Accueil > Décembre 2011 / N°13

ENCORE UNE INNOVATION GRENOBLOISE !

L’Olivier Pentier, le journaliste intelligent

Vous avez certainement déjà entendu parler du frigo intelligent, du réveil intelligent, de la maison intelligente ou des compteurs intelligents (voir Le Postillon n°10). Mais sans doute connaissez-vous moins le journaliste intelligent, plus connu sous le nom d’«  Olivier Pentier  », une innovation développée par Le Daubé en partenariat avec le Commissariat à l’énergie atomique et les grandes entreprises de la région. C’est pourtant un outil extrêmement efficace dans la compétition internationale – qui est aussi une guerre de la communication.
Chaque semaine, l’Olivier Pentier noircit des pages entières du Daubé à la gloire des entreprises et centres de recherche isérois. Inlassablement, il promeut avec le même élan les gadgets technologiques et les innovations commerciales. La perfection du système est telle qu’aucune erreur ne se glisse jamais dans ses productions  : pas la moindre critique ne vient assombrir l’enthousiasme de ses papiers publicitaires. Mais comment fonctionne cette ingénieuse machine ?

À la base, une idée simple : pourquoi investir dans de coûteuses campagnes de communication quand le quotidien local peut faire le travail gratuitement ? Ou, plus précisément : comment s’assurer que la presse locale assure sans faille la promotion du «  modèle grenoblois  » ?
Pour traiter ce problème, il y avait la solution de se tourner vers le passé et de s’inspirer d’expériences ayant fait leurs preuves, du bien connu journal soviétique La Pravda à la très efficace ORTF, détenant pendant plus de trente ans le monopole d’état de la radio et de la télévision. Mais la technopole grenobloise – résolument tournée vers l’avenir – ne peut se contenter de plagier ce qui s’est fait ailleurs et se doit à chaque fois d’innover.
Aussi a-t-elle voulu se placer à l’avant-garde et faire émerger une nouvelle génération de journalistes, plus efficaces, plus rapides, plus sûrs : les journalistes intelligents. Depuis plus de vingt ans, un prototype est développé par l’entreprise Le Daubé sous le nom «  Olivier Pentier  ».
Comme toute machine intelligente, l’Olivier Pentier communique avec son environnement grâce à toute une série de capteurs. Le principe est basique : en gros, il suffit que le service presse d’une entreprise envoie un communiqué de promotion pour que l’Olivier Pentier le traite et le synthétise le lendemain sous la forme d’un article dans Le Daubé. Ce principe se décline et peut être adapté selon les circonstances : par exemple, vous pouvez aussi inviter l’Olivier Pentier à l’une de vos conférences, ses oreilles transmettront à son cerveau toutes les informations utiles, et il produira le lendemain le plus enthousiaste des compte-rendus dans le quotidien local. En option, vous pouvez même lui payer des voyages dans des contrées lointaines   : en 2007, il était allé jusqu’en Suède pour visiter le siège du leader de la table basse Ikéa – qui allait ouvrir son magasin à Saint-Martin-d’Hères. Le résultat fut à la hauteur des attentes de la marque jaune et bleue : l’Olivier Pentier célébra à plusieurs reprises l’ouverture du magasin, parlant d’un «  sacré évènement  » et allant même jusqu’à assurer : «  On l’espérait, on l’attendait, le voilà  » (Le Daubé, 27/07/2007). En novembre 2011, il s’est rendu à Londres pour flatter le travail pré-olympique de la firme Atos Origin (voir Le Postillon n°10), implantée notamment à Grenoble (Le Daubé, 09/11/2011).


L’Olivier Pentier en fonctionnement à Grenoble Ecole de Management, avec l’application «  photographie  ».

Les avantages de cette innovation sont multiples : faible coût, simplicité du process, qualité de la production, zéro défaut, zéro délai. Le rendu est généralement impeccable, parsemé des principaux éléments du champ lexical intégré par l’Olivier Pentier  : «  technologie de rupture  », «  véritable révolution  », «  de rang mondial  », «  innovation majeure  », «  découverte déterminante  », «  vise les sommets  », «  la clef du succès  », «  invention révolutionnaire  », «  plein d’ambitions  », «  changer notre quotidien  », «  levier bienvenu vers les marchés extérieurs  ». Bien entendu, il doit par moments être mis à jour ou réinitialisé, mais l’envoi d’un dossier de presse suffit. Une bonne poignée de main ou une petite discussion amicale peuvent également être mises en œuvre. Mais l’option la plus efficace pour optimiser l’Olivier Pentier reste incontestablement l’achat d’encarts publicitaires dans Le Daubé.
Répondant aux normes écologiques les plus pointues, l’Olivier Pentier est essentiellement constitué d’éléments recyclables telles que la peau, les os, et principalement de 70% d’eau. Équipé généralement de lunettes et d’une veste, il se déplace en revanche en voiture classique. Mais son concepteur le dotera d’un véhicule électrique dès que la technologie aura suffisamment progressé.

La ou la rupture technologique est majeure, c’est qu’avec le journaliste intelligent, l’erreur n’existe pas. La machine ne plante jamais. Fini le petit paragraphe s’interrogeant sur la nécessité ou l’utilité sociale de telle innovation. Terminé la phrase ambiguë émettant la possibilité d’un risque autour du développement d’une technologie. Exit la parole donnée aux contestataires anti-tout, aux riverains ou aux syndicalistes mécontents. Dans l’épreuve de promotion des entreprises, l’Olivier Pentier affiche le score affolant de 100% de réussite   ! Objet d’un contrôle qualité incessant, il produit des articles sans la moindre fausse note, superbement lisses, en toute objectivité. Car dans le journalisme intelligent, l’objectivité consiste à remplir les objectifs assignés à l’agent, à savoir assurer la promotion d’un produit.

Le journaliste intelligent est au communicant ce que le mercenaire est au militaire. Tous deux font à peu près le même boulot, mais le journaliste intelligent, qui avance masqué, est bien plus efficace. Dans la guerre économique, il se met au service des plus grandes firmes iséroises, sans questionnement ni d’état d’âme. L’Olivier Pentier est parfaitement stable et n’est pas sujet à l’erreur humaine. Il ne présente pas de défaut de fabrication et ne souffre ni de cas de conscience, ni d’esprit critique, ni même d’ambition. Rendez-vous compte : après avoir été programmé au Journal Rhône-Alpes et à Lyon-Figaro, il œuvre au Daubé depuis 1988 où il écrit les mêmes articles, sur les mêmes sujets, avec le même engouement et la même verve. Vingt-trois ans de répétitions : un robot pourrait difficilement faire mieux. L’Olivier Pentier n’a pas d’autre souhait que de remplir sa mission : satisfaire les chefs d’entreprise qu’il adule tant.
Le seul défaut de l’Olivier Pentier est sans doute de mettre en relief les imperfections de ses confrères qui n’ont pas encore atteint son degré d’intelligence. Pauvres Eve Moulinier, Saléra Bénarbia, Philippe Gonnet, Denis Masliah, Vincent Paulus, [1] etc. ! Malgré tous leurs efforts et sacrifices, leur production n’atteint pas le niveau du journalisme intelligent. Bien qu’ils aient remisé depuis longtemps leurs velléités d’enquêtes et de journalisme indépendant (ont-elles existé  ?), ils sont encore trop incertains, sensibles, sujets à des variations d’humeur ou d’avis. Tout simplement trop humains. Or l’humain n’est pas un paramètre qui compte dans la compétition internationale.

En état de marche depuis plus de cinquante ans, l’Olivier Pentier est également programmé pour former les nouvelles générations. Il anime, comme le 11 février dernier, des tables rondes à la Chambre de Commerce et d’Industrie «  comment accompagner son enfant dans son orientation ?   ». Et l’on peut supposer - et espérer  ! - qu’il donnera prochainement des cours au Master journalisme de Sciences Po, ou à l’Institut de la Communication et des Médias. On attend en tout cas avec impatience que ses concepteurs sortent de nouvelles versions – ou des clones – de cette innovation révolutionnaire.
Les grands hommes ont fait l’histoire. Les robots font l’avenir.

Notes

[1Pour des raisons de sécurité, les noms de ces journalistes au Daubé n’ont pas été changés.