Inscrit depuis trois ans à Pôle Emploi, suite à un licenciement économique, Miguel* a jonglé entre contrats précaires et périodes de chômage, cumulant salaires à temps partiel et complément d’allocations chômage. De nouveau sans emploi depuis la fin de son contrat aidé, il s’en va passer les fêtes de fin d’année en famille, à l’autre bout de la France, l’esprit tranquille. Avant de partir, il a en effet vérifié son agenda personnel sur le site de Pôle Emploi : aucun rendez-vous à l’horizon dans les prochaines semaines. Mais à son retour à Grenoble, début janvier, une mauvaise surprise l’attend. « J’ai reçu un courrier de Pôle Emploi m’informant de ma radiation, raconte Miguel. Raison invoquée : mon absence à une convocation fixée le 3 janvier, envoyée le 27 décembre sur mon espace personnel. D’habitude, je le consulte régulièrement mais entre Noël et le Nouvel An, j’avais un peu la tête à autre chose. Du coup, je l’ai découvert trop tard. »
De là à croire à un piège, il n’y a qu’un pas : « On ne va pas me dire qu’ils ne pouvaient pas me prévenir plus tôt. Forcément, pendant les fêtes, plein de gens ne vont pas voir leur espace personnel régulièrement. Et puis, un rendez-vous le 3 janvier à 8h30, tu fais comment quand t’es parti fêter le réveillon ailleurs et que tu dois changer un billet de train au dernier moment ? J’imagine que dans leur esprit, un chômeur n’est pas censé faire la fête. » Conséquence : il doit batailler pour se réinscrire et voit le versement de ses allocations chômage – sa seule ressource actuelle – suspendu pour deux mois.
« Pôle Emploi ne peut radier quelqu’un que s’il a été convoqué par lettre recommandée »
Le cas de Miguel est loin d’être isolé, les radiations étant légion et de plus en plus récurrentes. Car une personne radiée, c’est un demandeur d’emploi en moins comptabilisé dans les chiffres du chômage et des indemnités économisées. Selon Erwan*, membre d’un comité de chômeurs CGT, « la convocation manquée est le motif le plus fréquent ». Pourtant, de telles radiations sont généralement « abusives et sans aucune valeur juridique » ! Boris*, conseiller Pôle Emploi, précise : « Pôle Emploi ne peut radier quelqu’un que s’il a été convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception, reçue au moins une semaine avant la date du rendez-vous. » Or, cette obligation n’est respectée que dans « moins de 5 % des cas. La plupart des gens sont convoqués par simple courrier ou de plus en plus souvent sur leur espace personnel ou par mail. »
« Quelqu’un qui a été radié suite à une convocation à laquelle il ne s’est pas rendu a quinze jours pour faire un recours », ajoute-t-il. Il faut juste rappeler qu’aucune lettre recommandée n’a été reçue, seule preuve admise. « On a obtenu gain de cause une première fois devant le tribunal administratif et ça a fait jurisprudence », indique Erwan. Malheureusement, très peu sont au courant. Boris soupire : « Le gros problème, c’est la méconnaissance que les demandeurs d’emploi ont de cette règle. Comme Pôle Emploi sait que les gens ne vont pas faire de recours, il mise là-dessus. »
Le conseiller Pôle Emploi dénonce en outre la « déshumanisation des relations » entre conseillers et chômeurs et le « flicage » généralisé de ces derniers : « On est dans un schéma de numérisation et d’informatisation des rapports. On demande aux agents de traiter l’accompagnement et le suivi de façon industrielle, exclusivement via e-mail ou l’espace personnel. Pourtant, les gens ont le droit de ne pas donner leur adresse email ou leur numéro personnel. » Mais si Boris en informe systématiquement les nouveaux inscrits, rares sont les conseillers à le faire. Entre ces échanges virtuels et l’ouverture des agences limitée à une demi-journée quotidienne, tout concourt à « l’éloignement physique, par l’informatique, des gens ayant besoin d’un service ».
« Au moins 30 % des offres sur le site sont illégales »
Comble de l’absurdité : alors que chaque conseiller suit en moyenne 300 demandeurs d’emploi, Pôle Emploi a embauché 200 agents en janvier 2016, « pour faire uniquement du contrôle. Ils fliquent les gens à distance, avec le téléphone ou l’informatique. Et ça peut déboucher sur des radiations, notamment pour refus ‘‘d’offre raisonnable d’emploi’’. » Pour Boris, il y a clairement « deux poids deux mesures ! Tous ces agents affectés au contrôle des chômeurs seraient mieux à contrôler les employeurs ne payant pas leurs cotisations : ça coûte quatre fois plus cher et là, on a du pognon à récupérer. »
Aucune erreur n’est ainsi tolérée des chômeurs tandis que Pôle Emploi s’affranchit allègrement des règles, comme l’explique Boris : « Au moins 30 % des offres sur le site sont illégales car elles ne reflètent pas le contrat de travail : CDI alors que c’est une formation, temps plein au lieu d’un temps partiel, CDD pas à la bonne durée, confusion entre métiers... C’est un effet de communication qui permet à Pôle Emploi de dire ‘’regardez toutes ces offres non pourvues’’. » Les chiffres sont, eux, édifiants : « En 2005, on diffusait 300 000 offres par jour ; en 2013, 150 000 ; aujourd’hui, 550 000. Pourtant, il n’y a pas plus de boulot, c’est juste que les opérateurs privés passent désormais par le réseau. Mais ça reste virtuel. »
Les exemples de formations bidons pullulent
Cette immixtion du secteur privé dans ce qui est en théorie une mission de service public est croissante. Ainsi, Pôle Emploi délègue de plus en plus l’accompagnement des chômeurs à des organismes privés. C’est arrivé récemment à Félix*, convoqué à la prestation Activ’emploi, organisée par la société Solerys, à Fontaine : « Je ne savais pas à quoi m’attendre puisque je n’avais rien demandé. J’ai été reçu par une consultante, sympathique mais ne connaissant rien à mon secteur professionnel, qui m’a expliqué que dorénavant, je serai suivi par elle et plus par ma conseillère Pôle Emploi - à raison d’échanges bimensuels. »
Erwan cite, lui, l’exemple aberrant de deux quinquagénaires qui se sont retrouvés « dans un système de coaching, avec un consultant qui leur demandait s’ils avaient bien pensé à se laver et s’habiller correctement avant un entretien » ! Non seulement Pôle Emploi n’a « aucun contrôle sur ces prestations », mais en plus, ajoute Boris, « ces sociétés touchent une commission si elles placent des gens sur n’importe quel contrat, même les plus précaires ». Néanmoins, prévient-il, « on a le droit de refuser ce suivi : ces organismes étant payés à la commission, on peut dire qu’on tient à demeurer dans le service public ».
Mais le pompon reste le fameux ’’plan 500 000 formations’’ pour les chômeurs, lancé en grande pompe par François Hollande, début 2016. « Pôle Emploi fait souvent signer les gens lors d’une réunion collective présentée comme une information sur les métiers, du coup beaucoup s’engagent sans l’avoir réellement souhaité », déplore Erwan. Surtout, les exemples de formations bidons pullulent : ici, cette formation de trois jours, dans une usine d’agro-alimentaire, consistant à aligner des boules de couleur ; là, cette autre formation dans les métiers du bâtiment, où il s’agissait d’élaborer un plan de maison de poupées... « C’est de la poudre aux yeux, on donne espoir aux gens tout en sachant que ça ne débouchera pas sur un CDI. » Pour nos interlocuteurs, le but de ce plan ne fait aucun doute : faire passer les demandeurs d’emploi en formation de la catégorie A (la seule comptabilisée dans les chiffres présentés aux médias) à la catégorie D. À l’approche des présidentielles, une petite baisse, même artificielle, des statistiques du chômage, est toujours bonne à prendre...
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.
À propos d’incongruités, l’histoire de Julien* est assez parlante. Après une saison de skiman en Suisse, l’hiver dernier, il s’inscrit à Pôle Emploi en rentrant à Grenoble. Un cas spécifique : « Quand on a travaillé dans un autre pays européen, la durée d’indemnisation prend en compte le temps de travail fait à l’étranger. Par contre, il faut travailler au moins une journée en France au retour car l’allocation est calculée sur la base de cette journée. » Avant son inscription, Julien effectue donc une journée de travail (en espaces verts) en chèque emploi-service chez sa mère, ce qui lui ouvre des droits à l’indemnisation. Il perçoit ses allocations durant six mois, puis reçoit une lettre du service de prévention des fraudes exigeant des précisions sur cette dernière journée de travail.
Finalement, le couperet tombe : « Ils m’ont coupé mes droits et me réclament le remboursement d’un trop-perçu de 15 000 euros ! Ils disent que je n’avais pas un vrai contrat de travail et que j’ai trop gagné pour huit heures. Mais j’avais tout fait dans les règles. » Depuis, Julien s’est lancé dans un combat juridique contre Pôle Emploi, conseillé par Sud-Solidaires et un avocat. Erwan, de la CGT chômeurs, pointe « l’injustice des trop-perçus : les gens n’ont pas à payer pour les erreurs de Pôle Emploi. » Pour intenter un tel recours, il conseille d’ailleurs de « ne pas commencer à payer ».
Il n’est pas forcément facile pour nous, au Postillon, de compatir au sort d’un saisonnier qui touche quatre fois nos revenus en indemnités chômage. Pourtant, le vrai scandale des accords bilatéraux entre la France et la Suisse est à chercher ailleurs que dans les combines – légales - des travailleurs frontaliers : depuis une convention entrée en vigueur en 2009, les cotisations versées en Suisse par les employeurs ne sont plus reversées à l’Unedic. La France assume ainsi seule l’indemnisation des chômeurs après qu’ils ont travaillé en Suisse, cotisé en Suisse, et enrichi la Suisse, qui en a bien besoin. Pôle Emploi peut toutefois réclamer le remboursement des six premiers mois aux caisses suisses, mais doit avancer la trésorerie et payer les mois suivants. Et le mieux c’est que ça marche même... pour les Suisses résidant en France. C’est donc ça la solidarité internationale ?