Accueil > Decembre 2021 - Janvier 2022 / N°63

Test comparatif - À quand la prochaine vague ?

La rupture de barrage

Le saviez-vous ? Parmi les onze grands barrages de Rhône-Alpes, dix d’entre eux pourraient, en cas de rupture, libérer une énorme vague touchant de manière plus ou moins importante Grenoble, renouant ainsi avec l’histoire ancestrale - interrompue depuis un siècle et demi - des inondations dans la cuvette. Alors quelle serait la « pire » rupture de barrage ?

- Les ruines de séchilienne -
Connaissez-vous l’histoire de LA fameuse inondation de Grenoble, celle de 1219 ? Trente ans plus tôt, un grand éboulement avait comblé la vallée de la Romanche et un immense lac s’était formé au niveau de Bourg d’Oisans. Suite à un violent orage, le barrage naturel rompt et une vague descend le Drac, balaie Vizille et provoque un reflux dans l’Isère « qui coule à contresens pendant quelques heures, emporte le pont Saint-Laurent » et forme un lac vers Meylan. « Lorsque la décrue du Drac survient, c’est le lac de l’Isère qui se vide à son tour par effet de balancier  » et là toute la ville est inondée, entraînant la mort de milliers d’habitants enfermés entre les remparts de la petite ville. Huit cents ans plus tard, ce scénario hante toujours les « experts » qui observent les « Ruines de Séchilienne  », une sorte de grand éboulis au-dessus de la Romanche, juste après Vizille. Depuis les années 1980, on ne compte plus les enquêtes, études, expropriations, travaux routiers pour tenter d’éviter un scénario « 1219  » si les Ruines de Séchilienne s’écroulaient. Par rapport au Moyen-Âge, les digues ont remplacé les remparts. Mais pour quelle efficacité en cas de scénario catastrophe ? Comme l’a bien dit un général en garnison à Grenoble au XIXème siècle, ce bon Mamès Cosseron de Villenoisy, « on peut se demander à quel sentiment d’imprévoyance les habitants de Grenoble ont cédé autrefois en descendant des hauteurs de la Tronche pour s’établir dans la plaine  ».

- Chambon -
Ce n’est pas le plus rassurant des barrages. Il est vieux (90 ans) et souffre d’ « alcali-réaction » : en gros, il s’effrite. Il fait partie des 200 grands barrages (sur 450) qui sont « très anciens et mal entretenus, et présentent des signes inquiétants de vétusté » (Lyon Capitale, 14/09/2018). Autre chiffre du journal : « Moins de cent personnes travaillent en France au contrôle de la sécurité des ouvrages hydrauliques pour plus de 700 barrages de plus de 10 mètres de haut  ». Pour le nucléaire, c’est 1 000 pour 20 sites. Bon c’est vrai que les deux domaines n’ont rien à voir, mais en parlant de nucléaire, l’ILL (Institut Laue Langevin – un réacteur de recherche) situé sur la presqu’île serait forcément touché par une vague venant du Chambon (ou des autres barrages d’ailleurs), ce qui laisse poindre l’hypothèse probable d’un « scénario Fukushima ». Autre scénario, autre hypothèse : un éboulement dans le lac, provoquant une vague submergeant le barrage. En Italie, un éboulement provoque, en 1963, « une vague haute de 150 m qui saute le barrage et se déverse dans la vallée créant un phénomène de pression d’air dévastateur suivi d’un torrent d’eau qui achève de détruire les villes  » (Le Figaro, 02/12/2014). Là, aucun problème pour l’édifice, qui a été suffisamment solide, mais quand même 2 000 morts à l’arrivée. Pour le Chambon, la montagne au-dessus a un peu bougé en 2015, entraînant la fermeture du tunnel et de la route pendant de longs mois. L’éboulement attendu avait été finalement beaucoup plus petit que prévu et n’avait pas provoqué de vague. Bon au cas où, on vous met les consignes de la préfecture en cas de vague imminente, ça s’appelle le «  mode réflexe » : « mise en sécurité immédiate des populations sur points hauts naturels de proximité ou immeubles hauts (à partir du cinquième étage)  ». En clair : fuyez ! Vous savez tout.

- Grand’maison -
C’est le plus récent et le plus innovant des grands barrages du coin : les deux barrages de la vallée de l’Eau d’Olle, Grand’Maison et le Verney forment une Step (Station de transfert d’énergie par pompage). C’est-à-dire qu’une conduite de sept kilomètres entre les deux ouvrages permet de remonter l’eau du deuxième vers le premier, pompée grâce à la surproduction d’électricité (essentiellement nucléaire) en période de basse consommation. Cette manœuvre, qui permet de returbiner de nombreuses fois la même eau, vaut à cette « première en Europe » le nom de barrage hydro-nucléaire. Néanmoins, en cas de rupture du premier et plus gros barrage, celui de Grand’Maison, pas sûr que la pompe parvienne à remonter les 137 millions de m3 arrivant subitement au deuxième barrage. Selon toute vraisemblance, une telle vague ferait également péter le barrage du Verney, rajoutant 16 millions de m3, et dévalerait la vallée de la Romanche, rejoindrait le Drac, en inondant Livet-et-Gavet, Vizille, le sud-grenoblois puis toute la cuvette. La vague de plusieurs mètres de haut noierait notamment les plateformes chimiques de Jarrie, Pont-de-Claix ou les sites Seveso d’Umicore et Sandvik le long de l’avenue Rhin et Danube : pas sûr que l’humidité ambiante empêche des « mortiers d’artifices  » dus aux nombreux produits chimiques et dangereux stockés. Au niveau des autorités, on se veut rassurant : « Le développement urbain et territorial n’ayant pas inclus ce risque, l’amélioration de la résilience face à un tel scénario constitue un enjeu important pour le territoire  », selon un document de la préfecture. On serre les dents, et ça va passer !

- Monteynard & Co -
Pourquoi se contenter d’une rupture de barrage quand on peut en avoir quatre ? Pauvre Drac : en 25 kilomètres, ce magnifique torrent de montagnes est empêché par quatre barrages : le Sautet, Saint-Pierre-Cognet, Monteynard et enfin Notre-Dame-de-Commiers. À eux tous, ils cumulent 410 millions de m3 (le barrage de 1219 en faisait 660 millions, d’après des estimations). L’eau du lac de Monteynard atteindrait Jarrie en « 10 à 14 minutes », et en « environ 30 minutes » pour Grenoble. Un document de la préfecture nommé « Porter à connaissance des aléas du Drac » récapitule quelques informations intéressantes. Une carte, notamment, expose qu’une bande de 50 mètres sur chaque rive serait tout bonnement emportée par la vague. Finis, les travaux de l’A480 ! Au revoir la Caisse d’épargne, les bureaux du Daubé, la caserne de CRS, une partie du CEA, la Belle électrique, le Magasin ! Heureusement, à 200 mètres près, notre local serait épargné… Euh mais si une vague emporte tout sur 50 mètres, que se passe-t-il 200 mètres plus loin ?

- Tignes -
Si le barrage de Tignes, à 160 km de Grenoble, venait à rompre, combien de temps mettrait une vague à venir nous mouiller les doigts de pieds ? Certains calculs parlent d’une dizaine d’heures. Et vous, que prendrez-vous dans votre appart’ en dix heures avant de monter vous réfugier à la Bastille ? Si les vallées de la Maurienne et de la Tarentaise sont plus loin de Grenoble, elles regorgent de petits et grands barrages dont l’eau finit dans l’Isère, donc passe par Grenoble. Le département de l’Isère vient de fêter la fin de neuf années de travaux pour réduire les risques en cas de crue de l’Isère : 135 millions d’euros dépensés pour conforter les digues ou aménager des champs inondables. Bon, mais ces quelques aménagements auraient, en cas d’effondrement de barrages, certainement la même utilité qu’un bout de scotch sur une chambre à air crevée. Mais que fait le BTP ?