Olivier Véran vire complotiste
Schizophrénie transhumaniste
Olivier Véran vire complotiste
Un passé de porte-parole de gouvernement et de ministre de la Santé en plein Covid ne ment pas : Olivier Véran est capable de raconter beaucoup de conneries. Dernière fantaisie en date : après avoir annoncé en mars qu’il se reconvertissait dans la chirurgie esthétique – ce qui a suscité un tollé général –, il a finalement annoncé en juin – au moment de confirmer sa nouvelle candidature aux législatives – qu’il renonçait à cette reconversion [1]. Peine perdue : cet abandon de poste grassement rémunéré n’a même pas permis sa réélection, l’ancien ministre s’inclinant devant un syndicaliste étudiant dans une circonscription pourtant bien bourgeoise… Faute de mandats, l’ex-député a fait comme tous les ex-macronistes : monter une société de conseil, baptisée Innov, ce qui lui permettra, selon La Lettre qui a révélé l’information de « vendre son carnet d’adresses politique à des entreprises ou des entités publiques ». Pour vendre son influence, il siège également maintenant au comité stratégique de DrugOptimal, un laboratoire qui développe des logiciels d’aide à l’administration médicamenteuse basé à Meylan, et au conseil d’administration de Lunettes pour tous, une « boîte de Xavier Niel dont le modèle économique repose sur le 100 % santé, une réforme qui doit beaucoup à un certain… Véran Olivier » (Le Canard enchaîné, 25/09/2024). Marianne (24/09/2024) raconte : « Désormais, Olivier Véran est de toutes les fêtes. Cocktails d’agences de communication, événements de société de lobbying à Paris… Le 18 septembre, toujours selon La Lettre, il a même participé au one man show de Xavier Niel, ce dernier expliquant “comment devenir milliardaire” ».
Bref. Ainsi va la déchéance du macronisme. Néanmoins il arrive à Olivier Véran de raconter des choses intéressantes. Le 11 juin, deux jours après les élections européennes, il était invité dans une soirée Tedx (évènement présentant une série d’exposés sur des sujets « branchés ») au grand Rex de Paris, à faire un exposé intitulé « Quelle politique face à la neuro-augmentation ? ». Un quart d’heure de « show » dressant un portrait flippant du futur transhumaniste qui nous attend [2]. Si Olivier Véran appelle à « tracer des lignes rouges », son exposé est d’autant plus intéressant qu’il fait partie du gratin dauphinois qui a toujours plaidé pour la fuite en avant technologique, notamment attisée – dans le domaine de la « neuro-augmentation » - par le laboratoire grenoblois Clinatec. S’il tente d’alarmer aujourd’hui sur le cauchemar transhumaniste, le positionnement de l’ex-député est représentatif de la schizophrénie des élites high-tech, continuant à abreuver la « start-up nation » de milliards d’argent public tout en s’inquiétant des désastres anthropologiques de plus en plus colossaux que causent les déferlements technologiques. Voilà pourquoi nous nous sommes permis de commenter les extraits choisis de l’exposé du politicien.
« Est-ce que ça vous dirait d’être augmenté ? D’être doté de capacités (…) dignes d’un film de science fiction ? Si la réponse est oui, vous risquez d’être comblé dans les prochaines années. Si la réponse est non, il est possible que votre droit à ne pas être augmenté ne reste pas absolu très longtemps.
(…) Désormais on sait stimuler une petite zone du cerveau de façon électrique. La stimulation cérébrale profonde, ce qui s’appelle la neuro-réparation, la neuro-amélioration, est une source d’espoir pour des millions de personnes sur la planète atteintes de maladie et de handicap [I]. Mais il y a d’autres choses qu’on sait faire aussi : faire directement communiquer le cerveau humain avec un ordinateur. (...) À Grenoble, l’équipe du professeur Benabid avec Clinatec – Benabid c’est celui a a inventé la stimulation cérébrale profonde, c’est un Français, cocorico ! –, a mis en place un implant cérébral qui permet à un patient tétraplégique de commander un exosquelette pour se déplacer. (…) Extraordinaire !
Peut-être avez-vous vu passer il y a quelques jours le premier tweet réalisé par la pensée, c’est une société française, Prometheus, qui a permis cet exploit là. (…) Apple vient d’annoncer qu’un de ses prochains modèles d’Airpods sera capable de lire vos ondes cérébrales par le conduit auditif. (…)
Ce secteur des neurotechnologies est en plein essor. Imaginons que vous et moi demain on soit équipés d’Airpods capables de lire nos ondes cérébrales et donc de définir ce que nous voulons dire avant que nous l’ayons dit. Qu’est-ce qui nous empêche à terme de communiquer sans nous parler ? Oui, je vous parle de télépathie, je dis pas que c’est avéré mais il y a des scientifiques sérieux qui considèrent que d’ici huit à dix ans on serait capables de faire ça. Et là c’est déjà une autre histoire. (…)
Les transhumanistes ont un rêve : un monde colonisé par des robots dotés d’intelligence artificielle capables de tout réaliser comme vous, voire mieux que vous. Et donc ils vous expliquent que dans cet univers nous devons penser dès aujourd’hui la convergence entre humains et robots. Le raisonnement c’est « si les robots s’humanisent il faudrait que les humains se robotisent ». C’est un petit peu Frankenstein contre Goliath. C’est de la science fiction évidemment mais ils ont quand même quelques arguments à faire valoir. D’abord la vitesse avec laquelle l’intelligence artificielle progresse et irrigue tous les pans de notre société. (…) La robotique progresse aussi à toute vitesse. Si on suit ce raisonnement, imaginez demain des milliers de robots intelligents capables de penser comme vous, peut-être mieux, de parler comme vous, peut-être mieux, nous n’aurions plus d’autre choix que d’accepter de nous augmenter à notre tour pour être compétitifs avec eux. Et ceux qui parmi nous refuseraient d’être augmentés se verraient déclassés dans la société et n’auraient pas donc d’autres choix que de suivre. [II]
En fait je ne suis pas transhumaniste et vous l’avez tous compris. Mais il est possible que l’on soit quand même au début de quelque chose, un changement anthropologique profond. Avec ChatGPT, on est passé du « faire » au « faire faire » pour la première fois. Imaginons que nous ayons nos implants dans les oreilles, on passerait pour la première fois du « dire » au « faire dire ». L’étape d’après serait du « penser » au « faire penser ». Mais pour ça il faudrait être capables, non seulement de lire les ondes cérébrales, mais aussi de les moduler, d’aller écrire directement sur le cerveau des gens.
En préparant cette conférence, je me suis rendu compte que nous ne sommes absolument pas prêts et que nous n’anticipons absolument pas. Si la neuro-protection, la neuro-réparation est une chance pour l’humanité, le continuum que les industriels voudraient nous imposer avec la neuro-augmentation ne fait pas l’objet d’une réflexion quelconque [III]. Aucune ligne rouge n’a été tracée en la matière, c’est le Far West et c’est celui qui a le plus d’argent qui va y aller. Et ça c’est un peu dangereux. Ce qui me fait peur c’est pas les universités, les start-ups, les labos de recherche. Ce qui m’inquiète c’est Apple, c’est Meta, c’est Musk. Ce sont les entreprises étrangères, chinoises et autres [IV]. Est-ce que Apple nous a demandé ce qu’on en pensait avant de commercialiser des Airpods capables de lire nos ondes cérébrales ? Est-ce qu’Elon Musk nous a demandé ce qu’on en pensait avant d’envoyer des milliers de satellites tout autour de la Terre [V] (…) Est-ce que les entreprises de jeux vidéos nous ont demandé à nous, parents, ce qu’on en pensait avant de commercialiser des casques de gaming destinés à nos enfants capables de lire leurs ondes cérébrales et demain peut-être de les moduler ? Ça n’est pas raisonnable.
Nous sommes encore en 2024 dotés d’une capacité de réflexion, d’autodétermination. Je considère que nous devons nous en servir pour peser collectivement sur les industriels qui pensent à notre place et sur les instances internationales. (…) Moi je suis pas pour la régulation à tout prix, je suis plutôt favorable à l’innovation [VI]. Mais je pense que ce n’est pas à l’échelle d’un pays, d’un continent que nous pouvons agir [VII]. (…) Je ne suis pas pour la régulation à tout crin mais je me dis que la France, pays des Lumières, pourrait être le premier pays au monde à organiser une conférence d’Asilomar [conférence de 1975 ayant tracé des lignes rouges afin d’interdire le clonage humain] des neurotechnologies (...) Alors si on attendait pas que des magnats transhumanistes tweetent la vidéo de personnes équipées d’implants communiquant par télépathie pour nous poser la question de savoir si la télépathie est une chance ou non pour l’humanité ? »
Notes
[1] Comme « preuve » que ce revirement n’avait rien à voir avec la campagne électorale subitement déclenchée, Olivier Véran a soi-disant montré une lettre à la journaliste du Daubé qui n’a – comme d’habitude – pas mis en doute la version du si charismatique politicien.
[I] Olivier Véran reprend la com’ des businessman de la « neuro-réparation » en faisant croire que c’est « une source d’espoir pour des millions de personnes sur la planète atteintes de maladie et de handicap ». En 2019, le laboratoire grenoblois Clinatec faisait les gros titres de la presse pour une « première mondiale » : avoir fait marcher un tétraplégique grâce à un exosquelette commandé par son cerveau via des électrodes. À cette occasion, nous avions évoqué la tribune d’un chercheur handicapé anglais paru dans The Lancet, critiquant l’intérêt pour les tétraplégiques de telles recherches, à cause d’une part du « coût rédhibitoire » de telles innovations, mais aussi parce qu’il y aurait des recherches beaucoup plus utiles à mener pour faciliter le quotidien des infirmes : « Un patient paralysé depuis peu rêve en effet de remarcher, mais une personne qui s’est adaptée à sa situation peut avoir d’autres priorités : par exemple, la gestion de sa vessie ou de ses intestins. » (Voir « Réparer l’homme pour des guerres encore plus inhumaines » dans Le Postillon n°51)
[II] Ici Olivier Véran plagie le cybernéticien anglais Kevin Warwick ayant résumé le plus grand défi moderne dans Libération (11/05/2002) : « Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’augmenter auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur. »
[III] Olivier Véran est-il incroyablement naïf ou prend-il ses spectateurs pour des cons ? Tout scientifique sait bien que les applications sanitaires servent toujours de cheval de Troie pour imposer des nouvelles technologies. La mentor d’Olivier Véran en politique, l’ancienne ministre Geneviève Fioraso, avait remarquablement théorisé cette technique de manipulation : « La santé, c’est incontestable. Lorsque vous avez des oppositions à certaines technologies et que vous faites témoigner des associations de malades, tout le monde adhère » (France Inter, 27/06/12). Le potentiel de toute technologie – même d’abord développée pour des applications médicales – va ensuite forcément être exploité pour faire un maximum d’argent et développer de nouveaux moyens de contrôle. Qui oserait affirmer le contraire ? Tout ce qui est travaillé à Clinatec par Benabid (« un Français, cocorico ! ») pour implanter des électrodes dans le cerveau des handicapés servira, quelques soient les intentions de Benabid, aux transhumanistes pour « faire dire » ou « faire penser ».
[IV] Quel xénophobie de la part de l’ancien ministre ! Si les entreprises ou labos français ne font pas le poids par rapport aux Américains ou aux Chinois, elles font par contre exactement la même chose. Les premiers travaux de Neuralink, la start-up d’Elon Musk, ont avant tout pour but affiché – comme Clinatec – « d’améliorer la vie des handicapés ». Si les boîtes françaises ne parviennent pas à imposer leurs applications au monde entier, c’est par manque de puissance, mais nullement à cause de considérations éthiques.
[V] Depuis quand Olivier Véran défend le consentement libre et éclairé sur le déferlement technologique ? Sans même parler du passe sanitaire et de l’obligation vaccinale, il a toujours été un partisan du progrès qu’on n’arrête pas, notamment en tant que ministre d’un président qui moquait les opposants au développement de la 5G comme étant des « Amish ». Au ministère de la Santé, Véran a déployé la « stratégie d’accélération santé numérique » sans demander l’avis d’aucun patient, et surtout pas aux personnes âgées, déconnectées et autres personnes n’arrivant pas à prendre un rendez-vous chez le médecin sur Internet. Par ailleurs, c’est cocasse de voir ce grand promoteur du « modèle grenoblois » critiquer les satellites d’Elon Musk alors que notre champion local STMicro s’est enorgueilli de produire des puces pour Starlink… Les opposants grenoblois aux nouvelles technologies se sont toujours retrouvés face à des élus comme Olivier Véran assurant que l’invasion de gadgets et de prothèses technologiques n’était pas du tout imposée. Face à la contestation de l’ouverture du pole Minatec du CEA en 2006, l’ancien député-maire de Grenoble Michel Destot s’énervait : « Faire croire que l’on imposerait un “nanomonde” totalitaire à la population sans débat préalable relève non seulement de la manipulation mensongère mais aussi d’une forme de paranoïa politique bien connue, qui s’appuie sur la théorie du complot, la haine des élites, des élus, des responsables. » En affirmant que les multinationales ne nous demandent pas notre avis avant d’imposer leurs technologies, Olivier Véran tombe-t-il dans la « manipulation mensongère », « la paranoïa politique » « la théorie du complot » voire « la haine des responsables » ?
[VI] Effectivement Olivier Véran et tous ses compères ont toujours été « pour l’innovation », lâchant allégrement les vannes d’argent public pour soutenir tous les secteurs « innovants ». Aujourd’hui que les conséquences anthropologiques deviennent de plus en plus tragiques, ils déplorent les conséquences d’une fuite en avant qu’ils ont toujours soutenue. Dans le même registre, l’ancienne ministre Fioraso s’alarmait cet hiver dans Le Daubé (20/01/2024) : « Le monde aujourd’hui est de plus en plus fragmenté : la tendance est au repli nationaliste, corporatiste, religieux, familial. Elle est amplifiée par les réseaux sociaux dont les algorithmes ne proposent que des contenus qui renforcent les a priori individuels ou communautaires. Cette fragmentation fragilise les démocraties dont on voit bien la perte d’influence et d’attractivité dans le monde et touche maintenant l’Europe. Elle favorise les régimes totalitaires et populistes, induit des tensions et, dans certaines régions du monde, ravive des conflits que l’on croyait apaisés. Dans le même temps, la seule aspiration collective dans les pays développés semble être dictée par le consumérisme, qui a conduit à une standardisation des villes et des modèles de développement individuel et sociétaux, ce qui génère de plus des frustrations individuelles et accentue les clivages pour ceux qui n’y ont pas accès. » Terrible constat qui ne peut que remettre en cause la politique menée par Geneviève Fioraso pendant toute sa carrière : le développement du monde de l’innovation, des algorithmes et des réseaux sociaux.
[VII] Au lieu de croire à d’hypothétiques résolutions, accords internationaux, chartes de bonne conduite et autres tentatives de « régulation », qui n’ont eu aucun impact sur – par exemple – le déferlement actuel de l’intelligence artificielle, la seule voie raisonnable est évidente : arrêter la recherche, ici et maintenant, et peser pour que les autres arrêtent. Comme le proclamait le tract annonçant le blocage de la presqu’île le 8 avril dernier : « Du temps perdu pour la recherche, c’est du temps gagné pour le vivant ». Si Olivier Véran veut être conséquent pour éviter le futur transhumaniste et les délires de la « neuro-augmentation », il doit donc d’abord militer pour la fermeture de Clinatec, qui a priori n’a même pas encore de remède à base d’interface cerveau‑machine pour guérir de la schizophrénie (on n’a rien contre les schizophrènes, c’est juste une mauvaise métaphore).