Accueil > Decembre 2021 - Janvier 2022 / N°63

Des rivières gonflées de larmes

Voilà deux ans (Le Postillon n°51), on avait tiré le portrait de Gaspard Forest, un ancien bûcheron reconverti en nettoyeur bénévole des rivières. Fallait le voir, ce gaillard plein de muscles, treuiller des carcasses de bagnoles et de machines à laver hors de la flotte avant de les poser sur le bord de la route pour interpeller les pouvoirs publics. Si son combat solitaire et atypique nous avait d’abord charmés, la suite, avec un très médiatique « pacte dépollution rivière » signé par plein de candidats aux municipales de 2020, nous avait laissés plus dubitatifs. Jusqu’au choc, sa disparition brutale fin octobre, évoquée ici par notre responsable abonnements.

La première fois que je l’ai rencontré, Gaspard était ce gars qui – dans un groupe composé exclusivement de sales hippies, punks et gauchistes divers – soutenait seul contre tous qu’il fallait donner sa chance à Macron. Naïf, certes, mais intègre intellectuellement et sincère. Ça faisait de lui un individu avec qui entretenir un débat d’idées hors d’un entre-soi conventionnel. Au fur et à mesure de nos rencontres s’est révélé à moi un être en relief ; sensible, cultivé, accessible et authentique. Mais la vie est une chienne et Gaspard s’en est allé, concédant le 23 octobre dernier à ses démons une bataille qu’il avait livrée de longue haleine et qui le rongeait.
La cérémonie était sobre, composant avec divers messages mêlant souvenirs et amour, devant une assistance fournie, comme un témoignage d’une vie remplie de rencontres et d’étapes atypiques, dont la plupart m’étaient inconnues.
S’il s’était jeté dans cette lutte pour des rivières propres, c’était avant tout « le fruit d’une quête, d’une véritable réflexion sur le but de la vie, notre place dans la société, les devoirs d’un être humain ». II avait soulevé des montagnes (de déchets entre autres), il avait rencontré des gens de toutes les formations politiques et avait même été rencontrer des membres du gouvernement à l’Élysée. C’était une de ses facettes, il ne polarisait point son action, œuvrant sans préjugés avec tous ceux qui le voulaient bien. S’il racontait avoir rencontré des gens concernés, compétents et avenants, de droite comme de gauche, il a connu de nombreuses déceptions. La lenteur des processus de décision, le peu d’actions concrètes entreprises par les politiques, voire les tentatives de certains élus médiatiques de le discréditer ou de le rendre moins audible l’ont dégoûté, avant que la crise du Covid ne mette un point d’arrêt à son projet. Aujourd’hui, ces mêmes élus médiatiques partagent de « nombreuses réactions attristées sur les réseaux sociaux » (Place Gre’net) utilisant son image comme ils l’ont toujours fait : un simple outil de com’.

Son image, pour moi, restera limitée aux contours d’une relation naissante mais empreinte de curiosité et de générosité. Quelle tristesse de ne plus jamais le croiser, partager les mésaventures éprouvées dans la voie singulière qu’il s’était tracée, digresser avec cet esprit libre. Coulez mes larmes, entre les mailles de ses filets.