Accueil > Fevrier-Mars 2020 / N°54
TRot’ c’est tRot’
Plaidoyer contre l’arrivée d’une flotte de trottinettes en libre-service dans la cuvette.
Ce printemps 2020 risque de voir fleurir une nouvelle fausse bonne idée : la flotte libre de trottinettes électriques. Selon nos informations, la Métropole s’apprête en effet à lancer un « appel à manifestation d’intérêt » pour permettre le déploiement de ces bidules en free-floating, comme on dit en anglais.
Elles ont déjà envahi les rues de Lyon ou Paris et ça fait même jaser dans les gazettes. Surtout parce qu’elles sont souvent garées n’importe où et qu’elles entravent le cheminement piéton, quand elles ne sont pas jetées dans les cours d’eau. À tel point que Rennes les a interdites avec deux sous de jugeote et pourtant sans mairie écolo.
À Grenoble, à moins d’un sursaut de dignité, on s’apprête donc plutôt à faire comme Lyon ou Paris. Métrovélo a pourtant mis en service des trottinettes de location privative et non en flotte libre, justement pour éviter le désastre (France 3, 17 décembre 2019).
Ces engins de déplacement personnel (EDP) ont le mérite pour les responsables de la Métropole de délocaliser la pollution : ils n’émettent pas de gaz à effet de serre dans la cuvette. On cherchera en vain d’autres points positifs.
En revanche, la liste des désastres environnementaux et sociaux causés par la fabrication de ces joujous est longue. De l’extraction de ses matériaux à sa transformation à l’état de déchet, en passant par sa production et sa distribution, le coût environnemental de la trottinette éléctrique est catastrophique mais caché à nos yeux : ça se passe plutôt loin, chez les pauvres – une nouvelle fois, on vous renvoie à La guerre des métaux rares de Guillaume Pitron.
Plus près de nous, son usage est coûteux en énergie, par la recharge très fréquente des batteries, et en matériel informatique, par l’analyse des données collectées et enregistrées sur des serveurs souvent délocalisés également – comme pour feu les vélos Indigo à Grenoble, c’est la vente de données personnelles, plus que la location, qui finance ces gadgets évidemment jetables. Car hormis le châssis et les parties électriques ou électroniques, la trottinette compte beaucoup de plastique, matériau qui ne se répare pas, se recycle mal, et qui accélère encore son obsolescence. Des enquêtes menées dans plusieurs villes américaines (relayées par Libération, 7/03/2019) ont montré que la durée de vie moyenne de ces EDP n’excédait pas un mois. Oui, un mois.
Dans l’agglomération grenobloise, les trottinettes électriques de particuliers affluent déjà en grand nombre dans les déchetteries du territoire. Avec une flotte libre, on peut s’attendre au pire, et l’Isère et le Drac sont déjà suffisamment pollués. À l’image des vélos en flotte libre, un échec à Grenoble, cet usage consumériste de la mobilité est particulièrement déresponsabilisant.
Voilà pour la pollution directe et indirecte. Mais le pire, contrairement aux arguments avancés par les entreprises de ce marché féroce, c’est que la trottinette lutte très inefficacement contre la pratique de la bagnole. Comme le démontre l’enquête effectuée par le bureau de recherche 6-T (subventionnée par l’Ademe), la trottinette remplace surtout la marche et l’usage des transports en commun.
Et pour cause : les distances de déplacement effectuées à trottinette électrique sont celles que l’on peut tout à fait couvrir à pied ou à vélo. On peut parfois justifier l’usage d’un vélo à assistance électrique lorsqu’il remplace une voiture (pour les vieux, les handicapés et les ingénieurs). Dans le cas de la trottinette électrique, cela paraît quasi impossible. Reste le temps gagné par rapport à la marche ? Si on veut réduire son espérance de vie suite à la sur-sédentarité induite (et ses méfaits sur la santé physique et mentale), c’est tout à fait cohérent.
La trottinette n’est donc pas un mode de transport convivial, ni vraiment social lorsque l’on sait que 53% des usagers sont des cadres, selon cette même enquête de 6T. Les vélos, même en consternante flotte libre, couvrent un panel socio-professionnel bien plus large.
Tout cela, la Métropole le sait et elle ne vise pas n’importe quel public. Selon nos sources, leur usage sera cantonné au centre-ville, au campus et jusqu’à Innovallée à Meylan, visant ainsi une population sûrement plus connectée et plus riche que la moyenne, friande de technologie et volontiers génératrice de données personnelles. Et la Métro cède à l’insistance des dealers de trottinettes avec une candeur déroutante.
Car les entreprises qui se partagent ce marché se soucient bien plus de dividendes que d’écologie. Une des plus importantes, Lime, est un important fonds d’investissements de Google et repose sur un mode de concurrence féroce avec ses entreprises paires. C’est qu’il y a un gros marché potentiel sur l’exploitation des données personnelles des utilisateurs. Encore plus fines que les données liées aux vélos en libre service type Vélib ou les vélos en flotte libre, les trottinettes génèrent des déplacements de porte à porte et donc des données bien plus « valorisables ». Débranchez les trottinettes ! Et même, ne les produisez pas. Vive les pédales et la marche libre, sans batterie ni assistance !