Accueil > Octobre 2010 / N°07

La municipalité grenobloise découvre les Roms

350 à 500 Roms, majoritairement de nationalité roumaine, vivotent dans la cuvette grenobloise, principalement grâce à la manche ou de petits boulots au black. Ces migrations ne sont pas nouvelles, elles datent d’une dizaine d’années. La réprobation des mesures sarkoziennes anti-Roms et le coup de projecteur médiatique sur cette population ont soudainement rendu la municipalité grenobloise moins aveugle.
Durant un mois, Le Postillon a posé ses fesses dans le canapé d’un squat du quartier Stalingrad à Grenoble en compagnie de Roms.

Policia ! Policia ! Silard, 6 ans, déboule affolé dans notre direction. Quatre flics montrent leur bout de matraque. Pas un « bonjour », simplement des ordres : « Qui parle français ici ? » beugle le plus épais d’entre eux. «  Vos passeports, réunissez-vous par famille ! ». Tous le monde obtempère. Les contrôles terminés, leur bagnole redémarre. La routine en ce 18 août sur ce terrain occupé par une trentaine de Roms le long de la piste cyclable reliant la rue de Stalingrad à la MC2 (voir pages précédantes). Des lieux comme celui-ci, il y en a eu des dizaines depuis 2001 et les premières migrations de Roms roumains à Grenoble et ses alentours. Neuf annnées de silence, alors que les expulsions étaient déjà courantes. Que ce soit à Saint-Martin- d’Hères, à Fontaine, à la Tronche, à Grenoble sur les quais de l’Isère (2002) ou encore à la halle Bouchayer-Viallet (2004) nettoyée de ses occupants par la municipalité grenobloise pour laisser place à un gigantesque projet urbanistique. À l’époque, pas un élu de « gauche » pour dénoncer « la xénophobie locale » et ces expulsions à répétitions. Ces exilés n’intéressaient personne. Pourtant ils existaient, mendiaient, vivaient de bric et de broc, effectuaient des allers et retours entre la France et la Roumanie.

Quand la municipalité grenobloise sollicite une expulsion

Le 19 août, c’est l’inquiétude sur le terrain Stalingrad après l’expulsion du « camp » de Saint-Martin-d’Hères, la veille (voir encart). Florin nous demande d’appeler le centre d’accueil municipal pour loger 10 personnes. Au bout du fil on nous répond : « C’est plein, y a pas de place. Ils vont sans doute eux aussi se faire expulser. Je devrais pas le dire mais qu’ils cherchent un autre terrain  ». Ils ont déjà repéré un lieu à l’abri des regards à Fontaine : une forêt. Ultime solution de repli en cas d’expulsion.
Mais au fait qui veut les expulser ? La municipalité grenobloise. Propriétaire de la bâtisse abandonnée qu’ils occupent, elle demande un référé devant le Tribunal de Grande Instance en mai dernier. Le procès verbal est clair : le nom de Michel Destot pour la ville de Grenoble y figure, l’évacuation des Roms est stipulée.
Mais depuis, la polémique lancée par Sarkozy a obligé le P.S. a faire volte face. Cette demande d’expulsion, il ne faut pas qu’elle s’ébruite pour ne pas embarrasser les membres du Parti Socialiste. Le 4 septembre, ils défilent « contre la xénophobie d’Etat » dans les rues grenobloises. On accoste Olivier Noblecourt, vice président du CCAS (Centre Communal d’Action Sociale) et adjoint à la politique sociale. La tête penchée et le pas pressé, il répond :
« Nous demandons à la Préfecture que cessent ces expulsions, je suis en contact tous les jours avec les associations qui travaillent auprès des Roms.

  • Donc le terrain rue Stalingrad ne sera pas expulsé ? 
  • Non.
  • Pourtant il y a eu un référé de la ville de Grenoble au TGI datant du mois de mai pour demander l’expulsion.
  • Rue de Stalingrad ? Mais mais je ne vois pas. On ne parle pas du même. Celui de la rue Pascal, vous savez ils sont pas très nombreux là bas. Je n’ai jamais entendu parler de ce terrain. Je ne suis pas au courant de ce référé ».

Dix jours plus tard, l’homme qui n’a « jamais entendu parler de ce terrain » se retrouve pourtant bel et bien dessus. Une caméra de France 3 braquée sur lui. Il serre les mains des Roms. La belle image. L’expulsion est imminente. Une expulsion pourtant sollicitée par la municipalité elle même ! Le CCAS décide de leur trouver un logement. Le 20 septembre, des membres du CCAS débarquent sur le terrain. « Préparez vos affaires. Demain on vient avec un camion, on charge tout et on vous amène dans un immeuble, y a deux appartements pour vous ». Pour aller où ? Une maison rue Pascal [1] où squattent déjà d’autres Roms. Comme le remarque un militant qui suit les Roms depuis des années : « Il y a bien d’autres bâtiments vides, pourquoi ils les parquent là bas ? ». Le lendemain, le camion est là comme prévu. Une pelleteuse aussi, pour raser les cabanes qui encerclent la bâtisse. L’unique entrée est obstruée par une porte métallique. La municipalité veut surtout éviter que d’autres s’y installent.

Comment le CCAS a berné la Préfecture

Remi et Julia, nous accueillent au troisième étage de l’immeuble rue Pascal. C’est jour de ménage dans ce trois-pièces pour 10 personnes. Soulagés d’avoir un lieu en dur où vivre, même sans eau courante, et même s’ils n’ont aucun contact avec les autres Roms déjà présents.
Retour sur le terrain de Stalingrad pour constater les dégâts de la pelleteuse. Coup de bol, on tombe sur un flic en civil qui nous pointe sa carte sous le nez : « C’est une propriété privée, vous n’avez rien à faire ici ! ». Passés les sermons d’usage, sa langue se délie : « Ce matin j’ai appris qu’ils étaient partis. Je suis venu voir ce qu’il en était. On devait normalement intervenir mais là personne ne nous a prévenu : ni la mairie ni la Préfecture ! C’est quand même pas normal ». On reste bouche-bée devant tant de confidences et on rétorque :
« -Tant mieux, comme ça vous n’aurez pas à les déloger.

  •  Oui, d’ailleurs c’est bien qu’ils aient déjà tout détruit, ça empêchera les Roms de revenir. C’est ce qu’ils auraient dû faire sur les quais de l’Isère mais comme ils n’ont pas tout cassé, ils sont revenus. Allez, bonne continuation, au revoir ! ».

La municipalité grenobloise en coordination avec le CCAS a réussi à reloger rapidement 18 Roms. Preuve que les pouvoirs publics peuvent parfois être efficaces. La Métro et le Conseil général feront-ils de même pour les centaines d’autres Roms résidant dans l’agglomération ? Ou les Roms retomberont-ils dans l’indifférence une fois la polémique passée ?

Rappel des faits

Mi-juillet 2010, un gendarme [2] abat un membre de la communauté des « gens du voyage » dans le Loir-et-Cher. S’ensuit le saccage de la mairie et l’attaque d’une gendarmerie. Sarko et sa cour s’emparent, comme à leur habitude, d’’un fait divers pour prendre de nouvelles mesures sécuritaires absurdes et xénophobes. Ils s’en prennent aux Roms, surfant allègrement sur l’amalgame entre Roms et « gens du voyage ». Ce terme administratif fut inventé par l’Etat français [3] en 1972 pour désigner la population résidant en « abri mobile terrestre ». Rien à voir avec les Roms qui migrent en Europe occidentale pour fuir les discriminations, le racisme et le chômage qui les minent dans leur pays. En France, ils sont originaires des pays de l’est et pour la plupart roumains.
Le pouvoir xénophobe publie donc une circulaire à l’attention des préfets qui stipule entre autre que : « Le Président de la République a fixé des objectifs précis, le 28 juillet dernier, pour l’évacuation des campements illicites : 300 campements ou implantations illicites devront avoir été évacués d’ici 3 mois, en priorité ceux des Roms » . Ces mesures sont allées jusqu’à susciter l’indignation - outre de la gauche et du P.S. - de la Commission européenne, des ecclésiastiques et même des villepinistes.

Saint-Martin-d’Hères, championne des expulsions

Saint-Martin-d’Hères fut une commune de prédilection pour les Roms. Les bâtiments abandonnés étaient légion, tout comme les expulsions... Impossible d’être exhaustif et précis mais une dizaine de sites occupés par des Roms ont été rasés. Des gens chassés par la municipalité communiste ou des par propriétaires privés. La machine juridique était en marche, la loi cyniquement appliquée et ce dans un silence assourdissant. L’expulsion la plus emblématique fut celle d’un campement coincé entre la voie ferrée et la rocade sud. Le 19 août 2010, 150 CRS et gardes mobiles armés délogent à l’aube une centaine de Roms. La mise en demeure que nous nous sommes procurés est signée de la plume du préfet de l’Isère récemment parachuté par Sarkozy. Un document qui révèle deux choses : le préfet, Eric Le Douaron, persiste dans l’amalgame et confond à longueur de pages « gens du voyage » et « Roms ». La municipalité communiste est quant à elle l’une des initiatrices de cette expulsion. Cette mise en demeure s’appuie sur trois courriers de René Proby, maire de la commune, adressés à la préfecture pour demander explicitement l’expulsion du terrain. En voici un extrait : « Vu la lettre du maire de Saint Martin d’Hères en date du 12 août 2010, sollicitant de M. le Préfet la mise en demeure de quitter les lieux pour ce groupe ;
Vu les courriers du Maire de Saint Martin-d’Hères en date du 3 mai et du 15 juin 2010 faisant part de la sollicitation et sollicitant l’intervention de M. Le Préfet. »
Une fois de plus, c’est bien en amont des mesures xénophobes de Sarkozy et Hortefeux à l’égard des Roms et de leur médiatisation, que les autorités locales sont intervenues pour se débarrasser des Roms roumains.

1 - Ce bâtiment situé à deux pas de la rue Stalingrad était occupé par des Roms roumains depuis février 2010 (lire page 8).
De la trentaine de personnes qui y vivaient à la mi-août, il n’en restait plus que la moitié un mois plus tard juste avant que le CCAS ne les reloge.
La peur d’une expulsion ou des raisons personnelles les ont poussés à retourner en Roumanie.
2- Ménage de fin de journée pour Florin. Les familles qui vivaient ici sont originaires de Târgu Mures et de Petrosani, en Transylvanie. Petrosani a vu ses mines fermer les unes après les autres. Sous le régime de Ceauscescu, les Roms étaient voués aux emplois les plus pénibles, ils constituaient les sous-prolétaires de l’industrie socialiste.
Une fois la dictature balayée, les usines ont fermé ou ont été rachetées par des investisseurs étrangers. À compétence égale les Roms ne furent pas réembauchés. L’après-révolution roumaine marqua encore davantage la discrimination à l’égard des Roms.
3- Irdi, Julia et son fils Ianut, le plus jeune des gamins du terrain.
La plupart des femmes font la manche dans les rues de Grenoble.
4- Remi, 27 ans, parle quatre langues : le roumain, le hongrois (il fait partie de la minorité hongroise de Roumanie), le romani (la langue rom) et l’allemand. «  A Târgu Mures où j’habitais, je travaillais comme chauffeur de taxi, je gagnais 180 euros par mois. Je payais 100 euros de loyer avec les charges, ce qu’il restait c’était pour acheter à manger et des couches pour les enfants. J’ai deux diplômes : un de menuisier et un de serveur-cuisinier. Mais je n’ai jamais pu travailler dans ces boulots-là. Avant d’être chauffeur de taxi, je travaillais dans un kiosque où je vendais des cigarettes (...). Je suis aussi venu en France pour la mentalité, c’est beaucoup mieux ici, on est plus tranquille. Là je fais la manche, j’ai pas de travail.  »
Quand on lui parle expulsion, il répond : «  Ils font de la discrimination, on est en situation légale, c’est quoi le problème ? On attend simplement que le vent tourne pour nous.  »

Notes

[1Appelé « Caddie-Yack », ce squat avait déjà été expulsé en octobre 2008.

[2Le gendarme a été mis en examen pour « coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner »

[3A noter qu’il n’existe pas de singulier à « gens du voyage »...