Démolition du 50, galerie de l’Arlequin : l’étude cachée
Avec les études publiques, la mairie procède comme avec les sondages : elle n’en parle que quand ça l’arrange. Suivant à la lettre les directives de l’Anru (Agence Nationale de Rénovation Urbaine), qui met son financement sous la condition de la destruction d’habitats, la mairie a décidé depuis un moment de détruire une petite partie du quartier de la Villeneuve, en l’occurrence le 50, galerie de l’Arlequin. Pour justifier cette démolition, la mairie avait commandé une étude à un groupement d’experts. Manque de bol, ses conclusions n’ont pas été dans le sens voulu par la municipalité, qui du coup a refusé de les payer et a soigneusement caché cette étude. L’embrouille est racontée dans le mémoire de Nathan Blanckaert, « Les tribus de l’Arlequin, Réflexions sur la Villeneuve et la ‘‘rénovation des banlieues’’ ». Extrait :
« Le conflit qui oppose le groupement Lacaton Vassal, Interland et BazarUrbain à la mairie fait figure de bombe médiatique contre la mairie. Opposés ouvertement à la démolition, ils furent tout de même choisis par la municipalité pour réaliser le diagnostic et les propositions opérationnelles pour la Villeneuve. Le diagnostic insiste sur la qualité du bâti et la non-nécessité d’une destruction. Les propositions sont donc d’un tout autre ordre et le groupement n’a pas été payé pour son travail pour le moment. L’affaire est en justice parce qu’ils n’auraient pas respecté le contrat, c’est-à-dire parce qu’ils n’ont pas inclus la démolition dans les propositions pour les raisons suivantes :
‘’Ne pas démolir pour éviter de détruire le système urbain qui, globalement, reste une alternative valide à l’ère du développement durable. Un regard tourné vers ce qui fonctionne, vers le potentiel, vers la charge active contenue dans ces immeubles plutôt que leur face désenchantée. Tous les logements peuvent être rénovés, ré-utilisés, remplacés, les buttes dans le parc participent au paysage du parc et à la perception des échelles, tout comme les constructions entre les immeubles... Partant du potentiel existant, pour transformer, corriger les défauts, régler les problèmes, porter chaque composant à un meilleur niveau, la démolition ne fait pas partie de la stratégie. La démolition n’est pas compatible avec la démarche proposée. Les démolitions engagées remodèlent les formes, sans agir sur le fond. Elles mobilisent des moyens, déclenchent des opérations lourdes, sans ajouter de plus value. C’est une action inopérante, économiquement inefficace, qui engage la perte de logements, prive les acteurs de l’outil opérationnel pour faire évoluer la mixité du peuplement, et qui, finalement, ne produira pas les effets imaginés, d’ouverture du parc sur la ville ou de création d’espaces publics de qualité. […] La démolition des logements (50, 130), et des équipements existants, n’est pas compatible avec notre projet de transformation. Les études et analyses démontrent que l’opportunité n’est pas confirmée. Elle n’opérera pas de changement d’image qualitatif et ne produira pas les effets d’entrée sur le parc attendus, compte tenu des arrière plans bâtis, des pignons hauts et fermés, créés par la démolition. Elle va produire dans un premier temps une image négative de la construction. Elle est coûteuse. Des dépenses très lourdes pour la collectivité et les bailleurs (selon le scénario ANRU, 21 M€HT sont destinés à la démolition-reconstruction de 85 logements, contre 6M€HT destinés à la rénovation. Ce montant de 21 M€HT permettrait la rénovation de 380 logements). La perte de l’outil opérationnel qui permet d’engager très rapidement la mixité et de développer l’accession.’’ ( Ces deux extraits sont issus des pages 5 et 45 du dossier de propositions. Ce dossier, normalement public selon les valeurs de transparence de la mairie, m’a été assez difficile d’accès. Après près d’un an de recherche, Jean-Philippe Motte et Christophe Romero m’ont laissé consulter un document papier, sans me laisser une seconde seul dans la pièce ).
Donc, à la vérité, il semble clair que la ville de Grenoble soit en phase avec la mission de destruction des villes que s’est donnée l’ANRU. On dirait même qu’ils mettent un certain volontarisme en direction de cet objectif. Pour M. Motte [NDR : adjoint à la politique de la ville] il s’agit, de la part du groupement, d’un « refus d’étudier l’hypothèse de la démolition ». Il nous semble que ce refus est honnêtement argumenté, et d’ailleurs, notre expérience du quartier montrerait plutôt un accord des habitants avec ce constat ».
Affaire à suivre dans le prochain numéro du Postillon.