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Grenoble sous terre – épisode 5

Les bons tuyaux

À Grenoble, il y a les risques nucléaires, chimiques et de ruptures de barrages. Même notre sous-sol n’est pas sans danger : plusieurs pipelines serpentent dans la cuvette, transportant des produits toxiques à haute pression, et en grande quantité. Encore un fabuleux avantage d’habiter dans la « Seveso Valley ». Partons sur les traces de ces réseaux souterrains.

Au Postillon, pour aller à Grenoble, il faut emprunter le pont du Drac. Et sans s’en rendre compte, on passe devant un poteau où est inscrit « Saumoduc, Chloralp, balise n°316. Avant tous travaux à proximité, veuillez téléphoner au 04 75 68 81 33. » Un saumoduc ? Point de saumon dans ce petit tuyau de 40 centimètres, mais de l’eau très salée, qui vogue en direction de la plateforme chimique de Pont-de-Claix.

Alors tout le long du Drac, ces petits poteaux blancs sont presque invisibles, et pourtant omniprésents. Jusqu’à la passerelle vélo/piéton qui traverse en direction du Rondeau, ils sont là. D’ailleurs, on remarque deux dalles de béton au sol, qui figurent la présence d’une pompe. Celle-ci remet de la pression dans le tuyau afin de passer sous le Drac. Avant de reprendre sa course folle jusqu’aux usines en passant par Échirolles. Le pipeline, long de 85 km, part de Hauterives (à la frontière Drome/Isère), où se trouvent des forages souterrains. Là, le sel est extrait par injection d’eau. Le mélange salé, appelé saumure, est recueilli et file plein Est, direction Pont-de-Claix et Choralp. L’eau salée va être purifiée, électrolysée puis transformée (par des méthodes plus ou moins dégueulasses) en différents trucs. Entre autres de l’acide chlorhydrique.

De l’eau salée, à première vue, ce n’est pas un risque énorme. Mais il s’avère que le sel, très corrosif, attaque sans cesse la canalisation qui le transporte. Ainsi, en 2016, de nombreuses fuites ont lieu. À Échirolles en avril, à Saint-Quentin-sur-Isère en mai, août puis septembre – « 400 m3 de saumure se répandent au sol et dans l’Isère », selon Aria (Analyse, recherche et information sur les accidents) [1]. Vourey, le même mois, voit une « centaine de tonnes de saumure se déverser. Aucune zone sensible ou captage n’est proche du point de rupture de la conduite. Un champ de maïs limitrophe peut être impacté par le déversement. »

Chaque année, le manège recommence. Les chiffres de 2018 sont évocateurs. À Saint-Quentin-sur-Isère : cinq fuites, avec 400 m3 de saumure déversés environ. En 2019, puis 2020, des risques sont même relevés, car la canalisation passe par une digue. La « capacité de la digue à résister à une nouvelle crue est mise en cause. Depuis 2016, de nombreuses dégradations de la digue sont imputables à ces fuites de saumures », explique encore l‘État via Aria.

En 2021, « en cinq mois, sept fuites sont repérées sur le saumoduc. L’exploitant coupe l’alimentation pour stopper les fuites. Il vidange le reste de la saumure directement dans la terre. La mort de la végétation en place est constatée. » L’État note encore : « La capacité de la digue à résister à une nouvelle crue est mise en cause. » Seul un projet de remplacement de la canalisation est à l’étude.

Ça, c’est la partie non explosive des pipelines passant par la vallée. Parce que, si on revient à la passerelle du Rondeau, on trouve un autre poteau, le long du Drac. Là, ça ne rigole pas : « Pipeline à proximité : Total. Danger. » Ce n’est pas de l’eau, mais de l’éthylène qui coule dans les veines de métal. Cet hydrocarbure sert à fabriquer du polystyrène ou du PVC. Comme supposé, c’est Total qui transporte. Depuis la passerelle, il remonte vers la zone commerciale de Seyssins, et file sous la rue Henri Dunant. Les panneaux sont là, tout les 100 mètres, rappelant la « demande de travaux obligatoires », ou précisant le « danger » souterrain. Il y a même des stickers montrant une pelleteuse qui creuse la terre. Dans une bulle de BD, il est écrit « risque d’explosion ».

Le pipeline enfile ensuite l’avenue Victor Hugo de Seyssins. Sur la place, des poteaux se multiplient avant de repartir boulevard Paul Langevin, puis à Sassenage, Saint-Egrève, jusqu’à la plateforme de Feyzin, près de Lyon.

Enfouie sous seulement 80 cm de terre, le pipeline interdit la construction de bâtiments IGH (Immeuble de grande hauteur) et ERP (Établissement recevant du public), dans une bande de 200 mètres, le risque étant trop important. Parce que ça fait mal, une explosion d’éthylène. Dans les années 1980, en Saône-et-Loire, un tronçon de ce pipeline est cassé par une machine agricole. « Un important nuage de gaz se développe et explose après 7 minutes (25 à 68 tonnes relâchées). L’inflammation embrase un bois voisin, tandis que le souffle de l’explosion détruit le toit d’un bâtiment agricole et casse des troncs et des branches à 200 mètres ». Imaginez dans une zone urbanisée les dégâts potentiels. L’éthylène vient du port de Fos-sur-Mer et alimente la plateforme chimique de Jarrie.

En suivant la canalisation d’éthylène, on découvre aussi un autre tuyau appartenant à la Société du Pipeline Méditerranée-Rhône. Leurs panneaux sont tous proches de celui de Total. Créé dans les années 1960, ce pipeline est composé de tuyaux de 30 cm de diamètre. Sur les 700 km de canalisation dans le sud-est de la France, coulent chaque année neuf millions de tonnes d’hydrocarbures.

Comme pour le saumoduc, les fuites ne sont pas rares dans la région, comme il y a onze ans à Saint-Jean-de-Bournay. « Des milliers de litres d’hydrocarbure prenaient la poudre d’escampette » (L’Essor, 7 /07/2011).

Alors faut-il craindre des fuites explosives ? Sans s’avancer sur leur probabilité, constations juste que l’existence de ces pipelines, leur utilité et les risques qu’elles induisent, n’est jamais questionné.
Encore un sujet bizarrement absent de l’année « Grenoble capitale verte » : c’est normal ses promoteurs sont les mêmes que ceux de la Seveso Valley.

Notes

[1La base de données Aria (Analyse, recherche et information sur les accidents) répertorie les accidents pour le ministère de l’Ecologie.