Accueil > Décembre 2014 / N°28

Au feptième fiel

« Je ne pensais pas qu’une structure publique puisse écraser ce qu’elle prétend soutenir. » Toni est une jeune « auteure-compositeure-interprète » grenobloise. Au printemps 2013, Laurent Simon, le directeur de la Régie 2C, lui propose de faire une résidence de longue durée dans une des deux salles de la Régie, Le Ciel, pour enregistrer et co-produire son premier album, et donner son premier concert. La régie 2C est une régie autonome, dépendant de la Ville de Grenoble, dont une des missions est de soutenir et promouvoir les jeunes artistes locaux.
Dès juin 2013, on lui remet la clef du Ciel. Mais Toni va peu à peu déchanter. Les mois passent et, malgré ses demandes répétées au directeur de la Régie 2C d’officialiser sa situation, aucune convention de résidence n’est signée entre l’artiste et la Régie 2C. Ni même le contrat de coproduction de son premier album. Ni même un contrat quant à la représentation de son premier concert. Les rapports se tendent peu à peu, mais Toni tient le coup. Elle enregistre l’album, ou plutôt sept chansons sur douze et tombe malade.
Le directeur de la Régie 2C décide alors d’annuler l’album. Toni donne quand même son premier concert en mars 2014, pour l’ouverture du festival Les Femmes s’en Mêlent #17. Puis se rend compte qu’elle ne sera pas payée pour cette prestation et que les enregistrements de l’album ont été effacés. Le concert, qui devait être enregistré, ne l’a pas été. Toni en sort dégoûtée : « Laurent Simon est d’une grande perversité : comment peut-il s’afficher comme soutien de la scène féminine indépendante lors du festival des Femmes s’en Mêlent alors que dans le même temps, il méprise totalement une artiste et son travail tout en se vantant à la radio d’avoir déniché une perle locale ? »
Sa mésaventure n’est pas très étonnante quand on se renseigne un peu sur les agissements de Laurent Simon. Ces dernières années, peu d’artistes grenoblois ont été efficacement accompagnés par la Régie 2C. La plupart des salariés de la Régie 2C ne portent pas dans leur cœur leur directeur, et plusieurs alertes ont déjà été lancées auprès du CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) pour « harcèlement psychologique » ou « pressions ». Pressions qui font que personne n’ose témoigner - justement.
Le conseil d’administration de la Régie 2C est composé de quatre élus, le directeur Laurent Simon et trois personnes nommées par la mairie. Dans les faits le directeur semble bien pouvoir faire ce qu’il veut : personne n’était au courant - par exemple - que Toni était en résidence. Ce fonctionnement autocratique est peu compatible avec la mission de la Régie 2C, service public au budget de 900 000 euros, dont les actions devraient être rendues publiques et assumées par la collectivité.
En découvrant ce tableau, Toni s’est dit qu’il y avait un problème avec Laurent Simon, qui dépassait celui qui la concernait personnellement : « Comment ne pas réagir ? Est-ce que parce que personne ne veut s’en occuper, à cause de l’inertie du système, ou est-ce parce qu’il est protégé ? »
Pour essayer de faire bouger les choses, Toni a essayé d’aller en causer avec la mairie. Elle a été reçue par le service culturel de la Ville de Grenoble, à l’époque de Destot. Les techniciens à la culture et aux musiques actuelles lui ont dit ne rien pouvoir faire, alors que la Régie 2C dépend - on se répète - de la mairie.
Toni a de nouveau envoyé son témoignage à la nouvelle municipalité, deux fois. Fin novembre, elle n’avait toujours reçu aucune réponse : déranger les barons locaux n’a pas l’air de faire partie des priorités de la nouvelle équipe. Ça l’énerve que rien ne bouge, Toni : « Plus j’avance, plus je me rends compte que ça fait des années que le milieu de la musique grenoblois est au courant des abus de pouvoir du directeur, que les musiciens sont bien avertis de ses dérives et que personne ne fait rien. Des directeurs de salles aux employés et aux artistes. J’ai bien compris que je n’étais pas la seule à avoir été abusée, et bien compris que tout le monde était au courant dans le milieu. Mais personne ne fait rien. Les uns parce qu’ils pensent que c’est perdu d’avance, les autres de peur de perdre leur place ou de passer pour des petits cons. »
Cette « peur » de dénoncer-ce-qui-ne-va-pas est effectivement un obstacle auquel Le Postillon est souvent confronté. C’est - hélas ! - une des pierres angulaires de la vie locale.