« Moi, je suis sortie de l’usine de ST MicroElectronics en 2018. J’étais toute neuve, rutilante, et l’équipe de com de la Métro m’a direct scotchée sur une brique. Mais j’ai réussi à m’évader, et depuis je gravite dans les déchets de poubelle en poubelle. À la Métropole, je les connais bien du coup. Et je trouve qu’ils multiplient de plus en plus les choix politiques discutables. Rends-toi compte, pour être sûr que vous triiez bien vos déchets, ils vont instaurer une tarification incitative : la taxe d’enlèvement des ordures ménagères sera divisée en une partie fixe, et une partie variable qui sera indicée sur le volume de poubelles que vous jetez. En gros, ils te feront payer en fonction du nombre de fois qu’ils ramasseront tes poubelles. Pour pouvoir compter facilement, les poubelles des ménages de la Métropole vont être remplacées par des poubelles à puce RFID, ce qui représente plus de 150 000 nouveaux bacs. Je connais des gens qui font de la récup’ tous les jours à la fin du marché. Souvent ils doivent jeter de la bouffe quand elle est trop abîmée, du coup ils seront pénalisés pour ça ? Et puis y a la question des immeubles. Si la copro décide de garder les bacs et de mutualiser les éventuelles amendes entre les habitants, ça promet une bonne ambiance à la fête des voisins. Forcément je pense aux conséquences : poubelles laissées à l’abandon, ou jetées dans l’Isère… comme c’était le cas dans le Sud Grésivaudan quand la tarification incitative a été mise en place, je me souviens que vous en aviez parlé dans Le Postillon numéro 17 que j’ai croisé dans une poubelle. Les gens sont dingues de jeter ce canard, quand on sait le prix que ça vaudra dans 20 ans !
Et faut pas croire, le flicage va s’intensifier. Ces derniers mois, la Métropole a voté la création d’une police de l’environnement qui pourra dresser des procès-verbaux, principalement dans le cadre des dépôts sauvages. Une deuxième police, la police spéciale de la collecte des déchets va aussi voir le jour. Son action est assez limitée : pas de sanction prévue, sauf celle de refuser la collecte si la poubelle contient trop d’erreur de tri. Dans les faits, une équipe passe avant la tournée des éboueurs et met de la rubalise autour des poubelles pour indiquer aux éboueurs qu’elles ne doivent pas être vidées. Imagine, tu rentres le soir du boulot, tu retrouves ta poubelle enrubannée avec les sacs éventrés à l’intérieur, alors tu dois tout trier à nouveau, et c’est là que tu t’aperçois que c’est parce que tu avais jeté le magazine Gre.mag dans la poubelle grise au lieu de la poubelle verte. L’angoisse !
Bon, et une fois que vous les humains serez devenus de bons éco-citoyens à grand coup d’amendes, le recyclage deviendra-t-il une affaire qui roule à ton avis ? Pas du tout ! Moi j’ai pas mal traîné à Athanor, le centre de tri de l’agglo qui s’occupe du traitement des poubelles des ménages de la Métropole, et de six collectivités territoriales alentour d’ici 2021. Pour le trouver, pas besoin d’une puce GPS, il suffit de se diriger à l’odeur. Chaque jour, 300 tonnes d’ordures arrivent dans cette usine où travaillent une soixantaine d’opérateurs. Les déchets sont triés sur les lignes où se côtoient robots et ouvriers, puis compactés en gros cubes. Si les métaux sont recyclés dans des fonderies en France, le plastique sera fondu dans des plasturgies en Italie du Nord, et ma fameuse brique alimentaire envoyée dans la Drôme, dans les Vosges ou… en Espagne. Et oui, tout ce que tu jettes dans la poubelle verte peut parcourir des centaines de kilomètres avant d’être recyclé. Pour Georges Oudjaoudi, l’ancien vice-président de la Métropole en charge de la gestion des déchets, « valoriser la matière est un choix politique. On ne regarde pas les bilans énergétiques même s’ils sont mauvais » (www.rue89lyon.fr, le 29/11/2016). Bon bah voilà, comme souvent, la façade verte compte plus que la protection de l’environnement.
De toute façon, les déchets de la poubelle verte sont loin d’être tous recyclés, si aucune entreprise ne veut les racheter, alors ils finissent à l’incinérateur. Et avec les consignes de tri simplifiées, comme il existe peu de filières pour recycler les plastiques fins, pratiquement la moitié des déchets recyclables sont brûlés. En fait, depuis la complexification des matières premières dans les années 70, le recyclage est de plus en plus compliqué : entre la difficulté technique de donner une seconde vie aux plastiques complexes et leur rentabilité médiocre, peu d’entreprises se bousculent à Athanor pour racheter les ballots. De toute façon, depuis la fermeture du marché chinois en 2018, l’Europe n’arrive pas à écouler son stock de déchets recyclables, faute de repreneurs, et le centre de tri d’Athanor n’est pas épargné. Les plastiques finissent donc à l’incinérateur, géré par la société mixte CCIAG (la Compagnie de Chauffage), dont Dalkia est actionnaire à 42%. L’entreprise récupère la vapeur d’eau issue de l’incinération pour alimenter le réseau de chaleur urbain de la Métropole, puis les fumées et les cendres sont filtrées et stockées dans des décharges. De nombreux riverains s’inquiètent de leur toxicité, mais ne t’inquiète pas, la Métropole a commandé une étude en 2018, et on y apprend que l’incinérateur n’est pas dangereux pour l’environnement. Les puces, on les met pour fliquer les gens, hein, pas pour vérifier que l’air est sain.
Si ces situations absurdes existent, c’est parce que le recyclage des déchets est soumis à la loi du marché, avec son lot de spéculation et de concurrence. Vos ordures sont laissées dans les mains avides des entreprises privées, voire même d’organisations criminelles internationales qui ont investi le secteur de l’exportation de déchets plastiques vers l’Asie. Interpol s’est saisi de la question comme je l’ai lu dans Le Monde le 27 août 2020 : « Les pays exportateurs peuvent annoncer des taux de recyclage artificiellement élevés, alors que subsistent en fait de très grandes incertitudes sur le traitement des déchets exportés. » À Grenoble, avant mai 2020, c’était Pizzorno Environnement qui gérait Athanor en délégation de service public. Et l’environnement, cette entreprise varoise en prend grand soin, comme l’attestent ses nombreux déboires judiciaires : gestion désastreuse de méga-décharges, mise en examen pour corruption dans le cadre de marchés publics, lobbying... Enfin, tout ça c’est du passé, puisqu’à Grenoble depuis le 1er mai, c’est Dalkia Wastenergy, filiale d’EDF, qui a remporté l’appel d’offres de délégation de service public d’Athanor. Mais les casseroles n’ont pas disparu, puisque le Grand Lyon a été sanctionné en 2007 pour avoir favorisé Dalkia dans l’appel d’offre public pour la gestion du chauffage urbain.
Moi je suis qu’une bête puce mais quand même je me demande, est-ce que tous ces efforts de la Métropole changent vraiment quelque chose, puisqu’ils ne sont dirigés que vers les particuliers et les petits commerçants ? Je veux bien qu’on me scotche sur des déchets industriels tiens, pour voir ce que ça donne. Mais ça ne relève pas de la compétence de la Métropole... Pourtant, ce serait intéressant de connaître la quantité globale d’ordures produites chaque année par les grosses boites. La plupart des entreprises incitent leurs employés à utiliser une tasse plutôt qu’un gobelet, à imprimer en noir et blanc, mais je me demande ce que deviennent les déchets industriels issus des usines, les tonnes de cartons et de plastiques qui sortent des plateformes logistiques ? Où vont les déchets issus du BTP (béton, plâtres, équipements électriques, PVC…) peu recyclables et qui représentent à l’échelle nationale 68% des déchets selon l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) ? « Il n’y a pas de petits gestes pour moins jeter, tous comptent ! », affirme la Métropole. En tout cas une chose est sûre : il y a des grosses industries pour continuer à polluer. »