L’Université Grenoble-Alpes (UGA) s’est récemment dotée d’un tout nouvel espace de restauration sur le campus de Saint-Martin-d’Hères, le Restaurant Universitaire Diderot. Comme l’exige la loi, pour de tels investissements dans le BTP, un certain pourcentage doit être alloué à l’édification d’une réalisation artistique. C’est ainsi qu’est né « Le Torrent ».
Pour rappel, le campus de Saint-Martin-d’Hères, c’est cet immense amas de béton installé en quelques décennies sur les terres les plus fertiles du Grésivaudan, « une vaste plaine alluvionnaire de 186 hectares ». De ces terres un temps vivantes, il reste tout de même un petit hectare d’herbes folles investi par un groupe militant autour de leur caravane style seventies, « l’Université Autogérée », qui s’évertue non sans mal à nous rappeler le saccage environnemental organisé depuis 50 ans par ce qu’ils appellent le « complexe militaro-industriel ».
Plus récemment le béton et l’amiante ont laissé place aux armatures de métal et aux grandes baies vitrées, et donc aux ponts thermiques l’hiver et à un puissant effet de serre l’été, terriblement accentués par les extrêmes climatiques que nous vivons et allons vivre dans les années à venir. À l’UGA, en matière d’empreinte carbone et d’anticipation écologique, on sait ce qu’on fait.
Et c’est peut-être justement ces premiers émois de remords environnementaux, ou plus vraisemblablement une interprétation embuée du violent appel des étudiants à un « retour de la Nature », qui expliquent le choix du « Torrent ». Allez savoir. Le dit « Torrent » donc, c’est une coulée de plaques de bitume qui, plusieurs mois durant, ont été arrachées du sol stérilisé puis replacées les unes derrière les autres au moyen de quelques tractopelles et d’une demi-douzaine d’ouvriers exposés au cagnard du printemps et de l’été. Pour pas moins de 1,3 million d’euros sorti des poches du contribuable (selon le communiqué de presse de l’UGA) à creuser des trous et à les reboucher, cette coulée a pour but de nous rappeler qu’il fut un temps, avant que les aménageurs ne viennent assécher tout ça, passait précisément ici une rivière, le Sonnant, qui venait de Gières et allait se jeter dans l’Isère. Pour parachever l’effet, une structure monumentale de béton orangé nous invite – du moins ceux dont l’imaginaire est assez fertile – à imaginer un tronc effondré à travers le cours d’eau-bitume « offrant un lieu de retrouvailles, de repos ou de contemplation », toujours selon le communiqué de presse. Au milieu du torrent on trouve aussi les quelques arbres « préservés » pendant l’opération qui désormais vivent une existence étriquée au milieu du goudron. Ils ne resteront heureusement pas seuls, on nous l’assure, à mesure qu’une « végétation spontanée entre [l]es écailles d’asphalte » apparaîtra progressivement.
Bien sûr, une rivière de bitume ça renforce l’îlot de chaleur du campus, là où une ligne d’arbres, de buissons, une mare ou tout simplement une végétation « spontanée » non entravée d’asphalte auraient amené fraîcheur et biodiversité. Mais bon, d’une part ce n’était sûrement pas assez cher pour atteindre les 1,3 million qu’il s’agissait de dépenser et, surtout, à l’UGA, on vise avant tout l’innovation, plus belle, plus forte que le monde sauvage.