Accueil > été 2024 / N°73

Pourquoi mettre en danger des lieux qui fonctionnent bien ?

Et deux de plus ! Le désespérant chamboule-tout de la mairie dans les quartiers Sud de la ville continue. Alors qu’ils souffrent déjà d’un manque criant de lieux de sociabilité, la municipalité s’obstine à mettre en danger les rares qui fonctionnent à peu près bien. Le tout avec des méthodes dramatiquement redondantes : mise en concurrence des associations, annonces cruciales relatives à l’avenir des structures faites avec désinvolture au mépris du travail accompli et de l’investissement des acteurs de terrain, manque de considération à l’égard de ce que ces lieux apportent aux habitants… Tout ça au nom d’hypothétiques projets municipaux qui seraient « mieux », mais qui, dans les faits, demeurent brumeux. Après la progression du désert convivial dans le quartier de la Villeneuve décrite dans le dernier numéro, on se penche cette fois sur les difficultés que rencontrent le Théâtre Prémol du Village Olympique et le club de judo de Mistral.

Mistral toujours perdant

L’Amicale Sportive Mistral Drac (ASMD) judo est la plus vieille association encore en activité du quartier Mistral. Fondée en 1968, elle a accompagné des milliers de jeunes du quartier, certains jusqu’à un niveau international. Avec ses nombreux cours, le club fait partie des rares offres de pratique sportive à destination des jeunes à Mistral, une présence centrale, d’autant plus depuis la fin du Plateau.

Le Plateau, c’était le lieu de vie emblématique de Mistral depuis sa création en 2006. Si la structure chapeautée par le parti socialiste avait ses défauts, elle permettait quantité d’activités et d’occasions de sociabilité. En 2021, la mairie décide de déconventionner l’association qui avait contribué à fonder le lieu afin d’en reprendre la direction, avec le projet d’y déplacer la bibliothèque des Eaux Claires. Une décision qui prend effet début 2023, mettant fin à la majorité des activités du lieu et impactant le quotidien de nombreux habitants de Mistral, en particulier les jeunes qui fréquentaient le Plateau. Un micro-trottoir à Mistral lors d’une fin d’après-midi de mai donne un aperçu du vide laissé. Hafsa, 12 ans, raconte : « Je n’y vais plus depuis un an. J’y allais beaucoup avant, surtout pendant les vacances. » D’autres comme Hayette et sa soeur Chayma se remémorent toutes les activités qu’il y avait : « Avant il y avait de la danse, de l’aide aux devoirs, de la boxe, des sorties...  » Leur père complète en décrivant la vie dans le lieu : «  On y allait, il y avait une machine à café et sur les tables il y avait des parents qui aidaient les enfants à faire leurs devoirs pendant que les autres étaient à des cours, il y avait de la vie… Quand on arrête comme ça quelque chose qui existe depuis vingt ans, c’est comme si on voulait tuer le quartier. »

Depuis que la mairie avait repris le Plateau, il subsistait néanmoins quelques activités sportives, comme les activités de l’ASMD Judo et du club de taekwondo qui se partageaient l’utilisation de deux dojos pour leurs cours d’arts martiaux. Jusqu’à il y a peu... En mai 2024, avec le démarrage des travaux de la nouvelle bibliothèque, le dojo du bas ferme définitivement ses portes contraignant les deux associations à se répartir le seul dojo restant. La mairie annonce alors au club de judo qu’il n’aura plus accès au dojo pour son cours du jeudi soir, celui-ci étant réservé pour le taekwondo. Youssef, un membre du CA du club déplore cette méthode et les tensions générées : «  On en vient à être dans une logique concurrentielle entre assos, à compter qui a le plus d’élèves à ses cours pour voir qui devrait avoir la salle… Ce n’est pas normal.  » L’annonce passe d’autant plus mal que la mairie s’était engagée oralement auprès du club à lui garantir qu’il pourrait finir sa saison en gardant tous ses cours. Sébastien, le président du club explique l’impact de cette suppression pour les jeunes : « La mairie se dit qu’un créneau de 1h30 c’est rien du tout, alors qu’en fait, c’est le créneau le plus fréquenté et que la tranche 12-15 ans, c’est la plus dure à récupérer quand on la perd. On sait le sens que ça a, surtout dans un quartier comme Mistral.  » Youssef rappelle que l’ASMD « ce n’est pas juste un club de sport, on y mène des actions sociales aussi, des sorties familiales par exemple. C’est des jeunes qui grandissent ici, qui se construisent avec la pratique sportive et qu’on accompagne sur des années  ». Toufik dont le fils fait du judo au club confirme : « Dans un quartier chaud comme Mistral, en supprimant des cours, indirectement ils vont envoyer des enfants dehors. Je ne comprends pas pourquoi arrêter quelque chose qui fonctionne. »

Alors, pour défendre leur club mis en danger par cette suppression de cours, les réunions s’enchaînent. «  On passe plus de temps à discuter avec la mairie pour maintenir ce qu’on a qu’à développer des projets, s’afflige le président. Nous, on n’est pas là pour faire de la politique, le sens de nos actions c’est pour les adhérents. »
De son côté, la mairie se défend en soulignant qu’elle a proposé une autre salle au club, celle du Lys Rouge… Un point de deal notable du quartier que l’ASMD a donc refusé. Si la mairie « regrette cette position qui nous met aujourd’hui dans cette situation d’impasse  » (Le Daubé, 6/05/2024), les habitants, comme Nadia, dressent un constat amer : « Déjà qu’il n’y a pas beaucoup d’activités ici, ils auraient pu mettre la bibliothèque ailleurs plutôt qu’au Plateau. »

Pensant bien faire mais imaginées hors-sol, les politiques publiques de la mairie viennent bouleverser des fonctionnements bien rodés qui font leurs preuves depuis des années : plus d’un demi-siècle dans le cas de l’ASMD…

Au Théâtre Prémol aussi, la municipalité fait tomber les masques

Coup de théâtre dans le quartier du Village olympique ! En janvier, la MJC Théâtre Prémol apprenait que la Ville allait attribuer la gestion du théâtre Prémol, qu’elle gère depuis près de 20 ans, à une autre association, les Arts du Récits. C’est pourtant ce théâtre qui fait toute la spécificité de cette MJC, en proposant une cinquantaine de spectacles par an, des animations, des fêtes et des moments conviviaux, des projets artistiques à destination des jeunes et des habitants, des stages, des résidences, des sorties culturelles… Son projet phare, l’Axe de création, permet à une quinzaine de jeunes de construire un spectacle grâce à quatre heures de cours hebdomadaire et cinq semaines de stages autour du théâtre, de la danse, de la musique et du chant. Une opportunité pour de nombreuses personnes qui n’auraient pas les moyens de se payer des cours privés. Benjamin, un membre de la troupe de l’Axe de Création explique ce que ce projet lui a apporté : «  À l’époque je ne savais pas quoi faire de ma vie, je m’ennuyais, je ne me sentais pas bien au lycée. J’ai trouvé ici quelque chose qui m’a permis d’avancer, de me poser des question, de pouvoir bosser et rencontrer des gens.  » Or, c’est bien des projets comme l’Axe de Création qui pourraient être amenés à disparaître avec le changement d’association : « L’axe de création deviendrait un groupe de théâtre qui n’a pas de théâtre et qui dépendrait du bon vouloir de lieux pour nous accueillir.  »

Si la mairie souhaite attribuer la gestion du théâtre aux Arts du Récit, c’est pour une question d’arbitrage économique : en donnant le théâtre à une association labellisée (ce que n’est pas la MJC), celle-ci peut recevoir des fonds spéciaux de l’État… et donc la Mairie peut baisser ses subventions. Mais plutôt que d’assumer ses coupes budgétaires, la municipalité se cache derrière toutes sortes de raisons, rabaissant et méprisant au passage ce qui se fait à Prémol : le théâtre ne fonctionnerait pas comme un vrai théâtre car il n’achète pas les spectacles, les compagnies seraient donc des compagnies de seconde zone... «  Souvent ce sont des compagnies qui n’ont pas trouvé d’autres lieux et souvent ce sont des compagnies qui débutent  » affirme l’adjointe aux cultures (sic) pour discréditer la programmation du théâtre, la déclaration étant par ailleurs fausse. Stella, une jeune de l’Axe de création déplore : «  J’en ai marre que tout soit une question d’argent, de “il faut être rentable”, de “si c’est pas labellisé, ça marche pas”, de “si ça n’a pas une reconnaissance au niveau de l’État, alors c’est bidon”. Je trouve ça insultant parce que ça fonctionne et qu’il y a une vraie communauté qui est prête à se battre pour garder ce théâtre. » Un autre habitué du théâtre explique : « On ne parle pas du sens de ce théâtre dans la vie des gens. Pour eux, ces choix c’est juste un tableau Excel. »

C’est l’identité même de la MJC Théâtre Prémol qui promet d’être chamboulée par ce changement de gestion car la nouvelle association a annoncé souhaiter séparer le théâtre de la MJC, allant jusqu’à vouloir créer une autre porte d’accès, justement à l’exact opposé de ce sur quoi la MJC travaille depuis des années. « Faire deux entrées, une pour la MJC et une pour le théâtre, c’est symboliser une fracture : il y a la porte pour le socio-culturel et celle pour le culturel. Alors qu’on cherche justement à gommer les obstacles pour emmener le théâtre aux jeunes qui se sentiraient illégitimes d’en franchir les portes  » déplore Babette, la responsable du théâtre. Pour Yann, un habitué et ancien membre de l’Axe de création c’est bien « le fait que ce théâtre soit rattaché à la MJC qui permet à des jeunes de découvrir ce que c’est le théâtre, qui permet à des personnes de participer » Lui-même explique : « Je suis arrivé au Village Olympique quand j’avais 18 ans. Après plusieurs mois passés ici en m’ennuyant, je voulais faire des choses et donc je me suis tourné vers la MJC. C’est là qu’on m’a parlé de l’Axe de création, ça m’a vraiment permis de donner de l’intérêt à la vie que j’avais tous les jours dans le quartier, et je sais que ça n’aurait jamais été possible si les deux structures n’étaient pas liées ensemble. »

Les informations quant à l’avenir du théâtre sont floues et affectent toutes les personnes qui font vivre ce lieu. Sans prévenir ses responsables, la subvention au théâtre a été divisée par deux au conseil municipal du 13 mai. Si la MJC devrait être fixée sur son avenir avant l’été, pour le moment ni la mairie, ni les Arts du récit ne sont en mesure de donner des indications précises sur ce qu’il adviendra du lieu et des projets en cours… Difficile, dans ces conditions, de se projeter et de réfléchir à la programmation de la rentrée. Comme le souligne Babette, « peut-être que le projet à venir va être merveilleux… mais on ne le connaît pas !  » L’Axe de création continuera-t-il sans son théâtre ? Les habitants du quartier auront-ils toujours la possibilité de voir des spectacles à 5 euros ? La MJC aura-t-elle encore un accès au lieu ? Quelle en sera la gouvernance ? Et le budget ?
Comme pour la Plateau de Mistral ou d’autres assos de la Villeneuve, la mairie supprime d’abord et réfléchit ensuite.