Accueil > Février / Mars 2012 / N°14
La démocratie participative numérique, c’est bidon
Safar donne sa langue au tchat
Pour la Ville de Grenoble, la « démocratie participative » est un leitmotiv qui lui permet de légitimer ses décisions. L’important n’est pas que les Grenoblois fassent des choix de société pour leur quotidien mais qu’ils aient l’illusion de participer. Cette fois ci, ça se passe sur internet : Jerôme Safar, adjoint aux finances et à la sécurité, tchatte en direct avec des internautes. Si l’élu s’est félicité de cet exercice, Le Postillon vous raconte cet échec. 40% des questions ayant en fait été posées par deux farceurs voulant tester l’intérêt de l’exercice.
Le 18 janvier Le Daubé noircit une page à l’occasion de ce non-évènement : Jerôme Safar va tchatter avec des Grenoblois. « Une première 2.0, demain pour la Ville de Grenoble » titre le quotidien du Crédit Mutuel. Le principe du tchat est d’échanger instantanément avec quelqu’un sur internet en tapotant sur son clavier. D’abord réservé à la sphère privée, le tchat est devenu une mode dans l’espace public. Les médias s’en sont emparés et invitent des « experts », des journalistes ou des politiques à discuter avec leurs lecteurs sur leurs sites. Ici, c’est la municipalité, toujours avide d’innovations inutiles qui propose ce tchat sur son site internet. « Ne craignez-vous pas que le site de la Ville soit pris d’assaut par des opposants politiques ? » interroge Le Daubé la veille de l’expérience. Jerôme Safar, lui, n’a pas froid aux yeux : « Même s’il y a plus d’affirmations que des questions, je saurai y répondre ». Rien à craindre de ce côté là puisqu’un modérateur sélectionne
les questions.
Malgré les nombreuses pubs dans Le Daubé, Grenews et Le Petit Bulletin, cette expérience a été un véritable échec : sur les 27 interventions acceptées, 11 sont posées par deux trublions du Postillon, soit 41% d’entre elles [1]. Tout ça pour ça prouver comme ce genre d’exercice est facilement manipulable et qu’il n’a absolument aucun sens.
Comment faire pour qu’une question soit acceptée alors que le thème du tchat concerne le budget de la municipalité grenobloise ? Le plus simple d’abord est d’en poser une qui n’a rien à voir avec le sujet comme le fait Greg : « Super idée ce tchat en direct ! Moi qui suis au boulot, je peux faire semblant de travailler tout en vous suivant sans que mon patron me capte. C’est plus dur quand c’est un match de foot. Je voulais savoir si vous alliez renouveler cette expérience participative et si oui quel sera le prochain élu invité ? Merci ! ». Safar réagit promptement : « Greg, ce n’est pas bien de tchatter au boulot ! Nous allons regarder si l’expérience peut être renouvelée, pour échanger plus simplement avec les Grenoblois ». On peut aussi utiliser le vocabulaire improbable du « jeune » en usant d’un blase à deux balles. Crew-one demande : « Combien d’argent vous avez mis pour aider les graffeurs à se professionnaliser ? Ca serait cool de nous aider parce que le graff vandale, moi j’en ai marre et en plus c’est votre service propreté qui doit tout nettoyer derrière moi. Il nous faudrait du travail. Avec mes remerciements. ». Autre technique, dénoncer les méthodes des trublions qui osent encore intervenir dans les réunions publiques. C’est Lucas qui s’y colle : « Merci pour ce tchat en direct qui permet de converser avec vous sans avoir à se déplacer et à subir des interventions pas toujours constructives de personnes venant juste là pour râler. Ne voulez-vous pas remplacer les coûteuses réunions publiques par ce moyen simple et efficace ? ».
On peut aussi évoquer un sujet dont tout le monde se contrefout. Jacky embraye : « Pourquoi Grenoble n’est pas ville étape cette année sur le Tour de France ? Avez vous manqué de budget ? ». L’adjoint prend 10 lignes pour lui répondre.
Le mieux est de terminer par une flatterie, les élus en sont friands. Lucas interroge : « Monsieur Safar, comment êtes-vous parvenu à boucler un budget aussi équilibré en pleine période de crise ?Alors qu’au niveau national, il semblerait que le chaos règne, votre savoir-faire montre qu’il est possible de s’en sortir même en période d’austérité. Avez-vous réalisé des études d’économie ou disposez-vous de conseillers sérieux ? Accepteriez-vous de devenir ministre du Budget ? ».
On laisse le dernier mot à l’adjoint qui, quelques heures plus tard, a quitté le tchat pour pavoiser sur son facebook : « Cette expérimentation est une réussite réelle avec des questions inhabituelles et rarement posées en réunion publique. Je le renouvellerai avec des idées sur le dialogue en matière de politique de la ville ».
Notes
[1] L’ensemble des échanges devrait se trouver à ce lien, à moins qu’il n’ait été supprimé depuis : http://www.grenoble.fr/937-budget-2012-tchat-avec-jerome-safar.htm