Deeptech tour
La France des assistés
Alors qu’il n’y a pas « d’argent magique » pour garantir des conditions de travail décentes dans les hôpitaux ou pour lutter contre les violences conjugales, l’argent public continue à ruisseler sur les entrepreneurs high tech. Le nouveau business plan national pour pomper l’argent public, c’est la « deeptech ». Vu qu’à Grenoble on est les meilleurs en technologie, la première étape du « Deeptech tour » avait lieu chez nous le 19 septembre dernier. Compte rendu.
À Grenoble, on est les meilleurs en technologie. « La ministre de l’Enseignement supérieur a choisi Grenoble pour donner le départ du Deeptech Tour » pérore France Bleu Isère. Organisé par la Banque publique d’investissement (Bpifrance), ce machin s’est déroulé le 19 septembre dernier sur le campus. Le but : faire se rencontrer les personnes du monde de la recherche et celles du monde de l’industrie afin de faciliter la création de start-ups de la deeptech. On sait maintenant à peu près ce qu’est une start-up, mais qu’est ce que c’est la deeptech ? D’après ce que j’ai compris – merci la com’ de l’événement qui offre sept définitions différentes tellement c’est clair – ce sont les technologies apportant des innovations de rupture qui permettront de répondre aux problématiques de demain, les technologies qui vont rendre le monde meilleur quoi ! « Un jour peut-être, des start-up amèneront l’être humain sur Mars, créeront des moteurs à antimatière, dépollueront les océans, feront revivre des espèces disparues », peut-on lire dans le livre Génération Deeptech publié par Bpifrance. Des étoiles plein les yeux, je m’inscris à cette conférence en quête de solutions innovantes pour sauver la planète.
Sur place les gens – pour la plupart sur leur 31 – papotent, leur badge fièrement accroché autour du cou avec le nom de leur entreprise et le poste qu’ils occupent. Ça réseaute tranquillement, comme toujours dans ce type d’évènements où on est moins là pour écouter les speechs inintéressants que pour donner des cartes de visite et éventuellement trouver un investisseur.
La conférence est articulée autour d’interventions de duos composés d’un créateur de start-up et d’un représentant de la structure partenaire du projet. Trois interventions pour illustrer trois phases d’une start-up : l’amorçage, le lancement et le développement.
En gros, une technologie innovante qui ne correspond à aucun besoin connu est trouvée dans un laboratoire. À ce niveau de recherche, on ne sait pas encore quel problème du monde de demain on va pouvoir résoudre, mais on se dit qu’il y a moyen de se faire du fric. Alors on passe à la phase de l’amorçage, c’est à dire qu’on trouve un marché potentiel à cette technologie, même si son utilité sociale est nulle. Dès cet instant c’est une histoire de gros sous. Et c’est pas forcément un problème car pour les start-up de la deeptech, de l’argent public, il y en a. Comme l’a dit Paul François Fournier, le directeur de l’innovation à Bpifrance : « On a de la chance parce qu’on a beaucoup de moyens. » Viennent ensuite le lancement sur le marché puis le développement lorsque la start-up est assez grosse pour s’attaquer à de nouveaux marchés en faisant à nouveau des levées de fonds.
Des manières de faire qui semblent en tout cas ravir la ministre Frédérique Vidal, qui a conclu cette conférence par un long discours monocorde et soporifique rempli de langue de bois. J’ai failli m’endormir mais pour le compte Twitter de Link Grenoble Alpes, ça a été un moment incroyable : « Le 18/9 le #DeepTechTour de @Bpifrance s’est élancé de #Grenoble pour “Souffler l’esprit #deeptech sur la France” a dit @VidalFrederique. On a tout aimé de ce moment stimulant : esprit positif, témoignages, ambition, espoir... Go‑deeptech-go !!! »
Au final l’objectif n’a jamais été de sauver la planète mais plutôt la croissance des entreprises et du pays. Il faut des phrases choc pour faire du business, et qu’importe si elles sont ineptes et guerrières : « J’explique souvent qu’il vaut mieux une lame de couteau bien pointue qu’une pelle bien large pour rentrer dans des choses nouvelles » ose un patron cité dans la com’ pour définir la deeptech. En fait, ce machin n’est que le nouveau mot à la mode pour ouvrir la pompe à fric des investisseurs, dont la France fait partie : « L’État investira 4,5 milliards d’euros dans le financement de l’innovation de rupture ces 5 prochaines années, dont 1,6 milliard d’euros de nouveaux moyens », annonce fièrement le livre Génération Deeptech. À tous les urgentistes qui manifestent pour simplement faire leur boulot dans des conditions pas trop pourries, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Au lieu de torcher le cul des vieux, allez donc monter une start-up de brancards connectés : ça servira sans doute à rien, mais au moins vous aurez de l’argent.