Encore une innovation grenobloise ! Avez-vous déjà vu un arbre avec des feuilles fixées grâce à du fil de fer ? Non ? Eh bien faites le détour par la Cité des territoires, ce mini-campus regroupant dans le sud-grenoblois l’institut de géographie alpine (IGA) et l’institut d’urbanisme de Grenoble (IUG). Il s’agit d’une curiosité moderne absolument épatante. Tout commence le 3 novembre dernier. Ce jour-là, un nouveau bâtiment est inauguré par tout le gratin dauphinois : il y a éric Piolle, l’éco-mandarin de Grenoble ; Christophe Ferrari, le susceptible de la Métropole ; Jean-Pierre Barbier, le chef gaulois du conseil départemental et même Yannick Neuder, le représentant local du sieur Wauquiez, aboyeur en chef de la région. Comme il se doit, ils sont entourés d’une multitude de sous-fifres, chefaillons de la toute nouvelle université Grenoble-Alpes (UGA) ou artistes censés ambiancer cet événement rituel. Sauf que là, un événement d’importance rompt avec les habitudes protocolaires : normalement pour les inaugurations, les politiques coupent des rubans. Comme c’est so XXème siècle, les responsables de l’événement avaient décidé d’innover : pas de ruban, mais un arbre devant le bâtiment (ô audace). Cette idée plate est déjà en soi comique, car comment planter un arbre dans une immense dalle en béton toute fraîche et parfaitement aride ? Même les progrès de la botanique n’ont pas encore résolu cette impasse, alors nos universitaires ont dû mettre l’arbre dans un ridicule pot.
Notons au passage que le grand bâtiment inauguré empêche l’accès à de véritables arbres remplissant un grand jardin situé juste derrière. Au lieu de voir de la verdure, les étudiants voient donc maintenant un machin qui pourrait être qualifié de bouse, mais on a trop de considérations pour les excréments des vaches. Le bâtiment est recouvert de grands poteaux en béton : pour l’architecte – un certain Boris Bregman – ils sont censés représenter des « cils ». Cela n’a pourtant rien de la grâce et de la légèreté qui se dégagent de cette partie du corps humain : le tout ressemble plutôt à un immense radiateur en béton. Une étudiante se lamente : « on est au milieu de quartiers populaires, et on est censé créer des liens avec les habitants. Avec ce genre de bâtiment froid, comment s’étonner qu’ils se sentent totalement étrangers à ce qu’on fait et que notre seul rapport avec eux, ce soient les vols ? »
Revenons à nos plantations. Pour inaugurer ce machin hideux, un minuscule pot avec un ginko biloba à l’intérieur a donc été placé devant, quelques heures avant l’événement. Sauf que début novembre, c’est pas la meilleure période pour les arbres : assez logiquement, il ne restait à notre symbole d’inauguration que quelques dizaines de feuilles mortes. Deux heures avant que les huiles arrivent, c’est le drame : un gros coup de vent fait tomber presque la totalité des feuilles. Malheur ! Peut-on inaugurer un bâtiment avec un arbre sans feuilles ? Grave question à laquelle les universitaires sur place n’ont pas eu à répondre : quelqu’un s’est empressé de remettre les feuilles tombées sur ce pauvre ginko biloba, en les fixant avec du fil de fer. L’inauguration a pu ainsi se dérouler sans accroc notable, le béton étant bien gris comme prévu, les discours soporifiques comme prévu, et l’arbre feuillu comme prévu. Mais ce petit arbre et son anecdote ridicule cachent en réalité une forêt d’absurdités. Le bâtiment inauguré, censé « réunir les géographes et les urbanistes », ne sert pour l’instant à rien du tout. Sa construction a été décidée il y a une vingtaine d’années : difficile de connaître les motivations de l’époque mais en tout cas aujourd’hui, on se demande que faire d’un nouvel amphi et de tous ces bureaux. Pour l’instant ils sont tout bonnement vides. Là où ça devient douloureux en plus d’être comique, c’est que l’ensemble a tout de même coûté 6,8 millions d’euros (financés par l’État, la région, le département et la Métro). Si ça ne sert pas pour l’enseignement supérieur et la recherche, cet investissement a au moins rapporté de l’argent à plein de bétonneurs, à un cultivateur de ginko biloba, et à un vendeur de fil de fer. C’est déjà ça.