Que peut-on espérer d’une « théorie du lotissement » ?
Vous ne le savez pas, mais à Grenoble nous avons la chance d’avoir un intellectuel dont les théories vont sans doute sauver le monde. Loïck Roche est surtout connu en tant que dirigeant de Grenoble école de management. Eh bien sachez qu’il écrit également des livres, et pas n’importe lesquels : son dernier opus entreprend rien de moins que de proposer les solutions pour « sortir de la crise » et donner les « clefs pour réussir le monde de demain ». Intitulé La théorie du lotissement (PUG, 2016), ce court texte propose de régler les problèmes du monde à base d’amour et de coopération. Certaines phrases semblent ainsi tout droit sorties des théories Gaïa : « Travailler pour le voisin, c’est travailler pour soi » ; « Comme les arbres au cœur de la forêt, au cœur d’un lotissement, il appartient à chacun de tirer l’autre vers le haut, vers le soleil » ; « Apprendre à tendre la main » ; « Ce qui est bon pour l’un est bon pour l’autre, et inversement ». Loïk Roche, vous lui donnez une guitare et des cheveux longs et il pourrait faire des featurings avec Tryo. On reconnaît ici une tendance du management new-age qui parle beaucoup d’amour pour essayer de faire disparaître les rapports conflictuels, les revendications salariales ou les grèves en « acceptant de ranger les couteaux et laisser les querelles de côté ». Exploiteurs, exploités : tous unis dans l’amour des dividendes des actionnaires ! Des bons sentiments qui ont quand même quelques limites : ce qui importe pour ce conseiller de la Banque de France, c’est la « compétitivité de la France » et « la place de la France dans le monde ». Sous-entendu : l’entraide s’arrête aux frontières, et dans une économie mondialisée il ne faut surtout pas « travailler pour le voisin » ou « tendre la main ».
C’est suite à une querelle avec le directeur de Sciences Po, la grande école concurrente de l’agglomération que sa « théorie » a « surgi », s’est « imposée à lui ». Il la résume ainsi : « comme dans un lotissement, ma maison a d’autant plus de valeur que la maison du voisin a de la valeur ». Le lotissement représente quelques-uns des travers de nos sociétés actuelles : mitage des campagnes, croissance infinie de l’urbanisation, omniprésence de la bagnole, règne du chacun-chez-soi et des haies-murs entre voisins (1). Qu’un directeur d’une école de management prenne ce mode d’habitat comme support à une théorie « positive » symbolise bellement l’impasse du modèle économique actuel.
(1) Lire Jean-Luc Déby, Le cauchemar pavillonnaire, aux éditions L’échappée, 2012, et dans un style remarquablement sensible et efficace : Sophie Divry La condition pavillonnaire, Notabilia, 2014.