Sale temps pour une manif : ce 14 novembre 2019, la pluie est froide et battante sur le parvis de l’hôpital de Grenoble. Plusieurs centaines de soignants ont quand même répondu à l’appel des collectifs inter-hôpitaux (CIH) et inter-urgences (CIU) pour un débrayage afin de « défendre l’hôpital public » et réclamer plus de moyens. Certains ont même tombé le pantalon pour exhiber des jambes sur lesquelles ils ont marqué « L’hôpital est à poil ».
Bien au chaud sous son parapluie, le député Olivier Véran, qui travaille encore une demi-journée par semaine à l’hôpital de Grenoble en tant que neurologue, répond lui aux questions des journalistes. Il n’est encore que député de la première circonscription de l’Isère mais manie déjà très bien la langue de bois. « Nous entendons toutes ces revendications. (…) Nous payons, là, trente ou quarante ans d’attentisme (...). La responsabilité n’en incombe pas à ce gouvernement » (Place Gre’net, 15/11/2019).
Un peu plus tard, il rencontre des soignants mobilisés. « Il défendait à fond le service public et nous promettait “Ne vous inquiétez pas, le président va faire des annonces fortes”, raconte Sophie, infirmière membre du CIH. À un moment, on lui parlait du manque de matériel et de personnel dans tous les services quand il a complètement changé de sujet en nous posant la question “Et le développement durable vous en pensez quoi ?” Comme si l’urgence en ce moment c’était d’utiliser des couverts lavables. On a compris à ce moment qu’il ne nous aiderait jamais. »
Autant dire que sa nomination au ministère de la Santé n’a guère réjoui les membres du CIH de Grenoble. Pablo, hospitalier, analyse : « Il a toujours été inexistant dans la crise de l’hôpital, à part pour se faire mousser. Et pourtant il connaît la situation : le service neurologie dans lequel il a travaillé cumule les difficultés et manque de matériel et de personnel. Quand on travaille ici, on ne peut pas ne pas être au courant de la situation. On ne peut pas dire “J’ai été aide-soignant et médecin” et n’avoir rien dit, rien fait pendant les huit ans où il a été élu. Il est soi-disant à fond derrière les soignants, mais il n’a jamais relayé nos combats. Une fois il est monté à la tribune de l’Assemblée nationale pour parler de la situation dramatique de l’hôpital de Grenoble, mais c’était plus pour se mettre en avant que pour faire avancer la cause des soignants. Peu après, les problèmes semblaient avoir disparu de ses considérations. »
Ce jour-là, 19 décembre 2017, Olivier Véran s’était en effet fait le relais des « inquiétudes des blouses blanches » (voir le portrait qu’on avait alors fait de lui dans Le Postillon n°44). Quelques semaines auparavant, le jeune neurochirurgien Laurent Selek s’était suicidé sur son lieu de travail, dans l’hôpital de Grenoble – une des multiples alertes de la lente agonie que vit l’hôpital public. Un suicide, ça fait mauvais genre pour un hôpital vanté par Véran comme un « magnifique CHU qui fait la fierté de son territoire ». Au micro de l’Assemblée, le député demande donc à Agnès Buzyn, la ministre de la Santé des « actions concrètes pour lutter contre la souffrance des saignants, euh…[NDR : lapsus révélateur ?] soignants ».
Vingt-sept mois plus tard, rien n’a été fait. Le mal-être des soignants a continué à grossir, la qualité du travail a continué à se dégrader et Olivier Véran n’est pas remonté à la tribune de l’Assemblée pour alerter sur la souffrance de « celles et ceux qui prennent soin de nous au quotidien ». Suite à la journée de mobilisation du 14 novembre dernier, le Macronistan a annoncé un plan « Ma Santé 2022 », censé résoudre tous les maux de l’hôpital. De la poudre aux yeux qui n’a pas convaincu les premiers concernés. En janvier et février 2020, des centaines de médecins chefs de service ont menacé de démissionner pour contester « la diminution du financement global de la santé et des missions qui n’arrêtent pas d’augmenter, sans qu’il y ait des ressources en regard ». Pour les nouvelles journées de mobilisation, pas d’Olivier Véran à l’horizon sur le parvis de l’hôpital de Grenoble. Dorénavant il ne va plus dialoguer avec les soignants mobilisés mais tente de rassurer par tweet : « #Hôpital : Je comprends les attentes des soignants, mais il faut aussi regarder aussi ce qui est fait par le @GouvernementFR. Dès cette année, pour le même nombre de malades, l’hôpital touchera plus de financement. »
Les soignants ont eux bien du mal à voir les bienfaits de « ce qui est fait par le gouvernement ». Le jour de ce tweet, le 14 janvier, les membres du CIH-Grenoble s’étaient incrustés aux vœux de la direction pour demander des recrutements massifs et une hausse de salaire, tout en dressant une impressionnante liste des manques de matériel à l’hôpital de Grenoble, depuis les imprimantes jusqu’aux aux lits adaptés en passant par un « dynamap-tensionmètre » ou un « bladder-scan ». Rien de révolutionnaire mais cette fois ces simples demandes ne seront même pas relayées par Olivier Véran. À l’image du Macronistan et des directions d’hôpitaux, il joue de la stratégie Potemkine, occultant les misères quotidiennes que subissent les soignants derrière les lendemains radieux que leur promet le plan MaSanté2022 : « Ce projet, c’est énormément de choses (…) et je peux vous dire que tous les autres secteurs nous regardent avec envie » s’émerveille-t-il sur France Bleu Isère le 21 novembre 2019. Quatre mois plus tard, on se rend effectivement compte à quel point les « autres secteurs » bavent de jalousie devant les conditions de travail à l’hôpital.
Plutôt que de lutter avec les soignants, il préfère mener d’autres combats, souvent dans le domaine de la médecine mais sur des sujets beaucoup plus consensuels : lutte contre le tabagisme, l’anorexie, pour le nutriscore, la « taxe soda » ou le cannabis thérapeutique. Chaque amendement ou projet de loi déposé lui garantit quantité de passages dans les médias, et permet de faire connaître son visage de gendre idéal. Pour attirer encore plus de projecteurs, le soldat Olivier Véran n’hésite pas à monter au front sur les dossiers chauds de la Macronie : mi-janvier il était nommé rapporteur du projet de loi organique sur la réforme des retraites, ce qui l’a amené à courir de studios de radio en plateaux télé pour la défendre. Toujours volontaire, il profite de chaque fenêtre médiatique pour montrer ses talents de communicant et sa maîtrise des dossiers.
Quand il ne charme pas les journalistes, il réseaute dans les cercles privés des puissants. Membre du Centre d’études et de prospective stratégique (CEPS), un obscur think tank réunissant « 4500 décideurs », il faisait partie de la délégation française entourant le président français lors de sa visite en Chine début 2018. Alors que Macron signe des contrats commerciaux avec le président chinois (dans les télécoms, le nucléaire, l’aéronautique ou les produits de luxe – a priori rien sur les masques FFP2), le député de l’Isère inaugure le « club de Shangai », fondé par le CEPS et China Europe international business school (CEIBS), censé travailler sur les « enjeux d’e-santé et d’intelligence artificielle dans la santé ». On est ici bien loin des questions bassement matérielles du stock de masques à disposition dans les hôpitaux français.
Quelques mois plus tard, Olivier Véran fait partie de la promotion 2018 des Young Leaders France-Chine, une initiative de la France China Fondation, pour réseauter entre jeunes puissants hexagonaux et mandarins (Place Gre’net, 23/05/2018). Ce club compte quelques membres éminents (entre autres Laurent Fabius, Edouard Phillipe, Jean-Pierre Raffarin, Hubert Védrine, Jacques Attali pour les politiques, les PDG de Biomérieux, L’Oréal ou Engie pour les patrons) et organise chaque année un dîner de gala très mondain au château de Versailles ou à l’hôtel de Lassay.
Aujourd’hui, on ne trouve plus aucune trace de la nomination de Véran sur le site de la fondation. Tout juste apprend-on que l’été dernier, Olivier Véran a fait visiter l’Assemblée nationale à la promotion 2019 des Young Leaders France-Chine, qui se réunissaient cette année pour échanger sur le thème de l’optimisme. Le thème de l’édition 2020 n’a pas été dévoilé, sans doute sera-t-il moins léger.
Ses réseautages et son sur-activisme médiatique ont en tout cas fini par payer : depuis le 16 février, le voilà donc ministre de la Santé et responsable en chef de l’hypocrisie gouvernementale autour du délabrement des hôpitaux publics. Lors de son discours d’investiture, il a annoncé vouloir lancer « une grande enquête nationale pour consulter tous les hospitaliers, directeurs, médecins, infirmiers, aides-soignants, brancardiers, je ne peux tous les citer, pour tenter de saisir en détail le sens de leur engagement auprès du public et les raisons du mal-être ».
Les années d’alertes, les mois de mobilisation, les suicides et les démissions collectives n’ont donc toujours pas suffi au médecin Véran pour comprendre les « causes du mal-être ». Mais avec l’arrivée progressive du Covid‑19, les « causes du mal-être » connaissent une grande exposition médiatique. Manque de masques, de matériel de protection, de temps pour faire correctement les gestes barrières, surcharge de travail : plus grand monde n’ignore aujourd’hui les risques de contamination encourus par les soignants.
Plus grand monde... sauf le ministre de la Santé. Suite au décès du premier médecin dû au Covid-19 le 22 mars, il déclare : « La plupart des soignants infectés vont être contaminés en dehors de leur hôpital, c’est pour ça que nous insistons beaucoup sur le respect des gestes barrières. » Et à l’intérieur de l’hôpital ? Tout va très bien, vous pouvez lui faire confiance.