Accueil > Décembre 2015 / N°33

L’huile de palme va-t-elle chauffer Grenoble ?

De l’huile de palme pour faire tourner les centrales de chauffage ? On n’arrête pas le progrès, à Grenoble plus qu’ailleurs. La CCIAG (Compagnie de chauffage de Grenoble) a fait au mois de novembre une première expérimentation pour tester cette façon innovante de chauffer les chaumières. Le problème, c’est qu’en plus d’être innovant, le recours à ce combustible est potentiellement polémique. La demande croissante d’huile de palme ravage la Malaisie et l’Indonésie, les principaux producteurs : déforestation massive, pollution atmosphérique et aquatique à cause des pesticides utilisés, destruction de la biodiversité, disparition des orangs-outans, etc... Alors pourquoi y avoir recours ? Au téléphone, Patrice Perrier, le directeur général adjoint de la CCIAG, veut avant tout parler du « contexte » : « il y a de plus en plus de normes limitant les émissions dans l’atmosphère de CO2 ou de particules fines. D’ici 2021, on ne devra plus émettre de CO2. Pour l’instant, pour faire tourner la centrale de la Villeneuve, on utilise surtout du fioul lourd, ce qui est très polluant. Depuis l’année dernière, on travaille avec le CEA (commissariat à l’énergie atomique), pour fabriquer une huile issue de la pyrolyse du bois. Mais pour l’instant on en est encore au stade de recherche, ce n’est pas industrialisable ». Voilà comment ils en sont arrivés à penser à l’huile de palme, « qui nous permettrait de respecter les limites d’émission ». Quand aux impacts écologiques de sa production : « c’est sûr que tous les transports que ça implique, c’est pas très vertueux, mais sinon nous achetons une huile de palme certifiée RSPO [Roundtable on sustainable palm oil], qui promeut des comportements vertueux sur le sujet ». Cette certification est la « Max Havelaar » du domaine, censée garantir une « huile de palme durable », et qui a tout l’air d’une bonne arnaque, comme le souligne le site vivresanshuiledepalme.blogspot.fr : « Les industriels de la palme, pas fous, ont bien senti le vent tourner. Ils ont alors inventé l’huile de palme « durable », dûment certifiée RSPO. Par qui ? Par eux-mêmes, en instaurant au sein d’une table ronde des règles qui les arrangent. Et ces règles, déjà vides et sans grand intérêt réel, ils ne les respectent même pas forcément ! ». L’huile de palme est de toute façon une telle aberration écologique que même Ségolène Royal était monté en créneau, en affirmant (avant de se raviser) « qu’il fallait arrêter de manger du Nutella » à cause de l’huile de palme qu’il contient. Alors qu’en pense le président vert & rouge de la CCIAG ? Hakim Sabri, par ailleurs deuxième adjoint aux finances à la ville de Grenoble, est forcément un peu gêné et assure qu’il n’a pas participé à la décision de faire ces tests : « J’ai été interpellé sur cette expérimentation par une habitante de la Villeneuve : je ne sais pas tout ce qui passe au quotidien dans la CCIAG. C’est un peu le bordel en ce moment, on est dans une période de transition au niveau de la direction de la compagnie de chauffage. Dans beaucoup des SEM (Sociétés d’économie mixte) de la ville de Grenoble, les cadres s’autogèrent un peu, et ont certaines réticences à faire circuler les informations. Ils oublient un peu quelque fois qu’ils ont un employeur. » Ceci dit, Sabri rééxplique le « contexte » de la même façon que Perrier, mais affirme : « même si les essais ont été concluants, on ne va pas utiliser l’huile de palme dans le futur. Ce n’est pas possible : politiquement ça ne passera pas auprès des élus et du comité d’usagers ». Perrier, le directeur général adjoint, n’est pas du même avis : « on va soumettre cette possibilité à l’agrément de la métropole et on verra » Un salarié de la CCIAG analyse : « C’est hypocrite de la part de Sabri d’avoir laissé faire ces test. En fait financièrement il est pour, parce que ça baisse les quotas de CO2, mais politiquement il ne peut pas le défendre. La direction technique, elle, est à fond pour. » Impossible donc pour l’instant de savoir si l’huile de palme sera utilisée régulièrement dans les centrales de chauffage grenobloises. Qui veut parier des pots de Nutella ?