Petit lexique techno-métro-politain
Sur le site Article11 (dont le journal est en vente en kiosques), Jean-Pierre Garnier réalise une analyse politico-linguistique particulièrement parlante à nous autres, techno-métropolitains grenoblois :
« (...) Dans le champ urbain, comme ailleurs, cet aggiornamento linguistique fonctionne selon deux principes : la fabrication de néologismes plus oxymoriques ou pléonastiques les uns que les autres et le recyclage sans fin de termes anciens. Ainsi en va-t-il du vocable « technopole » - ou « technopôle » - mis sur orbite dans les années 80 du siècle dernier, et de celui de « métropole », qui connaît une nouvelle vogue depuis le début du siècle.
Le succès du terme « technopole » en France est contemporain de la période où la gauche institutionnelle parvenue au pouvoir remisait au grenier à chimères les idéaux socialistes aux nom desquels elle l’avait conquis, pour se rallier à l’entreprise, au marché et au profit subsumés sous le sceau de la « modernisation ». Laquelle, au cours des deux décennies précédentes, avait déjà servi de signe de ralliement à la technocratie gaulliste lorsque Georges Pompidou était Premier ministre, puis aux promoteurs du « libéralisme avancé » quand Valéry Giscard d’Estaing occupa l’Élysée. Mais le contexte avait changé. Décentralisation aidant, il revenait dorénavant aux élus locaux « de gauche » des grandes villes, non plus de mettre en œuvre de l’« autogestion » sur le plan local dans une perspective de « rupture avec le capitalisme », mais de « moderniser la France » en faisant de ses villes des « pôles d’excellence » résultant de la combinaison gagnante enseignement supérieur/recherche/industrie, baptisée « synergie » pour donner du tonus à cette fructueuse collaboration.
Ainsi naquirent, au moins sur le papier, les « technopoles », dotées chacune d’un ou plusieurs « technopôles » spécialisés selon la branche d’activité (informatique, biotechnologie, médecine, etc.) et qui allaient rivaliser entre elles, et pour certaines, avec leurs homologues des pays voisins, dans la course à la « compétitivité » et à l’« attractivité ». Dans les campagnes de marketing urbain, c’est à qui se targuerait de mériter le plus le label « technopolitain », sans voir ou en feignant d’ignorer que dans la technopolis, la Technique, adulée comme une nouvelle divinité, a fini par dissoudre le sens que l’Histoire avait donné au mot « Cité ».
Plus d’une vingtaine d’années plus tard, ce modèle urbain n’a pas changé, mais l’échelle s’est élargie. Dans les discours, qu’ils soient médiatiques ou pseudo-scientifiques, la technopole s’est transmuée en « métropole ». Que s’est-il passé ? Tout simplement, la centralisation et la concentration des fonctions directionnelles, des services afférents et des catégories sociales correspondantes se sont poursuivies, et l’espace central où elles avaient pris place s’est révélé trop petit. Du coup, le cœur des agglomérations ne pouvait plus se limiter au centre-ville. L’urbanisation devait acquérir une dimension régionale. Les géographes ne parlaient-ils pas de « région urbaine » ? D’où l’exhumation de la notion de « métropole », mais pourvue d’un sens positif qu’elle avait fini par perdre durant le siècle dernier où l’on ne discernait plus en elle que gigantisme, massification, robotisation, anonymat, « foule solitaire »… Qu’à cela ne tienne : il suffira, comme le veut la novlangue dont Georges Orwell avait exposé la logique, de reprendre le même mot tout en changeant sa signification. Ce qui différencie aujourd’hui la « métropole » des villes de taille inférieure, ce n’est plus tant la grandeur que la hauteur dans la hiérarchie des valeurs : « hautes technologies », « hautes qualifications », « hauts revenus », équipements « hauts de gamme » et, impératif écologique aidant, « haute qualité environnementale » (...).
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