Accueil > Juin 2010 / N°06

Le conseil municipal et ses pantins

Mais comment se déroule un conseil municipal ? Simple chambre d’enregistrement des décisions prises en catimini par les pontes de la mairie ou réel espace de débat «  démocratique  » ? Ouvert au public, le conseil municipal est-il une cour de récréation ou un théâtre de Guignol ?
Se plaignant de ne «  servir que des cafés à longueur de journée  », le stagiaire du Postillon s’est vu confier une mission : se coltiner l’intégralité du conseil municipal du 26 avril 2010. Avant de retourner sur les bancs de son école à larves de journalisme, il nous a remis son papier. Mieux qu’une caméra de vidéosurveillance : il a enregistré minutieusement les propos, faits et gestes des élus. [1]

Dans les papiers officiels, «  le conseil municipal représente les habitants  » d’une commune et «  exerce ses compétences en adoptant des délibérations  ». Cette assemblée est ouverte au public. Bref, un truc sérieux, démocratique et transparent.
16h50, en haut des marches de l’hideuse mairie construite à l’occasion des J.O. de 68, des journalistes papotent clope au bec. Dix minutes à tuer avant que le conseil ne commence. Une entrée pour les élus et les fidèles, une autre pour le public. On ne se mélange pas. Un policier municipal barre le chemin et demande à fouiller le sac. Inhabituel. Il ne s’agit pourtant pas du conseil municipal du mois de mai qui a vu une horde d’opposants à la vidéosurveillance s’imposer en ce lieu. Le policier répond mécaniquement : «  Pourquoi aujourd’hui ? Je ne sais pas. Ce sont les consignes du cabinet du maire ». Les «  débats  » sont ouverts au public mais déjà le cabinet se méfie de la populace. C’est qu’il faut rester entre connaissances dans ce petit théâtre de la «  démocratie  ».

Des élus viennent saluer les journalistes, leur tapent parfois la bise ou leur serrent la main, ça déconne. Le boute-en-train Fabien de Sans Nicolas (UMP) évoque une histoire de string et de plumeau avec une journaliste. En attendant l’arrivée de Michel «  Kim Yong-nam  » Destot [2], président de l’assemblée, les élus papotent et rient.
Plus des trois quarts de l’espace sont dédiés aux élus, aux membres du cabinet du maire, aux directeurs de services, aux attachés de groupe et aux journalistes. Les 50 places restantes sont destinés au public, derrière une cloison d’un mètre vingt de haut. Pour une population de 160 000 habitants, ça fait un bout de siège à se partager à 3 200... Cependant, il est peu fréquent que cet espace ne soit complètement rempli. Rarement plus 40 personnes. Il faut dire que la municipalité n’incite pas les Grenoblois à se déplacer au conseil municipal ni à s’y intéresser : aucune communication (elle qui publie des dépliants sur papier glacé gratuitement dans les boites aux lettres à longueur d’année), si ce n’est les dates des conseils sur le site internet de la ville de Grenoble. Les comptes-rendus de séances, qui ne stipulent que les délibérations adoptées, sont illisibles : des photocopies balancées comme de vieux chiffons numériques [3]. Dans le même temps, la ville se targue de ses 5 arobases, une distinction qui récompense la qualité de l’ensemble des services et usages pour faciliter l’accès à l’information (!).
Dos au public, une rangée de journalistes. Les aficionados, ceux qui ont le mérite de venir régulièrement et de tenir jusqu’à la fin du conseil pour picorer dans le buffet : Grenews et le Daubé. Ils sont entourés - bizarrement - par des attachés du groupe PS. Les autres médias (France Bleu, France 3, Nostalgie, RCF, Télégrenoble) viennent comme bon leur semble : il leur faut un sujet «  sensible  » ou «  chaud  » pour qu’ils daignent se déplacer. Au théâtre, on a besoin de spectacle, sinon ça n’en vaut pas la chandelle.

Sur les rangs à gauche de la salle, les élus dit de droite. A droite, les élus dit «  écolos  » (Vert, Alternatifs, ADES) et les communistes. Au milieu de ces quatre élus communistes, qui appartiennent à la majorité, qui trouve t-on ? Un élu PS, Pascal Garcia. Pourquoi ? Peut-être tout simplement pour former un groupe PC plus conséquent. Quand on sait que la taille du groupe détermine l’enveloppe financière attribuée à chaque groupe pour les doter «  de moyens en termes de locaux et de matériel de bureau et la prise en charge des frais de fonctionnement  [4], on pourrait supputer qu’il s’agisse d’une petite magouille légale entre amis mais nous n’oserons pas...

Tout au fond : le maire (Kim Yong-nam), son premier adjoint à la sécurité (Jérôme «  Kim Yong-il  » Safar) [5] et la benjamine du conseil : Camille Plet (Ex-Modem, Grenoble Démocrate). Elle est officiellement censée être la secrétaire de séance, ce n’est pas pour autant qu’elle prend des notes. Sa présence aux côtés du premier adjoint, lui assure simplement une visibilité et un collègue avec qui bavarder pendant ces ennuyeuses séances.
Au centre : le reste des élus de la majorité. Tout autour, des attachés de groupes, des membres du cabinet du maire et des directeurs de service.
Un vidéo projecteur est suspendu au plafond. Une baie vitrée, cachée par des rideaux, donne sur le parc Paul Mistral. Les petites plaques nominatives sont disposées sur les tables des élus comme à un repas de mariage. D’une inutilité risible : minuscules, les noms sont illisibles pour le public.

Le maire procède à l’appel. 59 élus composent le conseil municipal. 44 pour la majorité (PS, Modem, PC, Go Citoyenneté, PRG, Société Civile... ) et 15 pour l’opposition, [6] «  écolos  » et 9 de «  droite ». Certains sont absents et donnent procuration à leur copains. D’autres arriveront plus tard. On comprend ces absences, quoi de plus ennuyeux qu’un conseil municipal : les dialogues sont écrits à l’avance. Pourquoi faire de la figuration ? Ah si peut être pour justifier les «  indemnités de fonction  ». Le maire touche environ 2 000 euros, les adjoints 2 900 euros, les conseillers délégués 1 300 euros et le simple conseiller municipal 300 euros6, frais de déplacement non compris.

Michel Kim Yong-nam assis sur son trône donne la parole à des élus de l’opposition pour les questions orales. (Voir encart).
Fabien de Sans Nicolas, Nathalie Béranger (UMP) et Gilles Kuntz (Alternatifs) posent leur question. Pendant ce temps là Jerôme Safar plaisante avec Camille Plet. Le maire n’écoute même pas, il a prévu sa tirade, les questions lui ayant été remises par écrit plusieurs jours auparavant. Il s’empare du micro pour un discours fleuve de 20 minutes. Lançant à tout va des : «  Je ne suis pas un adepte des polémiques  », puis ses termes fétiches «  sans dogmatisme  » ou encore le mensonger «  c’est en toute transparence que nous voulons expérimenter ce dispositif  »... l’effet radical d’un somnifère.
Seul Riton Porchier, photographe au Daubé, vient troubler l’ordre régnant à coup de flash par-ci par-là. Jacques Chiron (PS), adjoint aux transports, joue avec son portable. Farid Derbal (PS) lit silencieusement l’Equipe. On respecte le maître des lieux lorsqu’il s’exprime.

Les questions orales réglées, les délibérations peuvent commencer. Ça n’intéresse plus Stéphane Echinard, (apparenté Grenews) qui se lève, paquet de clope à la main et sort de la salle. Tout comme Alain Pilaud, adjoint aux sports, qui s’en va, dossiers sous le bras. Nathalie Béranger, téléphone. Gilles Kuntz l’infatigable opposant, vient discuter avec Pierre Kermen, ancien élu (ADES) dans le public... Pendant ce temps là, la première délibération est présentée par Monique Vuillat (Société Civile), adjointe au logement et à l’habitat. Elle cause dans le vent. La salle du conseil municipal se nourrit d’un brouhaha qui rend inaudible ses propos. L’adjointe craque alors que Stéphane Siebert (PS), adjoint aux développement durable et aux défunts jeux olympiques, baille : «  Y a un remous un peu pénible, moi je ne parle pas quand y a du bruit !  ». Kim Yong-nam tapote de son stylo sur le micro. De ce geste d’autorité, la salle se calme.

Les délibérations se poursuivent. Des mains se lèvent pour intervenir. Destot distribue la parole. Lui seul peut intervenir quand ça lui chante et coupe parfois les élus qu’il estime trop bavards. Il aime cet espace de la démocratie locale, le président de séance. «  Y a des soirs où l’on est plus inspiré que d’autres !  » lance t-il en guise de réponse à un élu de l’opposition. Puis agacé il rétorque «  Si on relance systématiquement les débats comme ça, on en finit pas !  » La faim se fait sentir. Le buffet dans la salle à côté refroidit. Kim Yong-nam baille, micro ouvert. Toute la salle en profite. Le débat est clos pour cette délibération. Kim Yong-il n’est pas plus fin, juste un brin plus prétentieux, il lance : «  Comme je suis un homme cultivé, je vais vous répondre un peu plus dans le fond  ». Ricanements du côté de la majorité. Philippe De Longvialle (viré du Modem), adjoint à l’urbanisme, s’éclipse de la salle.

L’ambiance est détendue. Tout le monde se connaît. Même dans les rangs du public. Mathieu Mauvais (Modem), ancien candidat aux élections cantonales déboule à 18h30. Il fait partie des habitués. Tout comme Vincent Comparat, porte-parole de l’ADES et Pierre Kermen. L’ancien élu, lunettes de soleil vissées sur le front, ne tiendra pas jusqu’à la fin du conseil. Il sert des mains et salue ostensiblement ses camarades assis dans le public. Plus loin, quelques militants de droite écoutent religieusement.

Seul un bonhomme fait tâche dans le public. Et pour cause, il devrait être de l’autre côté de la balustrade auprès des élus. C’est Guillaume Llorach, chef du cabinet du maire. Il semble avoir repéré des jeunes qui ne font pas partie de la petite confrérie ordinaire. Llorach est venu tendre maladroitement son oreille. Serait-ce une tare de s’intéresser à la politique locale ? Sans aucun doute pour le cabinet, puisqu’il envoie son mouchard. Pas de bol, il est démasqué.
Thomas Royer, le directeur de cabinet, finit par fendre le public pour rejoindre son pitoyable espion du Kuk Gabo Wibu. [7] Il lui glisse un mot à l’oreille. Quelques minutes plus tard, Llorach retourne à sa place près de ses amis : Eric Angelica, directeur de la communication de la municipalité, ex-journaliste au Daubé, et Xavier D’Enquin (à la com lui aussi), ex journaliste à Chérie FM... Quoi de mieux que des journalistes qui connaissent les rouages des rédactions pour gérer le service de propagande d’une mairie...

Les délibérations se suivent et se ressemblent. Gilles Kuntz intervient régulièrement. Au grand dam de Kim Yong-il qui s’emporte : «  Gilles, tu viens de déraper fortement ! Nous sommes en pleine enquête de police ! »
La joute verbale continue, un élu de droite traite un élu communiste d’«  adjoint à la faucille et au marteau  ». «  Avec un couteau entre les dents  » s’entend-il rétorquer. Ça vole haut. Mathieu Chamussy (exclu de l’UMP mais toujours à droite) plonge son visage dans ses mains.
Stéphane Echinard (apparenté groupe «  Dauphiné Libéré  ») se lève pour prendre le bonbon que lui tend sa consœur du Daubé Ève Moulinier. Thomas Royer discute avec des journalistes, Eric Angelica se balade dans la salle le portable à la main. Une attitude de circonstance : toujours se déplacer muni de son téléphone à la main. C’est essentiel. Ça assure de la prestance. Tous y souscrivent ou presque. Les bancs du public se tarissent, plus que 10 personnes.
Lorsque Kim Yong-nam donne la parole à sa majorité, il égale les questions de son organe de propagande Les Nouvelles de Grenoble : «  Monsieur Garcia, c’est quand même de belles opérations qui se développent sur Grenoble. Vous nous faites un point ?  »
Kim Yong-nam ose : «  Quand on sera responsable de tout
ça : on fera bien in fine ce qu’on voudra !  » Personne ne bronche. Finalement peu importe le sujet, Destot dirige tout. C’est entendu.
Certains délibérations passent comme des lettres à la poste : «  La délibération 9. Des interventions ? Qui est contre ? NPPV [8] ? Adoptée ! Délibération amendée ! La 19 qui concerne la convention (il lit son papier). Avez vous des questions à poser ? Qui est contre ? NPPV ? Adoptée !  » Toujours aussi rapide : «  La 29. Adoptée !  » Tellement rapidement, que Kim, la tête dans sa paperasse, en oublie même de regarder les mains de l’opposition qui se lèvent pour un «  contre  » ou un «  NPPV  » de principe. «  Adoptée !  » braille-t-il.

Brouhaha, ça sent la fatigue. Les ventres gargouillent. La dernière délibération (les rendus actes, voir Le Postillon n°4) n’est même pas votée, elle permet pourtant à Kim Yong-nam de faire passer tous les contrats un brin «  sensibles  » comme dirait son potentiel successeur, Kim Yong-il. Des élus se lèvent déjà pour se précipiter sur le buffet dans la salle adjacente. Kim termine solennellement, dans la confusion, «  l’ordre du jour est épuisé !  » Les rideaux du petit théâtre se referment. Pas un applaudissement.

Questions orales ?

Le conseil municipal de Grenoble commence par les «  questions orales  ». N’importe quel élu peut intervenir et poser une question au maire, qui n’a souvent rien à voir avec l’ordre du jour. Ce dernier est obligé d’y répondre. C’est beau, non ? Non. Parce que sous couvert de débat, ces questions doivent être remises au maire par écrit plusieurs jours avant le conseil. Il a donc tout le temps de préparer sa réponse. Une fois que le maire a pris la parole, les élus ont l’interdiction de lui répondre. Le débat s’arrête là. Comme au théâtre, tout est écrit d’avance.

Entendu à d’autres conseils municipaux

Dans le hall, Geneviève Fioraso, (PS) adjointe à l’économie et l’université, soupire : «  Je suis fatiguée, je n’ai qu’une envie, c’est de dormir  ». Dur de cumuler les mandats.
Abderrahmane Djellal, adjoint à l’insertion et la formation professionnelle toujours prompt à lécher les bottes de ses supérieurs, se voit soudainement rétorquer par quelqu’un du public : «  Fayot !  ». Gros silence.

Michel Destot, répondant à des gens l’interpellant dans le public :«  Vous n’avez pas la parole, c’est la base de la démocratie ».

Notes

[1Cet article n’a pas pour objectif de traiter du contenu des délibérations, il tend à expliquer le fonctionnement d’un conseil municipal.

[2Kim Yong-nam est le président de l’assemblée populaire suprême de Corée du Nord.

[3Avant le troisième mandat de Kim Yong-nam, les comptes-rendus étaient rédigés proprement avec un logiciel de traitement de texte.

[4 » Compte-rendu du conseil du 4 avril 2008.

[5Kim Yong-il (notez la nuance) est le président de la défense nationale de Corée du Nord.

[6«  Son montant (l’indemnité) est fixé par l’organe délibérant  »... autrement dit le conseil municipal lui même ! Depuis mars 2008, début du troisième mandat de Destot, les indemnités ont augmentées de 25 à 30 % selon le groupe Ecologie et Solidarité.

[7Le Kuk Gabo Wibu est police politique de Corée du Nord.

[8NPPV : Ne Prend pas Part au Vote.