Accueil > Hiver 2022 - 2023 / N°67

La ZFE va accélérer leur disparition

Les petits garages à contresens

Les petits garages automobile des villes comme Grenoble, c’est un peu comme les tabacs-presse : des lieux en voie de lente disparition. Comme beaucoup de leurs clients ont des vieilles voitures, cette décrue devrait être accélérée par la mise en place des ZFE (zone à faibles émissions), interdisant progressivement les plus vieilles voitures de rouler. Petite tournée de ces lieux atypiques.

Je n’ai jamais eu beaucoup d’estime pour les mécaniciens auto qui ont la réputation pas toujours erronée de faire partie des plus grands arnaqueurs (même s’il y a un match avec les mécaniciens vélo).
Mais n’empêche que j’ai quand même une sorte de tendresse pour ces petits garages de ville. Il y a une certaine esthétique architecturale de ces lieux uniques. Leur côté exigu et mal foutu, qui rend compliquées et presque cocasses les manœuvres des voitures passant sur le billard. Et puis leur anachronisme, qui les fait jurer dans les villes modernes aseptisées.
Ce sont peut-être les derniers lieux où on peut voir des travailleurs manuels s’activer dans les centre-villes. En ville, à part les commerçants, les femmes de ménage, quelques artisans, les salariés de la voirie ou du BTP (...), tout le monde bosse derrière un ordi. Tout le monde, sauf les petits garagistes. Où d’autre peut-on voir du cambouis et des clefs à molettes ?
Alors je me suis servi de la mise en place des ZFE pour tenter de rencontrer certains de ces travailleurs grenoblois. Je dis « tenter » car il faut savoir que le garagiste est une espèce plutôt farouche, en tout cas toujours affairée, et plutôt du genre taiseuse.

Comme attendu, aucun ne soutient le projet de ZFE. Il y a l’aspect économique : une partie plus ou moins majoritaire de leur clientèle possède une voiture crit’air 3, 4 ou 5 qui ne pourra plus rouler dans deux ans. « Les gens qui ont des vieilles voitures viennent dans les petits garages parce que souvent les gros ne les acceptent plus », analyse le taulier du garage Barneoud, rue Mozart. Alors logiquement, « ça va faire une baisse de notre chiffre d’affaires » constate le boss du garage Violette, rue Irvoy. Parce que certains de leurs clients ne pourront pas changer de véhicule et n’auront – théoriquement – plus le droit de venir. Et pour ceux qui parviendront à acheter un véhicule neuf, leur réparation se fera en majorité chez le concessionnaire. Chez TDZ Garage, rue Revol, on explique : « Sur les voitures électriques il y aura toujours un minimum d’entretien qu’on pourra assurer, les plaquettes de frein, les amortisseurs, etc., mais le reste on ne pourra pas faire. » Barneoud confirme : « Les voitures électriques ou hybrides ne sont pas traitées par les petits garages. Regarde là, j’ai une Tesla, parce que je suis aussi un peu électricien et que j’installe l’équipement pour qu’elle puisse officier en tant que taxi. Mais sinon avec une Tesla, le moindre problème, vous allez chez Tesla, les petits garagistes ne peuvent rien faire. Alors faudra aller chez les concessionnaires, mais c’est pas le même prix. Nous la main d’œuvre c’est 66 euros de l’heure, là-bas, c’est plutôt 170... »

Alors forcément, certains garagistes se font du souci. Le gérant du garage Rive Gauche : « Moi il ne me reste que trois ou quatre ans avant la retraite donc ça va, mais pour un jeune garagiste, c’est sûr que ça sera dur. Trois garages ont fermé dernièrement dans le quartier, pour différentes causes. Mais aucun des trois n’a trouvé de repreneur. Déjà que la ville ne nous veut plus, ils m’ont enlevé la place que j’avais à tarif préférentiel juste devant. » Même constat chez Barneoud : « Dans deux ou trois ans, j’ai fini, je pars à la retraite et personne ne va reprendre, je ne revendrai pas le fond. Déjà aujourd’hui, j’ai du mal à trouver des mécanos… Le métier est moins attirant, aussi à cause du passage à l’électrique. Les jeunes aiment les moteurs, quand ça fait vroum vroum. Il n’y a pas de plaisir à bosser sur l’électrique. »

Les « jeunes » – ou en tous cas ceux qui ne sont pas prêts de partir à la retraite – se font paradoxalement moins de mouron et pensent avoir du boulot « encore pour longtemps ». C’est plutôt la situation de certains de leurs clients qui les tracasse. Les exemples absurdes ou injustes pullulent. « Un ami a une vieille 205 diesel et il vient trois fois par an pour livrer des noix à Grenoble. Faudra-t-il qu’il change de voiture pour ces trois incursions dans la métropole par an ? » Chez TDZ garage, on me présente un client : « Regarde, lui, comment il va faire ? Il est artisan, a besoin de son utilitaire tous les jours et là il est déjà hors-la-loi… Ils disent qu’il y a des aides mais ça ne suffira jamais pour s’en acheter un neuf qui coûte 30 000 balles. » Au garage de l’Aigle, rue Général Rambaud, ouvert il y a un siècle par le grand-père du taulier actuel : « Ceux qui ont des vieux véhicules, ce n’est souvent pas un choix. Alors la plupart ne pourront pas changer... »

Au Gai soleil, rue Moyrand, un client âgé vient demander un rendez-vous pour la vidange. « J’ai fait à peine plus de 1 500 kilomètres depuis l’année dernière. Ma voiture a une quinzaine d’années mais seulement 40 000 kilomètres et elle fonctionne très bien. » Pourtant, lui aussi devra changer de voiture s’il veut être dans les clous. « Hors de question ! Jamais de la vie ! » s’énerve-t-il, ce qui fait soupirer la patronne : « Avec cette ZFE, on nous prend pour des cons. »

La ZFE achève le garage solidaire

Il y a un garage que je n’ai pas pu aller voir. Déjà parce qu’il était loin du centre-ville, où j’ai fait mon « micro-garage », et aussi parce qu’il vient de fermer. C’est le Solidar’auto, un « garage solidaire » installé depuis 10 ans à Échirolles, qui a baissé le rideau en octobre, laissant sur le carreau huit salariés. Selon son trésorier Guy Labrunie, c’est – entre autres – à cause de l’arrivée des ZFE, comme il me l’explique par téléphone. « La plupart de nos clients avaient des véhicules aux vignettes 3, 4 ou 5, donc avaient une grosse incertitude sur la pertinence de continuer à les entretenir ou pas. Et puis nous, notre modèle économique était surtout basé sur le don de véhicules, qu’on reconditionnait avant de les revendre. Les véhicules d’un certain âge qu’on pouvait nous donner ne seront plus valables dans quelques années. Et on ne nous donne plus de véhicules récents parce qu’avec la nécessité de changer de voiture due à la ZFE qui arrive, le marché de l’occasion a explosé, donc le prix des véhicules les plus récents a fortement augmenté. Ceux qui pouvaient nous donner des voitures avant préfèrent les vendre. » En pratique « solidaire » ne reste donc à notre connaissance sur l’agglomération que le garage des Soupapes, rue Guy Moquet à Fontaine. Géré par des mécaniciennes, il a pour but de « faciliter l’accès à la mécanique au plus grand nombre et à moindre coût ». Survivra-t-il à la mise en place de la ZFE ?