Accueil > Décembre 2015 / N°33

Pont-de-Claix entre pistons, dérapages et mauvais goût

Le système Ferrari à plein régime

Tout au bout du cours de la Libération, dans le sud « prolo » de l’agglomération, Pont-de-Claix fait peu parler d’elle au-delà des frontières iséroises. Pour beaucoup, la commune, l’une des plus pauvres du département, évoque surtout la plate-forme chimique voire, depuis 2013, le phare urbain qui aveugle riverains et oiseaux migrateurs (voir encadré). Alors, pourquoi jeter un coup de projecteur sur cette cité de 11 200 âmes ? Pour le contexte politique déjà. Ancien bastion communiste de la ceinture rouge grenobloise, dirigée sans interruption par le PCF depuis 1977, la ville a été conquise en 2008 par un jeune socialiste d’alors trente-neuf ans, Christophe Ferrari. Reconduit pour un second mandat en mars 2014, ce Pontois d’origine, professeur des universités, a progressivement pris du galon, au point d’être élu président de la Métro en avril 2014. Côté pile, le maire vante un modèle de « démocratie participative » et met en avant l’union socialo-écologiste, à mille lieux des relations glaciales entre les deux partis dans le reste de l’agglomération. Côté face, la réalité semble moins reluisante. Éveillé par certains mails et coups de fil, notre intérêt s’est vite trouvé renforcé par divers bruits de couloir et discussions. Harcèlement, copinage, incompétence, malaise, manipulation... Les mots sont forts. Intrigués, nous sommes allés lever quelques lièvres terrés dans les bas-fonds pontois.

Le 17 octobre dernier, à l’occasion de sa journée de la démocratie locale, la municipalité de Pont-de-Claix invitait les citoyens à « hisser la voix ». Par souci de politesse et de citoyenneté, nous avons donc appliqué cette consigne à la lettre, imités en cela par plusieurs agents de la ville. Durant nos quelques semaines d’investigation, ces derniers ont ainsi livré leurs témoignages et anecdotes, brisant l’omerta en vigueur depuis de longues années. Malheureusement, plusieurs faits particulièrement accablants pour l’équipe en place ne peuvent être relatés tels quels - ou alors seulement de manière très générale. La plupart de nos sources ont en effet exprimé un souhait d’anonymat, du fait du devoir de réserve imposé aux agents dans la fonction publique territoriale mais aussi par peur d’éventuelles représailles. Une crainte corroborée par le choix des rencontres, presque toutes organisées en terrain neutre, à l’abri des regards inquisiteurs et loin des rues pontoises. Exagéré ? Certainement pas, aux dires d’un fin connaisseur du contexte local. « à Pont-de-Claix, les murs ont des oreilles », prévient-il, n’hésitant pas à pointer un « système de défiance et surveillance généralisé ».

Pourtant, lorsqu’en 2008, Christophe Ferrari s’empare de la mairie, battant à la surprise générale le maire PCF sortant Michel Blonde, certains agents veulent croire à des lendemains qui chantent. « Au départ, je n’étais pas mécontent », se souvient Philippe [1], recruté sous l’ère communiste. « Ça se nécrosait et on avait besoin de changement. Quand Ferrari est arrivé, il nous a laissé penser qu’on pourrait bâtir des projets. C’était le slogan de la nouvelle équipe d’ailleurs, ‘‘une ville à vivre’’. Ils ont fait travailler les responsables de service sur des grandes actions à mener, on a commencé à rédiger des fiches-action, en 2009-2010. On s’est tous sentis pousser des ailes ! » Laure [2], ancienne militante socialiste, confirme : « Christophe Ferrari est arrivé pour son premier mandat avec une équipe d’habitants non marqués politiquement. On sortait de trente ans de PCF qui tenait la ville. Ferrari a mis un coup de pied dans la fourmilière ! » Très impliquée dans la vie associative pontoise, elle aussi a voulu croire en la volonté du nouvel édile de « bousculer les choses ». Mais cet espoir n’a pas fait long feu, comme le précise Philippe : « On a foncé dans leur projet et puis ça s’est terminé, on a déchanté très vite ! » Petit exemple parmi tant d’autres, une création de poste était prévue dans son service, au début du premier mandat. La suite se passe presque de commentaires : « Le poste est resté à pourvoir pendant un an et puis, un jour, il a disparu de l’organigramme, comme par enchantement », raconte-t-il. « Je me suis renseigné, j’ai vérifié mais je n’ai trouvé aucune délibération à ce sujet. » Petit à petit, Philippe a « senti un éclatement des choses. On ne savait jamais à qui s’adresser, c’était le flou le plus total, on sentait les gens en souffrance. » Quant au pourquoi du comment, difficile de se prononcer : « Je suppose que c’est une stratégie pour régner ou créer la suspicion. à beaucoup d’endroits, ils ont mis des petits chefs qui sont eux-mêmes victimes du système car ils ont atteint leur degré d’incompétence. Du coup, cela donne une énorme désorganisation, un vrai ‘‘merdier’’ ! Mais on a l’impression que ça leur convient. »

Purger les services

À Pont-de-Claix, plusieurs agents ont de plus été victimes d’une pratique fort répandue au sein des services municipaux : celle-ci consiste à confier une mission « fantôme » à un salarié gênant, qui représente un danger à écarter. « On met sur une voie de garage un salarié chez qui on ne sent pas une adhésion pleine et entière ou envers lequel on a un soupçon de réticence à la collaboration », dénonce André [3], qui en a lui-même subi les conséquences. « Le fait d’avoir un rapport trop affirmé à son travail – ou une vraie compétence – ne plaît pas non plus à la hiérarchie », ajoute-t-il, loin d’être dupe sur l’utilité de sa nouvelle mission : « Personne ne s’intéresse trop à ce que je fais et je ne suis pas sûr que ça débouche réellement sur quelque chose. » Pour André, l’affaire était en tout cas entendue dès l’élection de Christophe Ferrari, lorsque le nouvel édile et son équipe ont entrepris de purger les services. « La municipalité précédente avait embauché des cadres que Ferrari s’est empressé de virer. Il est venu avec ses hommes à lui. Leur objectif était de détruire tout ce qui s’était fait, y compris les dispositifs citoyens, comme les conseils de quartier, qui existaient auparavant. » De source syndicale, les nouveaux maîtres de Pont-de-Claix ont entrepris, à leur arrivée, « des réorganisations destinées à rebattre les cartes et chasser certains cadres. C’était une sorte de nettoyage qui leur a permis d’avoir les coudées franches. Et bien sûr, ceux qui n’allaient pas dans le bon sens ont subi quelques représailles. »

Au sein du clan Ferrari, deux personnages-clé, dont la rivalité exacerbée est connue de tous, se distinguent particulièrement : le directeur général des services (DGS) Philippe Serre et l’actuelle directrice de cabinet Yveline Denat. Le premier, tout juste trentenaire, est un véritable « animal politique », aux dents aussi longues que son patron. Envoyé par le PS, en 2008, pour seconder Christophe Ferrari comme directeur de cabinet, il est devenu en 2012, à 26 ans, le plus jeune DGS d’une commune de plus de 10 000 habitants. Candidat dissident aux municipales à Saint-Martin-d’Hères, l’an passé, il se maintient au second tour face au futur maire PCF David Queiros, contre l’avis de la rue de Solférino, ce qui lui vaudra une exclusion du PS dans la foulée. Il rejoint ensuite la Nouvelle Gauche Socialiste, nouveau mouvement politique lancé en juin 2015 par l’économiste et ancien eurodéputé socialiste Liêm Hoang-Ngoc, en vue de former une coalition avec « les déçus du PS et d’ouvrir immédiatement le dialogue avec le Front de gauche, le mouvement écologiste et la gauche radicale, tous ceux qui se battent aujourd’hui contre la politique libérale appliquée par le gouvernement ». Sur le papier, Philippe Serre semble donc davantage marqué à gauche que ses condisciples pontois et s’attelle à le prouver sur sa page Facebook. Le 19 septembre dernier, il cloue ainsi Emmanuel Macron au pilori : « Faut quand même avouer : c’est le combo de macronerie ! Entre mépris et colère... » Puis, le 27 novembre, nouveau post Facebook dans lequel il s’attaque, cette fois, à l’état d’urgence : « J’avoue que se servir des pouvoirs exceptionnels de l’état d’urgence pour assigner à résidence des militants écolos... Je comprends pas tout... Faut pas que la police s’emballe non plus... » Des prises de position presque dignes d’un « dangereux gauchiste » mais loin de convaincre tous les agents municipaux. Des paroles aux actes, il y a souvent un décalage et à l’évocation de son nom, André lève les yeux au ciel. « Philippe Serre est comme Christophe Ferrari, ils n’ont aucune conviction », ironise-t-il. « Ce sont des cyniques. » Même son de cloche du côté de Philippe, qui peine à voir en lui un homme de gauche : « Son leitmotiv, c’est de ne pas remplacer les postes des gens partis à la retraite. » Un employé des espaces verts enfonce le clou : « Lorsqu’il passe à côté des jardiniers, il ne dit même pas bonjour. Il n’a rien à faire dans la gestion de personnel ! » Laure, quant à elle, file la métaphore animalière, qualifiant Serre de « chien de chasse » de Ferrari, qui aurait « bouffé tous les adjoints et tout verrouillé ».

Malaise ambiant

Pourtant, Philippe Serre paraîtrait presque populaire auprès des agents, comparé à Yveline Denat. Surnommée « Cruella » par certains employés, celle-ci a en effet réussi l’exploit de concentrer quasiment tous les griefs des différents services. Amie d’enfance de Christophe Ferrari, elle est arrivée dans ses bagages au début du premier mandat, nommée à l’origine comme chef du pôle Solidarité Vie de la Cité, poste qui lui conféra notamment la direction du CCAS et celle des affaires culturelles. « à ce moment-là, elle avait près de 250 agents sous ses ordres », affirme Romain [4] – qui, dans son service, a eu de nombreuses fois affaire à Yveline Denat – avant de sortir la sulfateuse : « Denat, c’est une folle, une perverse, elle a un vrai problème psy, je pense. Elle était dans le harcèlement permanent et le sabotage, passait son temps à nous mettre des bâtons dans les roues. C’est une femme hyper sournoise, qui ne sait pas déléguer et veut tout contrôler. Elle a fait craquer plein de gens, dont une copine de boulot qui s’est retrouvée en arrêt. Un agent du CCAS a aussi été traumatisé. » Benjamin [5], qui a également collaboré avec Yveline Denat dans un autre service, n’est pas plus tendre avec son ancienne supérieure hiérarchique : « On a eu d’emblée des soucis. Elle est très manipulatrice, fait dans le harcèlement. Elle est du genre à ne pas donner les infos ou alors au dernier moment. » Il décrit également un « sentiment de terreur » et un « climat de suspicion et de méfiance. Elle monte les gens contre les autres. » En outre, Yveline Denat a placé « des gens sous sa coupe » et des taupes infiltrées un peu partout. Plusieurs exemples frappants, glanés auprès de différentes sources internes, illustrent ces méthodes balkanyques [néologisme levalloisien]. Dans tel service, c’est un agent notoirement tire-au-flanc – surnommé « l’œil de Moscou » par ses collègues – qui lui ferait ses rapports. Dans tel autre, le personnel découvre que l’objet du stage d’un étudiant est en réalité d’effectuer une évaluation des services et des dysfonctionnements. Des pratiques contestables qui, selon André, vont de pair avec un « manque de compétences. Non seulement elle a fait le vide et tient les gens en s’entourant d’esclaves mais en plus, elle est défaillante au niveau professionnel. » « Je pense qu’elle est incompétente et qu’elle n’était pas très claire dans la gestion budgétaire », ajoute Benjamin.

Une chose est sûre, le malaise ambiant est perceptible au sein des services municipaux. Et celui-ci relève de causes beaucoup plus larges que la simple personnalité des lieutenants de Christophe Ferrari. Pour y voir plus clair, nous avons rendu visite à une salariée syndiquée. Celle-ci désigne sur ses étagères une pile d’une quarantaine de dossiers d’agents en stand-by, correspondant à la période 2011-2015. Les cas sont variés mais représentent presque tous des employés en souffrance et/ou en conflit, bien souvent en arrêt de travail prolongé. « Il y a très peu de choses qui se règlent », déplore-t-elle. « S’il y avait une réelle volonté de la hiérarchie d’améliorer les choses, ce serait déjà fait. » D’après ses chiffres, la ville de Pont-de-Claix est passée de 16 828 journées d’absence cumulées en 2011 à 20 255 en 2013. « On a un équivalent de 40 agents absents toute l’année mais le maire nous a dit qu’on était dans la moyenne nationale », ajoute-t-elle. La réponse de Christophe Ferrari laisse sceptiques Romain et Benjamin. « Ces dernières années, on a eu beaucoup d’absentéisme et d’arrêts maladie », souligne le premier nommé. « Chaque jour, on recensait au moins 60 absents sur un peu plus de 500 agents. » Benjamin évoque quant à lui un taux d’absentéisme de plus de 10 %, donc supérieur à la normale. S’il est difficile d’obtenir des chiffres précis tant les formules de calcul divergent, une étude récente du courtier en assurance Sofaxis évalue à 7 % le taux d’absentéisme moyen dans une collectivité locale, en 2013. « Les situations sont diverses », estime le syndicat, pour expliquer le cas pontois, « mais il y a des catégories d’agents plus sensibles que d’autres : ce sont les métiers les plus pénibles, comme la voirie ou les espaces verts. Parmi eux, beaucoup devraient bénéficier d’un reclassement mais celui-ci ne se fait pas. Les ressources humaines seraient soit-disant débordées et n’auraient pas que ça à faire. Forcément, lorsque des agents qui ne peuvent plus exercer leur métier ne sont pas reclassés, cela conduit à une répétition des arrêts de travail. »

« Les agents sont des pions »

Après une grève, en 2012, sur les questions de santé au travail et plusieurs années d’alerte de la part du personnel, les syndicats ont demandé et obtenu un audit, début 2015. « Le cabinet chargé de le mener a été choisi par la mairie, les agents ont été tirés au sort et audités à plusieurs en même temps », regrette Benjamin. « En plus, on n’a jamais eu de compte-rendu complet, seulement un rendu partiel. » L’audit a toutefois conduit à une réorganisation et Yveline Denat a quitté son poste pour celui de directrice de cabinet. Conséquence : Pont-de-Claix, commune de 11 200 habitants, se retrouve avec deux personnes au cabinet. Pourtant, selon l’article 10 du décret n°87-1004 du 16 décembre 1987 relatif aux collaborateurs de cabinet des autorités territoriales, « l’effectif maximum des collaborateurs du cabinet d’un maire est fixé à une personne lorsque la population de la commune est inférieure à 20 000 habitants ». Une incongruité parmi d’autres, dans une ville où les petits arrangements - avec la réglementation ou avec la logique - sont légion. André nous présente ainsi l’une des grandes spécialités pontoises : « Leur politique, c’est de faire monter des catégories C et leur donner des responsabilités qui les dépassent. Les gens ont l’impression que leur travail n’a plus de sens puisque n’importe qui peut le faire. » De manière générale, dénonce Benjamin, « les agents sont des pions qui sont déplacés d’un poste à l’autre, sans aucune logique. Beaucoup de gens sont placés à des postes qui ne correspondent pas à leurs compétences ou à leur qualification », dans un sens comme dans l’autre.

À cet égard, le cas de David [6] est édifiant. Depuis l’élection de Christophe Ferrari, cet agent a dû avaler bien des couleuvres. Tout avait pourtant bien commencé : embauché sous la mandature de Michel Blonde, il se souvient d’une époque où « tu connaissais tout le monde, tu avais des repères, des interlocuteurs, de la place pour la motivation, et aussi une vraie mission de service public ». Petit à petit, il « gagne des responsabilités ». Malheureusement, les choses vont commencer à se dégrader à l’arrivée du duo Ferrari-Denat. Très vite, ses rapports avec la nouvelle équipe se dégradent : « J’ai senti que je ne correspondais pas à l’idée qu’ils se faisaient de l’encadrement. J’étais peut-être trop humain. » La municipalité profite d’une réorganisation des services pour le muter dans une autre structure. Durant des années, il va ainsi se retrouver sur un poste sans aucun rapport avec sa qualification et sa formation. « Je le vivais comme une rétrogradation », explique David. Et même lorsqu’il peut enfin postuler à un poste correspondant à ses compétences, il doit une nouvelle fois déchanter. « J’étais emballé, j’avais le profil parfait, on avait beaucoup parlé avec la responsable du projet mais on m’a dit que ce n’était pas pour moi, qu’il fallait que je redémarre à zéro. » Comble de l’absurdité, la mairie choisit à la place quelqu’un qui ne voulait pas de ce travail. Dépité, David porte aujourd’hui un regard désabusé sur cette expérience : « Il y avait du potentiel et plein de trucs à faire mais à force de mettre des gens n’ayant pas les compétences sur des missions d’encadrement, ça fait du dégât. Les gens sont tellement blessés qu’ils perdent toute motivation, c’est un vrai gâchis ! »

« Un mégalo, obsédé par le rayonnement de la ville »

Pour David et les autres, la pilule est d’autant plus dure à avaler que, dans la garde rapprochée de Ferrari, piston et copinage fonctionnent à plein régime. La belle-sœur du premier adjoint Sam Toscano a ainsi obtenu le poste de secrétaire du maire, tandis que le frère de ce dernier, James Toscano, a été nommé gardien du centre aéré, avec le logement de fonction et la piscine qui vont avec. Naturellement, dans ce type de cas, le piston est difficile voire impossible à prouver. Pourtant, la coïncidence est troublante... Même chose à l’EHPAD où Philippe Serre a fait placer l’une de ses proches, au vu et au su de tout le monde. Par ailleurs, les élus se sont octroyés deux augmentations de leur indemnité, une première fois le 17 avril 2014 et la seconde le 2 juillet 2015, d’après les délibérations municipales – l’indemnité du maire a ainsi été majorée d’environ 370 € bruts en un peu plus d’un an [7]. Rien d’illégal en soi mais difficile à accepter pour des agents qui sont, eux, soumis à une cure d’austérité forcée ! Romain met ainsi en parallèle cette hausse avec les mesures drastiques imposées par la municipalité : « Ils revoient tous les budgets à la baisse, dégraissent la masse salariale, pressent le personnel comme des citrons... Et quand les contrats arrivent à terme, ils ne les renouvellent pas. » « Les économies se font avant tout sur les effectifs, les départs à la retraite ne sont pas remplacés », confirme-t-on de source syndicale. D’où une interrogation : « Comment faire une péréquation entre un service public de qualité et la diminution des effectifs ? » à Pont-de-Claix, comme ailleurs, ce mouvement général est déjà bien enclenché. Certaines compétences communales traditionnelles font l’objet de transferts à la Métro, d’autres, comme l’éclairage, sont désormais gérées par des sociétés privées. Si la mission de service public en pâtit forcément, Christophe Ferrari se dédouane, pointant le désengagement de l’Etat. Interrogé par Le Daubé, en septembre 2014, il appelait ainsi l’Etat à « geler la baisse des dotations aux collectivités », tout en estimant « nécessaire de résorber le déficit public ».

À l’instar de Philippe Serre, le président de la Métro jouit auprès du public et des médias d’une image de « véritable homme de gauche ». Avant le congrès de Poitiers du PS, en juin dernier, il s’est d’ailleurs fendu d’un message remarqué sur sa page Facebook : « Républicain convaincu et acharné, élu local, je mesure tous les jours les violences du libéralisme et ses impacts sur bon nombre de nos concitoyens. Maire d’une commune populaire, j’ai vu la désindustrialisation de ma commune, la précarité s’installer autant chez les jeunes que chez nos anciens. Je ne peux m’y résoudre. » Un plaidoyer en faveur de la motion B de Christian Paul, soutenue par les frondeurs du parti – même si Ferrari se défend de l’être –, qui a fait rire jaune la plupart de nos interlocuteurs. Ceux-ci pointent le fossé entre le discours et la réalité du terrain. Pour une mairie de gauche, les choix budgétaires questionnent, en effet : arrêt de l’épicerie solidaire, réduction du nombre d’ATSEM dans les classes... Autre exemple, plutôt symbolique mais néanmoins parlant : la municipalité, chantre de la démocratie participative, avait promis à la Maison de l’habitant qu’elle pourrait choisir le nom d’un nouveau parc reliant les quartier des Iles de Mars et des Olympiades. Un groupe de travail impliquant des habitants et des associations s’est donc constitué et a installé des urnes où les gens pouvaient proposer les noms de leur choix. Au final, six noms – tout sauf polémiques – ont été présentés aux élus mais ils n’en ont accepté aucun, au grand désarroi des participants ! « Ce pour quoi Ferrari a été élu n’a pas été mis en application », assène Laure. « De toute façon, ces gens-là ne sont pas de gauche : leur truc, c’est ‘‘on donne parce qu’on veut qu’on nous voit donner’’. » La ville n’a en revanche aucune réticence à acheter pour 250 000 € un spectacle de Papagalli ou à entreprendre des projets onéreux et tape-à-l’œil : le fameux phare urbain à plus de 300 000 €, les Moulins de Villancourt amenés à devenir une cité des arts et des sciences avec Planétarium et salle de formation, etc... Selon Romain, « leur but est de faire venir les classes moyennes à Pont-de-Claix. Ils attendent tous que la plate-forme chimique se casse la gueule, ce qui libérerait de la place pour construire des logements. » Mais avant cela, il faudra dépolluer le site, ce qui ne sera pas une mince affaire.

« Ferrari est un mégalo, obsédé par le rayonnement de sa ville », ajoute Romain. Le phare urbain, aberration écologiste – ce qui est savoureux lorsqu’on entend l’édile se vanter d’être « écolo-compatible » –, répond justement à cet objectif. « Son grand truc, c’est d’avoir des prises de guerre, il n’agit que comme ça », ironise André. Illustration avec le débauchage d’Eléonore Perrier, secrétaire nationale du MRC (mouvement républicain et citoyen), qui a rejoint son équipe à Pont-de-Claix, en provenance de la mairie de Grenoble, avant les municipales de 2014. Un agent croit aussi savoir qu’il envisagerait de déplacer le CCSTI (Centre de culture scientifique et technique industrielle) dans sa commune. Depuis son élection à la tête de Métro, le maire s’est en tout cas fait plus rare à Pont-de-Claix et délègue beaucoup. Il observe, tel un arbitre, la guéguerre interne opposant Yveline Denat, soutenue par les élus, à Philippe Serre, qui tente de les mettre au pas. Des luttes de pouvoir qui se répercutent sur les agents et la population mais « n’embêtent pas le maire », juge l’une de nos interlocutrices : « Pendant que les autres se battent entre eux, lui fait le boulot à la Métro. » En bon politique, Christophe Ferrari soutient ses deux lieutenants à la fois, sans prendre parti. Surtout, il reste le seul maître à bord. « C’est un tyran, que le pouvoir a rendu fou », tacle André. à l’image des photos officielles où son regard et sa tête levée le portent très loin, vers l’horizon, Christophe Ferrari voit bien au-delà des frontières pontoises. On ne saurait trop lui conseiller de prendre garde : à ne pas regarder ses pieds, on risque la chute !

Phare urbain, cauchemar nocturne

Nous l’évoquions déjà dans Le Postillon numéro 22, Pont-de-Claix s’est dotée, en juillet 2013, d’une attraction aussi imposante que coûteuse et inutile, transformant son vieux château d’eau désaffecté en un phare urbain. Pour évoquer l’événement, le web-magazine du département de l’Isère versait dans le grandiloquent : « Le 13 juillet 2013, à la tombée de la nuit, Pont-de-Claix se rapprochait de la mer... Son château d’eau venait de se transformer en phare urbain, diffusant un laser de lumière bleutée. » Le site de la ville détaille, lui, plus sobrement, le fonctionnement du dernier joujou de Ferrari : « Un faisceau lumineux panoramique, installé au sommet du château d’eau, balaye à 360° le ciel de Pont de Claix et des communes avoisinantes jusqu’à quatre kilomètres. Des projecteurs posés en sous-face de la corniche éclairent la canopée (cime des arbres). » L’explication fait rire jaune certains habitants du secteur, à l’instar de Chrystel, résidente de Seyssins, qui a adressé un mail au maire de Pont-de-Claix. « Il se trouve qu’en plus de la cime des arbres, vous éclairez aussi les habitations qui se trouvent en hauteur sur les communes voisines. Depuis cette date, nous avons le faisceau de votre phare dans les yeux, depuis notre canapé. Nous n’en pouvons plus ! » Non content de gêner la population, l’édifice réussit également la prouesse d’impacter l’environnement. Hélène Foglar, responsable du pôle veille / expertise de la Frapna Isère (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature) liste les points noirs du phare. Tout d’abord, un gaspillage énergétique induisant des coûts environnementaux : assez cocasse, raille-t-elle, « de la part d’un maire portant un plan climat au niveau de la Métro qui, elle-même, nous finance une action contre la pollution lumineuse » - ironie de l’histoire, la Frapna touche en effet une subvention de la Métro. Deuxième point, l’éclairage des falaises de Comboire, sur les contreforts du Vercors, où nichent des grands ducs et faucons pèlerins, et de la réserve naturelle des Isles du Drac. Deux grands ducs y sont d’ailleurs décédés récemment, sans que l’on puisse établir à coup sûr un lien direct avec le phare. Enfin, un impact sur la migration des oiseaux. « La majorité des passereaux migrent de nuit et on a la preuve que les agglomérations éclairées les déroutent, leur font perdre de l’énergie et risquer des collisions avec des bâtiments », explique Hélène Foglar. Après avoir demandé - en vain - l’arrêt complet du phare au départ, la Frapna, la Réserve naturelle régionale des Isles du Drac et l’ANPCEN (Association nationale de protection du ciel et de l’environnement nocturne) ont rencontré, en décembre 2014, le directeur des services techniques de Pont-de-Claix : « Il semble honnête et de bonne volonté mais a sans doute un gros devoir de réserve. Il nous a promis qu’il allait changer la couleur blanche et mettre un éclairage moins puissant, malheureusement je ne suis pas sûr que ce soit la volonté du maire. » Les discussions ont permis d’obtenir une limitation du faisceau pour qu’il ne balaye plus la réserve ainsi que l’extinction du phare pendant les pics de migration, à savoir un mois et demi au printemps et idem en automne. Un premier petit pas, qui ne contente pas la Frapna : « On a négocié au moins pire mais ça reste une perturbation tout le reste du temps et une aberration totale ! » Visiblement, à la mairie de Pont-de-Claix, on n’a pas la lumière à tous les étages.

Notes

[1Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.

[2Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.

[3Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.

[4Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.

[5Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.

[6Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.

[7Voir le droit de réponse de Christophe Ferrari, accessible en page d’accueil du site, et notre rectification à venir dans le prochain numéro du Postillon