Accueil > Été 2013 / N°21

Saint-Bruno, futur quartier pour riches ?

Les habitants de Saint-Bruno les ont vu débarquer ces derniers mois avec leurs cartables, leurs carnets de note et leurs appareils photo. Suite à une commande de la ville de Grenoble, – dont on ne connaît toujours pas le contenu exact – ces étudiants en urbanisme sont venus scruter, examiner, analyser, disséquer le quartier et la vie de ses habitants. Objectif : transformer l’un des derniers quartiers de Grenoble que la municipalité Destot n’a pas eu le temps de transformer en espace lisse, sans vie et aseptisé  [1].
Les travaux de ces étudiants – ceux du moins qui auront été sélectionnés par la mairie – devaient être exposés à la maison des habitants Chorrier Berriat le 19 Juin avant d’être transportés à la Plateforme à la place de Verdun.
L’année dernière déjà, la municipalité avait fait plancher les étudiants de l’école d’urbanisme de Grenoble (en partenariat avec l’école d’architecture de Lausanne) sur la place Saint Bruno [2]. Après avoir mis les pieds trois fois dans le quartier, ils ont établi un diagnostic objectif. Selon eux, le quartier est d’abord « un espace multifonctionnel qui génère des conflits d’usage ». Comme si faire son marché, discuter sur un banc, boire un coup au bar, jouer dans l’herbe, aller à la Poste et promener son chien... étaient des activités qui ne pouvaient pas cohabiter en un même espace. D’après les mêmes experts, le quartier serait replié sur lui-même, et provoquerait un « sentiment d’étouffement  ». Il faut dire qu’il souffrirait d’une « imperméabilité Nord-Sud ». Traduction : les cadres sup’ d’Europole et de Minatec rechignent à traverser le cours Berriat pour se mêler à la populace. En irait-il de même pour nos urbanistes en herbe ?
Forts d’un diagnostic implacable, les étudiants développent leurs projets. Objectifs : densifier le quartier, en augmentant encore le nombre d’habitants, fluidifier la circulation vers la future « plate-forme multimodale » ( anciennement appelée « gare »), le centre ville, et évidemment le quartier GIANT à venir sur la presqu’île scientifique. Officieusement, le but est bien de créer un quartier pour les riches et d’en chasser les classes populaires. Tout particulièrement celles qui ont l’impudence d’occuper ostensiblement les trottoirs, les terrasses des cafés et les allées du marché. Le marché d’ailleurs verrait sa surface réduite dans tous les projets (ce qui implique de virer des exposants), et, selon les propositions, serait transféré derrière l’Église, déplacé dans la partie parc de la place, ou mieux (sic) réduit au mercredi après-midi et au week-end.
L’enjeu est de taille : si l’on en croit Anne Clerval, géographe et auteur d’une thèse sur le sujet [3], l’occupation populaire de l’espace public, parce qu’elle empêche l’appropriation du quartier par les classes supérieures constitue un frein à la gentrification. Et les élus savent qu’on ne construit pas une technopole de rang mondial en laissant subsister des quartiers populaires à proximité du centre-ville.

Notes

[1C’est d’ailleurs un des objectifs répétés avec constance par l’adjoint à l’immobilier lors des réunions sur la révision du Plan Local d’Urbanisme (PLU) : « le but de ce nouveau PLU, c’est d’urbaniser les faubourgs ».

[2Toutes les citations sont extraites de la synthèse : «  Ateliers Grenoble – Place Saint-Bruno 16 – 20 avril 2012 ».

[3Thèse de doctorat de géographie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne : « La gentrification à Paris intra-muros : dynamiques spatiales, rapports sociaux et politiques publiques », 2008.