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L’eau potable rançonnée par l’industrie des puces électroniques (suite)

Dans un article du Postillon n°42 (automne 2017), on racontait comment les autorités se démenaient pour permettre à la multinationale STMicroélectronics, dont un site de production est basé à Crolles, de consommer toujours plus d’eau alors que les « alertes sécheresse  » se multipliaient dans le département de l’Isère. À l’époque, STMicro consommait déjà 92 litres par seconde et envisageait de passer à 176 litres par seconde suite à la « création d’une nouvelle unité de fabrication de semi-conducteurs  ». Cette nouvelle n’avait pas l’air de contrarier les élus, comme on le racontait : « Dans le rapport de la commissaire-enquêtrice (disponible sur le site de la préfecture), on découvre notamment que M. Lorimier, président du Sierg (Syndicat intercommunal des eaux de la région grenobloise) et maire de Crolles, n’était même pas au courant de cette croissance du pillage de l’eau, mais qu’il n’a pas l’air fâché. Dans un courrier, “il précise, après une analyse détaillée de toutes les informations fournies dans le dossier concernant les prévisions de consommation en eau, que le Sierg est surpris de découvrir l’ensemble de ces informations sans qu’aucune concertation ni information n’aient eu lieu en amont. Il rappelle qu’un réservoir supplémentaire de 6 000 m3 a été construit afin de sécuriser l’approvisionnement mais pas le renforcement des adductions d’eau. Il rappelle que le réseau ne pourra pas fournir le volume d’eau nécessaire à STMicro, tel que mentionné dans le dossier à l’horizon 2022, sans effectuer de travaux.” »

Aujourd’hui, le temps des travaux est arrivé. La communauté de communes du Grésivaudan (CCLG) a publié une offre d’« assistance à maîtrise d’ouvrage pour le lancement, la validation, la coordination des études, la planification et le suivi de la réalisation des travaux structurants d’eau potable issus du schéma directeur intercommunal nécessaires pour les besoins futurs industriels de Crolles et Bernin ».

Dans ce document, on apprend que « sur les communes de Crolles et Bernin, il a été mis en évidence une augmentation significative des besoins industriels en eau potable à court terme (moyenne d’environ 16 000 m3/j avec des pointes supérieures à 20 000 m3/j)  ». 20 000 m3 par jour, ça fait 231 litres par seconde, soit encore 65 litres de plus qu’en 2017. STMicro n’est pas le seul gros consommateur d’eau du coin : sur la commune de Bernin est implanté Soitec, gaspillant également des millions de litres pour produire des matériaux semi-conducteurs. La CCLG précise dans ce document la nécessité pour la collectivité publique de se plier aux désirs des industriels : « Afin de permettre une alimentation en eau potable suffisante aux industriels situés sur ces communes à fort enjeu économique, il est nécessaire de réaliser des travaux importants sur le territoire de la CCLG. Depuis l’été 2019, la consommation d’eau industrielle évolue progressivement et significativement, induisant une grosse sollicitation des ouvrages d’eau potable. Cette consommation va continuer son ascension et il devient nécessaire d’organiser et de programmer les travaux de renforcement en conséquence. » Pour que les industriels puissent bénéficier de cet assistanat, les travaux devraient débuter en février 2021 et coûter au moins 7 millions d’euros à la collectivité. Pendant ce temps-là, la préfecture de l’Isère mettait une fois de plus la plupart du département en alerte sécheresse le 28 août puis le 14 septembre dernier. Dans le Grésivaudan, les communes subissaient notamment l’ « interdiction de laver les voiries » ou l’ « interdiction de faire fonctionner les fontaines publiques » et les agriculteurs devaient accepter une « baisse de 15 % des prélèvements agricoles autorisés pour l’irrigation  ». Pour la production de puces électroniques pour les nouveaux Iphone 5G (le principal débouché actuel de Soitec), les vannes sont par contre grandes ouvertes. Mais surtout, pensez bien à couper l’eau quand vous utilisez votre brosse à dents connectée !