Bientôt des algues vertes dans l’isère ?
Quantité de Grenoblois traversent la France chaque été pour aller prendre le frais en Bretagne. Mais, bientôt, peut-être, la Bretagne viendra à nous grâce aux algues vertes ! ST et Soitec ont le droit de rejeter chaque jour des quantités hallucinantes d’azote et de phosphore dans l’Isère, des substances responsables de « l’eutrophisation » et du développement des algues vertes. Alors oui, les multinationales, en tout cas jusqu’à preuve du contraire, « respectent les seuils » : le problème, c’est que ces seuils, définis par arrêtés préfectoraux, sont incroyablement élevés...
Le service com’ et les élus tentent donc de cantonner le débat sur la consommation d’eau, en cours « d’optimisation ». Cela permet de perdre le grand public dans des données chiffrées complexes, et d’éviter de s’épancher sur d’autres questions, comme par exemple celle de la pollution de l’eau. Le patron du site ST de Crolles est tout fier d’annoncer que l’usine restitue « 85 % de l’eau que nous utilisons dans le milieu naturel [dans l’Isère] », en se contentant d’assurer que « nos rejets sont régulièrement contrôlés ». Guy Dubois, un ancien manager de STMicroelectronics (L’Usine Nouvelle, 18/05/2023), ose quant à lui affirmer : « Il est probable que l’eau rejetée dans la rivière soit plus propre que celle qui y coule naturellement. » Il semble beaucoup plus probable que cet énergumène se fiche de notre tête.
On avait vu dans le Postillon n°68 comment STMicro pollue l’eau, qui est, tout au long du processus de fabrication des plaques de silicium, en contact avec de nombreux produits chimiques (en 2021, le site en utilisait 21 tonnes par an). Les « effluents liquides » ont beau être dépollués dans une « station de traitement », ils sont rejetés dans l’Isère avec quantité de traces de solvants toxiques. Si les concentrations sont faibles (quelques milligrammes par litre), les volumes astronomiques d’eau rejetés (15 000 m3 en moyenne par jour, soit 15 millions de litres) augmentent logiquement les quantités de polluants, pouvant atteindre, selon les substances, plusieurs kilos ou dizaines de kilos par jour. Il y a six mois, on écrivait : « Des pollutions infinitésimales répétées pendant des années peuvent pourrir un milieu physique, des polluants rejetés dans les rivières passant dans les nappes (les deux étant poreux). Il y a aussi le phénomène de bioaccumulation, soit l’accumulation dans les êtres vivants, de prédateur en prédateur, des substances toxiques. » Mais concrètement, quelles conséquences néfastes pourrait-on observer ?
Une note de Scientifiques en rébellion (septembre 2023) vient éclairer un peu notre lanterne, en s’attardant sur les problèmes de l’azote et du phosphore, rejetés en masse par les industriels de la micro-électronique.
Les Bretons, devant maintenant ferrailler contre les « algues vertes », commencent à le comprendre. Là-bas, une trop grande présence d’azote et de phosphore dans les milieux naturels (due à l’utilisation d’engrais chimiques ou lisiers de porcs par l’agriculture intensive) favorise le développement de « l’eutrophisation » des milieux aquatiques. L’eutrophisation étant, selon Wikipedia, un « déséquilibre du milieu provoqué par l’augmentation de la concentration d’azote et de phosphore dans le milieu. Elle est caractérisée par une croissance excessive des plantes et des algues due à la forte disponibilité des nutriments. Les algues qui se développent grâce à ces substances nutritives absorbent de grandes quantités de dioxygène. Leur prolifération provoque l’appauvrissement, puis la mort de l’écosystème aquatique présent : il ne bénéficie plus du dioxygène nécessaire pour vivre, ce phénomène est appelé “asphyxie des écosystèmes aquatiques” ».
Dans le Grésivaudan, les quantités de rejets d’azote et de phosphore autorisés sont proprement hallucinantes, surtout pour ST (arrêté du 20 mai 2016) mais aussi pour Soitec (arrêté du 9 juillet 2021). Si la concentration semble petite (50 mg/l pour l’azote), cette petite somme multipliée par le nombre de litres potentiellement rejetés chaque jour dans l’Isère (21 900 m3/j à eux deux) [1] aboutit à un total potentiel de 1 095 kg d’azote par jour directement dans l’Isère. Pour le phosphore, on est à potentiellement 94,5 kilos par jour.
Là où la note est parlante, c’est qu’elle convertit ces quantités en « équivalent-habitants ». Ainsi la « quantité d’azote actuellement autorisée pour ces deux seuls industriels est celle d’une ville de 53 000 habitants qui ne traiterait pas ses rejets ». Pour le phosphore, cela équivaut « seulement » à « une ville de 23 600 habitants qui ne traiterait pas ses déchets ». Un spécialiste de la pollution des eaux s’insurge : « C’est énorme ! Cela vient gâcher tous les efforts des collectivités et des autres industriels… Quelle collectivité serait autorisée à polluer ainsi le milieu naturel ? On observe que l’arrêté préfectoral de ST Micro est bien plus complaisant que celui de Soitec sur l’azote notamment. »
Pour ST, la quantité totale de polluants qui peuvent être versés par jour dans l’Isère n’est que le produit de la concentration maximale autorisée du polluant par le volume de rejets maximal autorisé. En gros on autorise le maximum possible. Pourtant, sur le cuivre et l’aluminium le maximum rejeté journalier est en-dessous du maximum possible. Pourquoi ne pas faire autant avec l’azote, le phosphore et tous les autres, puisqu’on le fait pour Soitec ?
Ainsi, si de nouveaux arrêtés préfectoraux ne viennent pas prochainement limiter les quantités totales de substances toxiques potentiellement déversées dans l’Isère, les futurs agrandissements des usines entraîneront mécaniquement une explosion des polluants dans l’Isère. Pour ce problème, peu importe que l’eau vienne des nappes ou des réserves d’eau potable, elle sera autorisée à être rejetée pareillement polluée... Avec potentiellement 37 000 m3 par jour rejetés dans l’Isère ce seront 188 kilos de phosphore et 1850 kilos d’azote qui pourraient être rejetés chaque jour. Soit l’équivalent, respectivement, d’une ville de 47 000 et de 115 000 habitants qui ne traiterait pas ses rejets. Si avec de telles quantités répétées pendant des années, on n’a pas nos algues vertes… on aura sans doute d’autres joyeusetés. Car il n’y a pas que l’azote et le phosphore qui sont rejetés en quantités astronomiques : on trouve aussi du chlore, du fluor ou divers métaux. Là-dessus, le service com’ de ST Micro n’a encore pondu aucun élément de langage. La suite au prochain numéro ?
Notes
[1] Tous les chiffres cités proviennent des arrêtés préfectoraux ou des documents de l’enquête publique.