a eu énormément ! Ils déforment tout là-bas, ils inventent des choses et se mettent tous d’accord dans leur bulle pour faire de fausses dépositions qui concordent. »
Rémi raconte qu’il a eu le malheur de se mettre à dos un des surveillants prochainement jugés… Ce dernier l’a poursuivi pour « menaces de mort », sur la base d’un document ne concordant pas avec les écrits de ses collègues. Une relaxe a été prononcée en interne, mais Rémi doit encore passer au pénal. Il me liste d’autres cas : après s’être défendu face à une surveillante irrespectueuse en disant « tu es connue comme le loup blanc ici, tu distribues des sanctions à tout bout de champ »… elle parle d’« insulte » : huit jours de mitard. Lors d’une descente de gendarmerie avec chiens renifleurs, un bout de shit est trouvé à proximité d’un détenu... Le compte-rendu indique qu’il a été trouvé « dans son caleçon ». Le détenu en parle au directeur de détention, présent au moment des faits. Ce dernier avoue ne pas pouvoir démentir ses agents : le détenu voit sa peine rallongée.
De son côté, Mme Mousseeff, à la tête de l’établissement depuis 2016, communique beaucoup sur l’amélioration de la détention. Un partenariat est monté avec l’Université autour de l’égalité femmes-hommes. Deux concerts sont organisés avec la Belle électrique pendant lesquels « on casse les codes de la détention » (FR3, 6/7/2018). Elle met régulièrement en avant son implication au Genepi, une association en faveur du « décloisonnement des institutions carcérales », quand elle animait, étudiante, des ateliers théâtre ou du soutien scolaire en prison. Au cours de ses démêlés avec le surveillant poursuivi en justice, Rémi me précise qu’il avait tenté de l’alerter. « Elle vit dans un paradis de bisounours ! Si elle savait ce qu’il se passe, elle serait plus directrice, ma parole. Si tu l’écoutes, ses agents sont sérieux, ils sont triés sur le volet… »
Quand ils ne sont pas violents, épaulés par la directrice qui prône « une tolérance zéro » (Le Monde, 22/6/2019) face à des agressions réelles ou imaginaires, les matons multiplient les recours contre des prisonniers. De la même manière que les policiers, qui ont des accès facilités à ces démarches, les surveillants qui se constituent partie civile voient systématiquement leurs frais de justice pris en charge par l’État et reçoivent des indemnisations entre 300 et 600 euros en fonction de « l’infraction » : outrage ou menace.
Rémi m’explique : « Il suffit que tu en bouscules un parce qu’il t’a bousculé, il va aller porter plainte contre toi. C’est ça la mode, maintenant. Ils prennent 500 € de dommages et intérêts pour rien du tout, que tu les insultes, que tu les menaces ou que tu discutes simplement avec eux, c’est automatique. La gendarmerie vient nous auditionner puis nous remet une convocation au tribunal. » L’engrenage est bien huilé. À Grenoble, un avocat a dédié la majeure partie de l’activité de son cabinet aux dossiers des agents « victimes » à Varces ; il indique que leur nombre n’a fait que grimper en dix ans. Chez les surveillants, un responsable syndical se félicite de l’augmentation des gardes à vue et comparutions immédiates de détenus ces dernières années (Place Gre’net, 18/1/2018 ; le Daubé, 10/6/2019).
Selon Rémi, le fait est banal dans la prison : « Y a je sais pas combien de surveillants qui s’en vantent. Ils vont croiser un détenu au moment de la gamelle : “ah mais il a qu’à m’insulter, je vais porter plainte, ça me fera 500 € pour partir en vacances cet été”. » « Ils attendent que ça, confirme Hafed. Ils vont te pousser à bout, t’insulter de tout. Même lui va dire “ça te dit qu’on aille à la douche ?”, pour se bagarrer genre. Il va jouer avec toi. Mais eux, ils s’en foutent de prendre un coup. Il va dire “si tu me tapes, je vais rester à la maison [en congé], sinon ça va rien changer.” Derrière, toi tu vas prendre une peine en plus, finir au mitard… t’auras tout perdu. »
Les dysfonctionnements récurrents de l’administration agacent également bien des prisonniers. « Des fois, nos familles versent un mandat et il est pas disponible. Ou alors on cantine pour 100 ou 150 € [d’achats par correspondance] et on nous livre que la moitié. On demande des remboursements. À la fin du mois, on écrit à la comptabilité et ils disent qu’ils ont plus aucune trace. Pour moi j’ai compté 300 € détournés en 22 mois, calcule Rémi. Et ça, ça arrive à tout le monde ! Plein de gens sont allés au mitard pour ça »… après avoir fini par perdre patience.
Pour ceux qui tenteraient de faire valoir leurs droits, la prison réserve un chemin plus rude encore. Sur les 16 requérants du référé contre l’insalubrité et l’indignité des conditions de détention du 8 octobre dernier, 14 étaient en détention au moment du dépôt. Leur nombre s’est vite réduit à trois ou quatre. L’avocat qui coordonne ces recours, Claude Coutaz, compare la démarche à une procédure semblable, lancée en 2009. « On s’était convaincu que le nombre avait protégé les détenus. Dix ans après, on s’est dit “lançons une nouvelle procédure en nombre”. On imaginait mal l’administration s’en prendre à eux par des sanctions disciplinaires imaginaires. On avait reçu un très bon accueil lors de notre visite, la directrice n’avait pas caché l’état des lieux. Au tribunal pour le recours, le ministère de la Justice n’avait pas contredit les détenus. On sentait un consensus… et on s’est plantés, très sincèrement. L’administration a été bien plus agressive qu’on l’imaginait. Ils en ont franchement bavé. »
Quelques jours après le dépôt, le surveillant responsable du travail des prisonniers lance une opération « représailles » : il menace les détenus un à un dans leurs cellules. Rémi détaille : « J’ai compris que c’était la guerre. Il est venu me voir, on aurait dit un voyou de dehors, sourcils froncés, bouche tordue. J’avais fait un essai en cuisine. Il m’a dit “tu veux nous la mettre à l’envers ? Tu veux nous faire des problèmes alors qu’on essaye de te faire travailler ? Tu seras plus prioritaire, on va te faire redescendre au 3ème [étage]”. Je me disais “de quoi il parle ?”. Et en fait le recours était arrivé entre temps. Tous les gens qui ont fait ça avec moi, ils ont essayé de nous pousser à bout pour qu’on perde notre boulot. Pour lui, à partir du moment où on était à l’étage des auxiliaires dans une belle cellule, on avait pas le droit de se plaindre. »
Dans les jours qui suivent, certains sont placés avec quelqu’un avec qui ils ne s’entendent pas. Ils subissent tous des fouilles à nu ou des fouilles de cellule. Rémi précise que ces dernières avaient lieu, en ce qui le concerne, une fois par semaine, « juste histoire de foutre le bordel ». Un détenu m’explique : « La vraie arme qu’ils ont c’est ça, ils violent ton intimité. En général quand t’as fait plusieurs mois de prison, t’aimes bien rentrer, trouver ta cellule propre et rangée. Dis-toi que là tu vas tout ranger, nettoyer et ensuite te laver au robinet vu que t’as transpiré. Le temps passe, il est tard et t’as pas encore fait à manger : forcément ça te plombe. »
Rémi a eu la « mauvaise idée » de joindre une lettre signée par 43 prisonniers à son recours. Cette lettre dénonçait justement le fait que « nous, détenus, sommes traités non pas comme des humains, mais comme des chiens, que ce soit pour les douches ou beaucoup d’autres choses ». Comme pour lui donner raison, il est placé pendant plus d’un mois dans trois « cellules mortes, où il n’y a pas de porte pour les toilettes, des ordures un peu partout, des trous aux fenêtres, où le frigo et la table sont cramés, les murs littéralement moisis. Je lavais tout à la Javel. Je passais deux jours à tout nettoyer à chaque fois. » Il s’arrange pour obtenir de la peinture et repeint sans être payé, en toute illégalité. Cette affaire n’a pas non plus arrangé son contentieux avec la directrice qui a refusé d’accorder un permis de visite à sa femme pendant huit mois, se cachant derrière une prétendue décision de la juge d’application des peines.
L’implication de la direction est démentie par Mathilde Gaillard-Lamberet, adjointe à la direction. « Que des personnes aient pu avoir un traitement particulier suite à ce recours, non, chacun a le droit de saisir la justice comme tout justiciable. Qu’il y ait des règlements de compte, non, ce n’est pas quelque chose que je peux laisser dire. » Les changements de cellule sont pourtant du ressort de la directrice, qui a, sans l’ombre d’un doute, très mal vécu ce recours. Une source pénitentiaire explique que les chefs d’établissement, soumis à une clause de mobilité, sont contraints de changer de poste tous les quatre ou six ans. Leur réputation a un impact direct sur leurs primes et affectations. « Clairement, ils n’ont pas envie de se retrouver à Dunkerque et c’est vrai que des recours juridiques contre “ta” prison, ça fait mauvais genre. »
Pour les surveillants impliqués dans ces « dissuasions », on a plus de mal à comprendre. Leurs horaires sont flexibles et ils travaillent souvent sur des jours de congés pour combler les absences des collègues. Leurs payes ne sont pas mirobolantes et ils n’ont pas le droit de grève, sans parler du taux de suicide, plus élevé que la moyenne nationale dans leur profession (mais plus faible que chez les détenus). Et pourtant, « ils disent souvent que l’administration pénitentiaire c’est “la famille”. On y rentre pas forcément par plaisir, mais une fois qu’on y est, on apprend à l’aimer… et on la défend. En général, ils se sentent bien plus légitimes à dénoncer, eux, leurs conditions de travail, que les détenus leur détention. » À tel point que la moindre tentative de prise de parole leur apparaît comme un affront.
Je demande à Rémi s’il souhaite rester anonyme. « Ah non mais moi je veux que la directrice et les chefs qui m’ont fait la misère, ils voient que je lâche pas l’affaire, même dehors. Qu’ils se disent “putain Liothaud, il lâche pas le morceau”. Ah non vous pouvez mettre mon nom, ça me fera même plaisir. »
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Condamnés à l’insalubrité
Entre juin et septembre 2019, la taule n’a jamais aussi bien été fréquentée. Des élus, la députée Émilie Chalas, le sénateur Guillaume Gontard, la ministre de l’Injustice, le préfet et des avocats de Grenoble ont exercé leur droit de visite. Des journalistes ont suivi. Quand l’extérieur lorgne sur « sa » prison, la directrice fait mine de jouer cartes sur table. « Ils ne montraient que les cellules des auxiliaires [les prisonniers travailleurs] du 4ème étage, pas du 2 ou du 3, où c’est “ghetto” et tout pourri » d’après Rémi.
Depuis 2009, une trentaine de prisonniers ont initié quatre recours contre l’insalubrité, l’indignité de la détention ou les failles de sécurité incendie avec l’Observatoire international des prisons (OIP). Les victoires sont pour l’instant rachitiques. En novembre, le tribunal administratif a reconnu que l’insalubrité et l’indignité n’étaient plus à prouver. Les requérants pourraient toucher une indemnité d’environ 1 000 € à la suite de procédures longues et décourageantes. D’après une source proche du barreau, les douches ont été passées au kärcher peu de temps avant que la pénitentiaire ne monte son dossier pour ce recours.
La direction tente régulièrement de faire passer des coups de peintures cache-misère pour de « grands travaux pour remettre [la taule] au goût du jour » (LCP, 10/4/2020). Pour le reste, comme dans bien des taules, les prisonniers devront faire avec les champignons et traces blanches sur leur peau laissées par les chutes de moisissure. Avec leurs trois douches hebdomadaires bouchées ou qui ne coulent presque pas. Avec les 2,25 m2 individuels disponibles au sol en cellule. Avec les parloirs minuscules où s’aventurent parfois les rats.
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Tabassage en règle
Un ex-détenu relate ce qu’a vécu un camarade : « Il voyait sa femme depuis un mois au parloir. Un jour, c’était plus possible. L’administration est censée prévenir 24h à l’avance. Là, ils ont prévenu une demi-heure avant, alors qu’elle était en route. Les surveillants ont dit au gars qu’il pouvait pas la voir, sans expliquer pourquoi. Le ton est monté. Il était à un mètre, il a frappé avec le côté du poing sur la porte et là le surveillant a dit qu’il était rentré dans sa zone de sécurité. Ils l’ont chargé à cinq [munis de matraques, un surveillant casqué utilise également un bouclier]. Ensuite ils sont venus à sept de plus et ils l’ont éclaté par terre, mis des coups de pieds dans le cou, écrasé… Ils étaient deux ou trois à peser sur lui au moins. Y en a un qui a appuyé de tout son poids sur son cou, avec le plat du pied. Pendant ce temps, un autre l’a carrément tordu. Il lui a vrillé les jambes dans l’autre sens. L’arrière de ses jambes et le haut de son torse touchaient le sol en même temps, il pouvait plus respirer. Il arrivait quasiment pas à parler, il sentait qu’il allait perdre connaissance et que sa tête explosait. Il le leur disait et eux ils hurlaient que tant qu’il arrivait à parler, il respirait. Là-dessus, menottes : direction mitard.
À la promenade [une pièce fermée, sans fenêtres], le seul endroit sans caméra au mitard [à part les cellules], ils lui ont mis la tête contre le mur, les jambes croisées à genoux et il a reçu des coups de pieds dans le dos, des coups de poing sur la tête. Il était dans une des pires cellules, deux autres étaient vides. Ils l’ont laissé pieds nus pendant trois jours, les toilettes bouchées. Dès qu’il tirait la chasse, de la merde venait sous son lit. Ça a duré une semaine. Il a choppé des infections aux pieds et aux mains, des panaris. Il avait les doigts verts. Sans compter les surveillants qui crachent dans la gamelle, mettent des cailloux dans le pain… Finalement c’est un autre surveillant qui a fait venir un infirmier. Il a pu voir un médecin au bout de trois-quatre jours, quand les traces avaient disparu. Il avait encore mal au dos, aux jambes.
Y a forcément des détenus qui l’ont entendu. Lui aussi, il en a entendu hurler à la mort à la promenade : ils se prenaient des coups. Suite à ça, les surveillants ont porté plainte, comme quoi il les avait frappés. Il doit encore passer en procès pour ça, alors qu’il les a juste poussés, qu’il s’est débattu sans frapper personne. Et lui, c’était un gars respectueux hein, il avait jamais eu d’histoire avec les surveillants. Dans leurs déclarations, ils disent bien qu’il les aurait attrapés, frappés en plein visage, qu’il en a frappé un à terre à coups de pied… Il a demandé à voir les vidéos : il les a jamais vues. Un surveillant a eu trois semaines d’arrêt, je crois. Ses vacances arrivaient dans pas longtemps, il les a prolongées exprès. C’est ce que racontent d’autres surveillants en tout cas. Un autre a eu une semaine pour la jambe, je crois. »
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« Tout le 3ème étage a failli mourir intoxiqué »
Pour se faire entendre, les prisonniers en sont souvent réduits à mettre le feu à leurs cellules. Le 28 octobre dernier, un feu a entraîné l’évacuation de 90 d’entre eux et l’intervention de 75 pompiers. Rémi me raconte : « Y avait deux petits jeunes qui venaient du 2ème étage. Ils étaient en embrouille avec ceux du 3 [ème], les surveillants avaient fait exprès de les mettre ici. Ils ont dit “ça fait une semaine qu’on sort pas en promenade, on va se faire taper par ceux du 3. Si vous nous redescendez pas au 2, on met le feu.” Les petits jeunes ont mis le feu, le surveillant est venu, il a enfermé les jeunes ailleurs et il a laissé la cellule grande ouverte.
Si ce jeune surveillant avait fermé la porte dès le début, le feu ne se serait pas propagé comme ça. J’étais dans la cellule à côté. Franchement je paniquais, je tapais sur la porte : “Au secours, surveillant ouvrez-nous, on va mourir”. Ils ont tout laissé brûler pendant une heure et quart ! Tout le 3ème étage a failli mourir intoxiqué. Une vingtaine de détenus ont appelé les pompiers. Moi j’ai vu les murs se déformer. Faire des bulles. La fumée noire. Il y en avait tellement qu’on restait baissés, allongés au sol pour pas trop en respirer. J’ai vu des gens qui avaient perdu connaissance. C’étaient des surveillants qui les portaient. Moi j’avais presque 10 % de monoxyde de carbone dans les poumons. Ils m’ont mis un masque pendant une heure et demie à l’unité médicale. On était 10 ou 12 détenus gravement intoxiqués en tout. Il aurait pu y en avoir beaucoup plus. » Le soir même, la préfecture parle de seulement sept détenus intoxiqués.
« Le pire c’est qu’ils nous ont laissés dans la même cellule qui puait le brûlé avec les draps plein de suie. C’était un truc de malade, ils nous les ont changés le lendemain. Je me suis mouché noir pendant quatre ou cinq jours. » Le 1er novembre, le syndicat de surveillants UFAP-UNSA demande sans succès la fermeture du 3ème étage, couvert de suie, où 56 détenus sur 83 ont été réinstallés et vivent sans électricité.
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Confinés à Varces
À l’annonce de la fin des parloirs, le 18 mars, une vingtaine de prisonniers « bloquent » en promenade : ils refusent de retourner en cellule. La direction appelle les ERIS, les forces antiémeutes de la prison, et le PSIG, un peloton de gendarmerie, en renfort. La presse rapporte que deux « leaders » auraient été mis au mitard. Deux autres ont fait l’objet de transferts disciplinaires. La direction prétend qu’ils n’ont eu lieu « qu’au sein de l’interrégion », c’est à dire jusqu’à 380 km.
Loin de la communication officielle, un prisonnier commente. « Vu qu’on nous disait rien, des détenus ont pris la décision de bloquer. Ensuite l’administration a tout fait pour qu’on n’exprime pas notre mécontentement, pour étouffer l’affaire. » Dans les jours qui ont suivi, il compte une dizaine de transferts au minimum. Il parle de destinations comme Lille ou Bordeaux. Il affirme que l’un des transférés a reçu des coups par les surveillants.
Par téléphone, l’adjointe à la direction précise avoir trouvé, cette journée du 18 mars mise à part, « des détenus conscients de la situation, attentifs, portant un discours citoyen dans la majorité ». Les détenus n’ont décidément pas vécu le même confinement. « Ils rigolaient pas. Pratiquement tous les jours y avait tous les chefs. D’habitude dans l’année ils sont jamais là pour mille et un problèmes, mais là… Si y avait un truc, tu passais direct en commission de discipline : trente jours de mitard [la durée maximale]. Après ça, tes demandes d’aménagement [de peine] sont systématiquement refusées. C’est ce que disaient des brigadiers : “tu fais un débordement, tu participes à quelque chose, tu seras sur la liste”. Ils te lâchent pas. »
Avec la fin des parloirs, les projections au-dessus du mur d’enceinte de denrées en tout genre pour les prisonniers ont continué. Devant, la gendarmerie patrouillait quotidiennement pour les empêcher. Deux proches de détenus se sont fait attraper : ils ont passé la fin du confinement sous écrou. Si des « missiles » sont repérés par les surveillants, « tout le monde finit à poil. À la fin c’est tellement pesant que t’as même plus envie de sortir en promenade. Ils vont insister “lève la jambe, baisse-toi” et si tu refuses “bah pourquoi, t’as quelque chose ?”. Non seulement c’est humiliant, mais en plus ils nous font remonter dans nos cellules deux par deux et nous fouillent un à un, ce qui fait qu’on y passe la demi-heure… » Sans parler des fouilles de cellules ou d’étages, plus fréquentes pendant le confinement. « Certains se faisaient détruire leurs cellules. Les surveillants rentraient, s’ils trouvaient rien ils arrachaient les drapeaux, les décorations, les planches du placard, mettaient les aliments par terre, les vêtements pareil, ils laissent tout en chaos. Forcément ton moral est touché. »
Pour « apaiser la détention », la direction parle d’une quarantaine de personnes exceptionnellement remises en liberté : des carottes à agiter au nez des prisonniers. « Ils ont promis à ceux qui restaient calmes des remises de peine supplémentaires et exceptionnelles, en tout pour cinq mois. Dès qu’ils ont entendu ça les gens, ça les a calmés direct, ils se sont dit “on va faire confiance”. Mais il n’y a eu que dix cas au maximum et ils ont donné ça qu’aux personnes jugées et condamnées [pas à ceux en détention préventive]. Tous ceux sans mandat de dépôt se sont fait berner. »
Dur confinement pour Mme Mousseeff ! Celle-ci s’est plainte d’avoir dû faire sans les « leviers de gestion de la détention » habituels – comprendre : parloirs, travail, intervenants extérieurs, rendez-vous avec les conseillères en réinsertion. Un avocat affirme qu’à l’une des commissions disciplinaires d’avril, 26 détenus étaient examinés contre un nombre compris entre 5 et 8 habituellement. Forcément, sans avocat pour y défendre les prisonniers pendant une bonne partie du confinement, ça va beaucoup plus vite... Un nouveau « levier de gestion de la détention » ?
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