Accueil > Mai 2011 / N°10

C’est vrai ça, pourquoi !

Pourquoi les journalistes du Daubé défendent-ils Le Daubé ?

Telle est l’étrange question que se pose une personne - appelons-la Dominique - «  travaillant  » comme Correspondant Local de Presse (CLP) au Daubé, le monopolistique quotidien d’information locale. Dominique, donc, nous a contactés après avoir lu le livre du Postillon, Pourquoi Le Daubé est-il daubé ? [1] Dominique avait plutôt aimé le livre, appris des choses sur son ‘’employeur’’, et nous proposait d’apporter un peu de son vécu. Ça tombait bien, vu que le principal reproche adressé pour l’instant à ce livre était le manque de vécu, de récits de l’intérieur. On a donc proposé une interview à Dominique. Qui a gentiment décliné par souci d’anonymat, et a préféré que l’on discute à bâtons rompus en gardant pour nous les nombreuses anecdotes racontées (vous manquez quelque chose).

On se contente donc de rapporter quelques brins de la conversation qui ne permettront pas d’identifier la localité dans laquelle cette personne travaille (précisons simplement qu’il ne s’agit pas de Grenoble). Autant le dire tout de suite, il n’y a pas de scoops : «  Même si on y travaille, c’est très difficile d’avoir des informations sur comment marche Le Daubé. Comme vous le dites dans votre livre, l’organisation est opaque. Je ne sais pas s’il s’agit d’une opacité voulue, ou bien d’une organisation ‘‘flou’’. Je fais des papiers depuis un moment, j’ai essayé de chercher des informations sur la comptabilité ou l’organigramme et je n’ai jamais rien trouvé ». Alors Dominique a commencé par nous parler de son salaire, qui a l’unique avantage de lui permettre de sentir une certaine proximité avec un employé chinois. En faisant presque un article par jour (accompagné d’au moins une photo), Dominique parvient tout juste à gagner 200 euros par mois [2]. «  En gros pour faire un article, il faut aller à un endroit, y passer un moment, faire des photos, revenir, traiter les photos, écrire le papier, et au final on a un peu moins de dix euros  ». Ceci expliquant pourquoi ce sont presque exclusivement des retraités ou des étudiants soucieux d’ajouter une ligne à leur CV qui deviennent CLP et ceci expliquant également la médiocrité coutumière de ces papiers (qui remplissent les pages locales). Comment avoir envie de bien travailler en étant exploité ? «  Je ne trouve pas dégradant de parler des initiatives locales, fussent-elles boulistes ou autre. Par contre, je regrette le manque de place ! 90 lignes (soit 2700 signes environ, espaces compris) semble constituer un grand maximum admis pour un papier. On peut faire plus en faisant des ‘‘hors texte’’, en divisant l’article et deux ou trois pour mettre le focus sur certains aspects. Mais cela demande du temps, un échange avec les journalistes. Chose que les CLP n’ont pas toujours le temps ou la volonté de faire. De même que, vu les tarifs, on n’est pas encouragé à rester des heures sur un événement pour en rendre compte. C’est dommage  ».

Bon. Mais les journalistes, qui eux sont payés «  normalement  », devraient faire du bon boulot, non ? «  En fait le problème, c’est que les journalistes ne sont plus seulement journalistes. Suite à des restructurations internes, on leur demande de plus en plus d’être polyvalents, de «  monter les pages  », de faire un travail de secrétaire de rédaction. Certains s’en accommodent. Mais d’autres en crèvent, regrettent d’aller de moins en moins sur le terrain. Généralement, ils en bavent, ils ont le nez dans le guidon. Quand il y a un absent pour deux semaines, la direction ne le remplace pas et les autres se retrouvent avec du boulot en plus. La plupart des journalistes sont des «  gens biens  », plein de bonne volonté, et je crois qu’ils essayent vraiment de faire le mieux qu’ils peuvent à l’intérieur des contraintes. Mais l’actualité quotidienne, le manque de temps ne sont guère propices au recul, tant sur la prose que sur l’info. Je me surprends parfois à ne plus savoir ce que j’ai fait il y a trois jours ».
Soit. Mais pourquoi n’entend-on jamais ces journalistes revendiquer de meilleures conditions de travail ? «  Souvent le ton monte dans les bureaux, certains s’énervent, râlent ou s’engueulent. Mais c’est vrai que les journalistes du Daubé ne font jamais grève [seuls les «  ouvriers du Livre  » responsables de l’impression, font régulièrement grève]. C’est étonnant. Ils pourraient facilement se faire entendre, mettre la pression. Je me suis souvent demandé pourquoi les journalistes du Daubé défendaient Le Daubé. Je crois que ça doit être à cause de la fameuse «  dissonance cognitive  » qui fait que c’est plus facile d’aimer ce qu’on fait plutôt que de le remettre en cause ».

Pourquoi Le Daubé ne défend pas Le Daubé ?

Un beau jour de février, on ouvre la boîte mail et là, surprise ! Une journaliste du Journal des Entreprises Isère désire nous interviewer à propos du livre Pourquoi Le Daubé est-il daubé ?. Pour situer le contexte, précisons que Le Journal des Entreprises Isère est à la presse locale ce que BFM est à la radio ou Les Echos à la presse nationale, c’est-à-dire un média à la gloire du Marché, de l’économie-reine et de la guerre compétitive. Bref, une feuille de chou dans laquelle une structure comme la nôtre, qui a la fructification du capital en horreur, n’a normalement rien à faire. Beaux joueurs, on accepte quand même de la rencontrer. On vous passe les détails de la laborieuse discussion qui s’en suivit, tant on ne parvint pas à faire comprendre que, non, nous n’avions pas pour but de réussir économiquement. Bref, l’idée de cette journaliste était de faire réagir Le Daubé à notre livre et notre interview. Las. Un mois plus tard, elle nous renvoie un mail pour nous dire que le papier ne verra jamais le jour, Le Daubé ayant refusé de répondre. Alors pourquoi Le Daubé ne défend pas Le Daubé ?
Malgré ce silence radio, le bouquin circulerait dans les rédactions. Selon La Voix des Allobroges, un site savoyard généralement bien informé (www.lavoixdesallobroges.org) «  une rumeur fait état du petit livre blanc circulant de mains en mains dans plusieurs agences locales du groupe, et de journalistes s’épanchant tout sourire sur les bonnes pages ».

Notes

[1Ce livre, édité par la maison d’édition associative Le Monde à l’Envers, est toujours disponible (pour 5 euros) en librairie. C’était la page de publicité.

[2Voilà le détail du barème de cotation pour les CLP :
Infos de service : x 2
Brèves : x 3
Échos : x 30
Courant : x 30
Développé : x 60
Initiative : x 80
Alerte : x 60
Photo : x10
Le tout est multiplié par le prix du point : 0,183. Par exemple, une photo : 1 * 10 * 0,183 = 1, 83 €.