Accueil > Décembre 2018 - Janvier 2019 / N°48

Métro, c’est trop

Et quand c’est trop, c’est trop pipeau

On a les aventures qu’on mérite : j’ai survécu à une séance entière du conseil métropolitain. J’étais venu humer l’esprit métropolitain dans son cœur, j’ai surtout effectué un voyage au bout de l’ennui. Jusqu’à tomber sur une délibération présentant le futur « manifeste pour une cité métropolitaine  ». Un condensé de novlangue presque hilarant : plus le développement de la métropole complexifie la démocratie locale, plus cette organisation territoriale devient incompatible avec la réduction de la pollution, et plus ses élus en font des tonnes sur la nécessité de « faire métropole ». Vous êtes prêts ?

Et tout d’un coup, Éric Piolle vient s’asseoir à côté de moi. Je ne lui ai rien demandé, hein. Ça fait bien cinq ou six heures que je végète sur les sièges réservés au public lors des conseils métropolitains, l’équivalent des conseils municipaux à l’échelle de la Métropole.
Faut dire qu’il y a de la place autour de moi. Au début du conseil vers 10h, on était quatorze dans le public. En début d’après-midi, juste après la pause repas à laquelle le public n’est pas convié, on n’était plus que trois. Après c’est remonté un peu, entre six et huit, mais tous mes voisins avaient des gros dossiers avec eux, et pas vraiment la tête de « vrais » habitants : sûrement des salariés de la Métro.
Eric Piolle, donc, le maire de Grenoble, se pose à mes côtés pour me féliciter : « Quel sacerdoce ! Vous avez bien du courage de vous infliger ça ! »

Pour une fois, je suis d’accord avec lui : s’il y avait un championnat du monde de la chiantise, le conseil de la Métropole serait une redoutable épreuve à traverser. Il y en a qui font les malins en courant pendant
trente-trois heures pour boucler des ultra-trails, mais seraient-ils capables de supporter une telle affliction ? C’est comme un conseil municipal, mais encore plus chiant.

D’ailleurs, le public ne s’y trompe pas. Les conseils métropolitains sont aussi retransmis en direct sur Youtube. Je connais un « métrophobe » qui les regarde à chaque fois derrière son ordinateur. Pour cette séance du 9 novembre, il m’assure avoir noté entre cinq et quinze « visionnages en cours » pendant la journée. Une semaine plus tard, la vidéo atteignait le nombre vertigineux de 130 vues. À l’échelle d’une métropole de 445 000 habitants, c’est quand même assez remarquable.

Bref, tout le monde se fout de ce qui est voté à la Métropole. Parce que ce n’est pas important ? Sûrement pas. Loin de s’occuper seulement des poubelles, comme certains habitants le pensent encore, la Métropole a maintenant plein de compétences : l’aménagement du territoire, l’organisation des déplacements, la création de zones d’activité, la promotion du tourisme, le soutien à l’enseignement supérieur et à la recherche, la gestion de l’eau potable, la lutte contre la pollution de l’air et les nuisances sonores, les cimetières et le crématorium, la politique de la ville, le pilotage des pôles de compétitivité, certains équipements culturels, etc.

L’ancien premier édile de Claix Michel Octru résume l’affaire en constatant dans Le Daubé (13/10/2018) : « Maire, ça servait et ça ne sert plus. (...) En termes d’urbanisme et de gouvernance, de plus en plus de décisions sont prises à la Métro. Beaucoup de choses échappent aux maires. On se retrouve avec les trous à boucher et les chiens écrasés.  » Il n’a pas voulu m’en dire plus, alors je suis allé discuter avec des élus dissidents d’Eybens et Grenoble (voir l’article La métropole est elle une fatalité, Le Postillon 49).

Revenons à nos moutons et à leur chien de garde : cette séance du conseil métropolitain du 9 novembre est menée par Christophe Ferrari, maire de Pont-de-Claix et président de la Métropole. Pendant des heures, il présente des délibérations, donne la parole à Bidule et à Truc, enchaîne les « Qui s’oppose ? Qui s’abstient ? Adoptée », insensible à cet ennui profond qui se dégage de ces heures d’abattage démocratique. Les 124 élus présents, les dizaines de salariés (membres du cabinet, directeurs généraux, etc) sont tous un peu dispersés ; certains font des allers-retours à la machine à café, d’autres scrollent sur leurs tablettes. Quelques têtes semblent en mode veille, le regard un peu perdu, à attendre que ça passe. Ferrari règne sur ce troupeau, sûr de lui et du bon déroulé de la séance : comme le groupe majoritaire est bien discipliné, toutes les délibérations sont adoptées, sans aucun suspense.

Je suis venu pour respirer ce fameux « esprit métropolitain », que certains élus voudraient « diffuser  » dans toute la population. J’ai surtout compris que les simples habitants n’avaient rien à faire ici, même ceux qui poussent la porte. Ce 9 novembre, des habitants de la Villeneuve sont venus distribuer un tract dénonçant les plans cachés menaçant leur quartier. L’Anru (Agence nationale de rénovation urbaine) vient de refuser de réhabiliter le 10, le 60 sud, le 90, le 110, 120 de la galerie de l’Arlequin, soit près de 475 logements qu’elle propose de démolir. Ces démolitions avec celle définitivement validée mais toujours contestée du n°20 (voir Le Postillon n°43), sont plutôt contradictoires avec la volonté affichée des élus de transformer ce quartier en « éco-quartier populaire ». Détruire des logements en bon état, c’est pas franchement écolo et « en changer la population » - but affiché de ces réhabilitations - c’est pas non plus vraiment populaire.

Malgré leur présence, ce sujet n’a nullement été évoqué pendant le conseil métropolitain : un long débat a bien eu lieu sur « le projet de renouvellement urbain des Villeneuve dans la démarche EcoQuartier ». La gauche s’enthousiasmant comme toujours pour ce futur éco-label, la droite et l’extrême-droite soulignant comme toujours les échecs de la rénovation urbaine. Mais personne pour ne serait-ce qu’évoquer les questionnements des habitants présents parmi les rares membres du public.

Cet autisme n’empêche pas les élus métropolitains de travailler depuis dix-huit mois sur un « manifeste pour une cité métropolitaine  ». Un projet de texte est présenté à cette séance, «  issu de 18 mois d’échanges, de débats, de réflexions partagées  ». Ce document de 36 pages a coûté « 160 000 euros, sans les frais de personnel » selon l’opposition de droite. Qu’y apprend-on ? Que les élus métropolitains ont plein d’intentions très sympa afin de «  faire métropole », du genre « l’intérêt qui doit toujours primer est celui de l’habitant  » ou «  les habitants sont les premières parties prenantes d’une gouvernance métropolitaine confortée.  » De belles paroles souvent incompréhensibles, comme cette longue phrase que je suis obligé de vous citer en entier tellement elle transpire la novlangue : « Notre engagement en faveur d’un développement inclusif, qui ne laisse aucun métropolitain isolé, durable et sobre, dans la continuité de nos engagements pour un territoire décarboné, et résilient, permettant à chacun de disposer des forces pour répondre aux défis de demain, doit être affirmé collectivement, et devra se traduire dans un avenir proche par des orientations fortes et des actions fermes » (1).

Des orientations fortes ? Des actions fermes ? Rassurez-vous, ils ne précisent rien et restent dans les stratosphères de leurs déclarations d’intention creuses. C’est ce que la Métropole produit de mieux, notamment sur les sujets primordiaux de la pollution et des conditions de vie dans la cuvette. On ne compte plus les « plans air énergie climat  », les « déclarations relatives  » et autres grandes déclarations sur la très floue « transition ». Sans jamais s’interroger sur la contradiction entre la nécessaire décroissance énergétique et la raison d’être de la Métropole (2) : grandir toujours pour attirer toujours plus d’investisseurs internationaux.

Ce jour-là, j’ai eu de la chance : le conseil métropolitain s’est terminé à seulement 17h15, « au lieu de 22 ou 23h » comme ça arrive souvent. Par chance, dehors il y avait du vent, du vrai.

(1) Si vous voulez encore plus de phrases creuses, on vous cite également cette petite perle : « Quelles que soient ces orientations, notre mode de développement devra résolument s’appuyer sur la poursuite de la transition en conduisant le changement et en renforçant la résilience du territoire et des habitants.  » Si vous voulez vous amuser, allez faire des phrases aléatoires sur le générateur www.pipotron.free.fr, vous verrez que le résultat est à peu près équivalent à ce charabia.

(2) Dans une tribune au Monde (16/11/2018) intitulée « Métropolisation et transition énergétique : un couple impossible », l’urbaniste Albert Lévy explique en quoi « les politiques privilégiant les grandes agglomérations, en renforçant les contraintes de mobilité, sont incompatibles avec les politiques de réduction des émissions polluantes.  »

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Métropole, pas de bol

Nostra culpa. On doit reconnaître une faute dans notre journal : on ne parle presque jamais de la Métropole. On n’est pas les seuls d’ailleurs : chacun évoque sa commune, critique son maire, mais en fuyant presque toujours le sujet métropolitain.
Grave erreur. Aujourd’hui, c’est la Métropole qui a le plus de pouvoir : depuis 2015 et leur création sur injonction de l’Etat, quantité de compétences lui sont transférées régulièrement. Pendant que les guignols municipaux s’agitent sous nos yeux, les requins métropolitains avancent dans l’ombre. « J’y peux rien, c’est la Métropole » est devenu la dérobade la plus usitée des maires de la cuvette qui s’émeuvent à l’occasion de leur perte de pouvoir. Loin de nous l’idée de les plaindre :
la plupart d’entre eux ont voulu la Métropole, et en tout cas ils n’ont rien fait contre. Le problème, c’est surtout la perte de pouvoir des simples habitants, qui doivent faire face à une usine à gaz administrative de plus.
Au printemps 2020, s’annoncent des élections locales. Vous allez voter pour des équipes municipales, mais pas pour des élus métropolitains. C’est pourtant à cet échelon que se trouvera l’essentiel du pouvoir. D’ici là, Le Postillon espère bien faire fleurir la critique métropolitaine, et lance un appel à témoignages.

Appel à témoignages métropolitains

Pour éclairer les habitants sur l’obscurité métropolitaine, Le Postillon lance un appel à témoignages. Par exemple sur les conditions de travail dans les déchetteries, la collecte des déchets ou autres bas salaires de la Métropole. Ou pour nous éclairer sur les marchés publics métropolitains, favorisant les grands groupes plutôt que les petites entreprises locales. Ou sur les déboires du conseil de développement de la Métropole, organe censé représenter l’avis des habitants. Infoline : 04 76 94 18 65, lepostillon@gresille.org, Le Postillon 42 avenue Jean Jaurès 38600 Fontaine.)]