La maison des habitants et le cagibi des associations
Depuis l’arrivée de Piolle à la municipalité, cette dernière réduit les subventions aux associations des quartiers populaires pour tout miser sur les maisons des habitants. Illustration avec l’association Osmose de la Villeneuve.
Depuis mes dernières pérégrinations sur la place des Géants, quelques personnes sont venues me parler de la situation critique de la vie associative à la Villeneuve. Et une asso dont j’ai très souvent entendu parler c’est Osmose. Pour être tout à fait honnête, la première fois que j’ai entendu quelqu’un l’évoquer c’était pour dire qu’elle était tenue par des communautaristes et faisait l’école coranique. Et, vous connaissez le Postillon : on est toujours à l’affût du scoop et du fait divers, je m’y suis donc précipitée, imaginant déjà revendre le sujet à Cnews.
J’ai un peu galéré à rencontrer Adel Karmous, bénévole iconique de l’asso et habitant du quartier, peut-être parce qu’il se méfie maintenant, à raison, de tout ce qu’on peut dire sur son association, qui a plus de trente ans. « Elle est née de la fusion entre deux assos, l’une culturelle et l’autre sportive, on l’a donc appelée Osmose mais aujourd’hui l’activité principale est le soutien scolaire et on organise aussi des ateliers vélo, couture et cuisine, et des activités culturelles avec les parents d’élèves et des cours de langue arabe le week-end » Je commence tristement à comprendre comment de telles rumeurs ont pu naître à leur sujet. « Ah c’est sûr que si Osmose était gérée par une personne qui s’appelait Jérôme Dupont, on serait pas dans cette situation » rit Adel.
« Combattre le communautarisme c’est se mélanger, mais comment tu fais pour te mélanger avec des gens qui ne veulent pas se mélanger avec toi ? » m’explique un autre acteur du quartier. Adel me raconte l’histoire de François, « un de nos bénévoles à la retraite, arrivé plein d’a priori mais finalement très content de notre travail. Seulement, la majeure partie des gens ne prend pas la peine de se déplacer et continue d’alimenter les rumeurs. »
La plus grande déception d’Adel réside dans la défiance que lui manifeste la municipalité, préférant tout miser sur les structures municipales que sont les MDH (maisons des habitants). Juste après le confinement, où les bénévoles d’Osmose couraient de partout, entre lancement de maraudes et photocopies, il avait été contacté par la première adjointe Élisa Martin. « Elle voulait faire de l’accompagnement scolaire dans les MDH du quartier en partenariat avec Osmose. Pour moi le seul fait d’être convoqué par elle c’était une reconnaissance de tout ce que je faisais. »
Mais finalement la mairie ne donne pas de moyens supplémentaires à l’association. Pire : « Au cours de l’été suivant l’Adulte Relais (salariée en contrat aidé affectée à l’association) qui travaillait pour nous est allée bosser à une des MDH du quartier car elle n’était pas à l’aise dans nos locaux. » La fin de l’été arrive et lorsqu’Adel contacte la mairie pour demander de ses nouvelles, on lui apprendra qu’elle restera travailler à la MDH, où se fera désormais l’accompagnement à la scolarité. Des adhérents et des bénévoles d’Osmose seront même contactés par la MDH. Résultat : « Le seul accompagnement scolaire que font les MDH sur Villeneuve actuellement ils le font avec des gamins qu’ils ont “piqués” à Osmose ». Ce n’est pourtant pas les gamins en difficulté qui manquent sur le quartier.
Cette petite histoire est symptomatique des relations entre les petites associations indépendantes et les grosses structures municipales sur le quartier, qui ont pris beaucoup d’importance durant le mandat d’Éric Piolle, en polarisant toute l’offre de services aux habitants. Selon Willy, gérant de la fameuse association BatukaVI, avant l’arrivée de rouges-verts à la mairie, « les assos populaires ont trop souvent souffert d’instrumentalisation ou de clientélisme vis à vis de la municipalité en place ». Ce qui résume souvent le rapport qu’a la puissance publique avec les assos à une situation binaire : soit elle les instrumentalise, soit elle en a peur. Depuis l’arrivée de Piolle, ce serait plutôt la deuxième option. « La radicalité d’Eric ça a été de tout miser sur le service public pour l’action dans les quartiers. »
« A priori ce choix n’est pas répréhensible en lui-même, mais il est critiquable en de
nombreux points » explique Alain Manac’h, autre acteur incontournable de la vie culturelle villeneuvoise. « Premièrement, tout miser sur la puissance publique a un coût, notamment celui de la masse salariale des MDH. Pendant ce temps-là, le budget des assos de Villeneuve baisse. Par exemple notre association (Villeneuve Debout) est passée de 64 000 à 30 000 euros par an. » Alain regrette le refus des politiques de prendre en charge le fonctionnement des associations et de mettre en place une forme de pérennisation des subventions.
Mais en dehors des questions budgétaires, cette centralisation municipale pose de nombreux problèmes. Par exemple, le fait que les MDH ont des horaires d’ouverture « classiques » (uniquement en semaine et jusqu’à 18h) qui empêchent les habitants actifs de prendre part aux activités. Très attaché au concept d’éducation populaire, Alain explique : « L’éducation populaire c’est l’idée de fabriquer des citoyens libres, autonomes, solidaires et conscients de l’intérêt général. Pour ça l’implication dans la vie associative peut jouer un rôle déterminant de l’autoformation par l’action et la gestion de projets. Mais la monopolisation actuelle des animations territoriales par les MDH ne laisse aucune place pour l’émergence de ce genre d’initiatives. Les MDH ne seront réellement des maisons des habitants que lorsque ceux-ci définiront les actions à mener et qu’ils seront les donneurs d’ordres, les employeurs. » Car il y a aussi la question de la représentativité des employés des MDH.
Les agents de développement local, principalement des jeunes femmes, sont souvent issues de Sciences-po Grenoble ; aucune ne vient du quartier, et la diversité de celui-ci ne se retrouve absolument pas représentée dans les personnes recrutées.
« Souvent j’explique aux enfants, majoritairement français issus de l’immigration avec qui je travaille qu’ils sont des Français comme les autres, explique Adel. Mais bien souvent la vie se charge de leur montrer le contraire. Une fois j’assistais à une distribution de nourriture organisée par des personnes de la MDH. Il y a eu une bousculade autour de la table et un des organisateurs a dit “Ho, on fait ça pour vous nous !” ». Comme si la MDH faisait de la charité humanitaire avec « ses » habitants. « Je m’en souviens encore » rumine Adel, qui se démène pour faire perdurer son activité malgré « la division par deux des subventions ». « Après les années, tu te demandes quelle est ton utilité. La force je la tire des parents, des bénévoles, et en voyant le progrès des gamins, mais je n’attends plus rien de la municipalité. De la reconnaissance ? De l’argent ? Si c’est pour nous dire ensuite comment on doit travailler ce n’est pas la peine. »
Osmose est menacée de perdre son local mis à disposition par la mairie, qui essaye régulièrement de le leur reprendre : « Je leur ai dit que j’étais prêt à m’enchaîner à un des chauffages en fonte s’il le faut. Si la mairie pouvait récupérer tout nos gamins à la MDH et nous faire quitter le quartier je pense qu’ils seraient contents. »
La façon infantilisante et paternaliste de la MDH de traiter les habitants perpétue le système d’assistanat pourtant tant décrié quand on parle de public « sensible ». Cela crée une imperméabilité entre les habitants et les employés surdiplômés de la ville, chacun reste à sa place. Adel conclut : « L’habitant est consommateur et jamais acteur. »