Fermeture de bâtiments universitaires suite à des cancers et des mesures inquiétantes
Polytech pollué : et après ?
« Une mystérieuse pollution contraint Polytech à fermer » titre Le Daubé (4/6/2021) en se contentant de reprendre les éléments délivrés par l’UGA (Université Grenoble-Alpes). Mais derrière le communiqué de presse, il y a plein de questions intéressantes à se poser, et pas seulement parce que cette école est située juste à côté du site du futur centre commercial Neyrpic.
Cela faisait plusieurs jours que les élèves et enseignants le savaient, mais le jeudi 3 juin, l’UGA a finalement communiqué, la veille de la fermeture du bâtiment. Il faut dire que la situation est peu banale : tous les locaux de Polytech, une école d’ingénieurs rattachée à l’INPG (Institut national polytechnique de Grenoble) et à l’UGA, accueillant plus de 1 000 élèves, sont fermés jusqu’à nouvel ordre depuis le 4 juin.
La raison ? « Une série d’analyses et prélèvements de l’air, de sol et gaz de sol et de l’eau potable effectués en 2020 et 2021 a révélé un taux de dichlorométhane dans l’air ambiant de certains locaux du bâtiment de Polytech Grenoble qui nécessite une attention particulière. »
Le dichlorométhane, ou chlorure de méthylène, est une des joyeusetés de l’industrie chimique moderne, utilisé dans quantité d’applications industrielles, du dégraissant au décapant pour peinture et vernis en passant par les pesticides.
Ce que ne dit pas le communiqué, c’est que les analyses ayant déniché du dichlorométhane n’ont pas été faites par hasard. En 2018, sur la vingtaine d’employées administratives de l’école, quatre ont eu un cancer du sein diagnostiqué. Un signalement fait à l’ARS (Agence régionale de santé) a abouti à une réunion d’information sans suite, le nombre de cas étant dans la « probabilité statistique » selon le médecin mandaté.
Mais en 2019, un cinquième cas de cancer du sein apparaît, ce qui pousse l’UGA à finalement commander des études sur l’eau et l’air ambiant. Ce sont ces études qui ont conclut à un « taux de dichlorométhane » nécessitant une « attention particulière ». Forcément le communiqué de l’UGA se veut rassurant : « La valeur mesurée la plus forte au sein du bâtiment de Polytech Grenoble est de 1,1 milligramme/m3 soit une quantité plus de 100 fois inférieure à la valeur limite d’exposition professionnelle (vlep) au dichlorométhane (180 milligramme/m3). »
Pourquoi des chiffres « 100 fois inférieurs » à la valeur limite nécessiteraient la fermeture des bâtiments ? Parce qu’en fait ces chiffres ne veulent pas dire grand-chose : la vlep est normalement utilisée pour évaluer le risque de professionnels travaillant dans un milieu « à risques ». En prenant les valeurs toxicologiques de référence (VTR), qui s’appliquent aux établissements recevant du public, des valeurs supérieures au seuil R2 ont été trouvées dans l’air de certains bureaux et même dans l’air extérieur, « ce qui témoigne d’une pollution du milieu », selon une étude réalisée par le bureau d’étude EnvirEauSol datant d’avril 2021. Cette même étude affirme par ailleurs qu’ « une évaluation quantitative du risque sanitaire avait été réalisée et avait conclu à un risque sanitaire inacceptable pour les employés. » « Risque sanitaire inacceptable », c’est pas pareil que des chiffres « 100 fois inférieurs » à une valeur limite.
Alors est-ce que cette présence avérée de dichlorométhane à des seuils élevés explique les cas de cancer du sein ? Rien ne permet de l’affirmer, aucune étude ne démontrant de lien entre ce polluant et cette maladie. Mais quand même : le dichlorométhane est « peut-être cancérigène pour l’homme », selon le Circ (Centre international de recherches sur le cancer). Wikipedia nous apprend que selon une étude américaine, « chez l’animal de laboratoire, il a été associé à des cancers du poumon, cancers du foie et cancers du pancréas ». On comprend que certaines membres du personnel, notamment celles travaillant dans les bureaux où ont été relevées des grandes concentrations de dichlorométhane, ne soient pas forcément très sereines. Quant au logement de fonction du concierge, on ne sait pas s’il fait partie des locaux où ont été relevées des « mesures préoccupantes ».
Et on comprend mieux la décision de fermer les bâtiments prise par l’UGA, en accord avec la préfecture, l’ARS (agence régionale de santé) et la Dreal (direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement). Maintenant, comment trouver l’origine de cette pollution ? Sur cette question, comme sur nos autres interrogations, le service com’ de l’UGA, n’a pas voulu nous en dire plus que le très court communiqué de presse. La Dreal a aussi décliné, ne se déclarant « pas en capacité de communiquer sur ce sujet d’autant plus en période de réserve électorale ».
L’étude EnvirEauSol liste les entreprises anciennement présentes sur les lieux : à la place même de Polytech, une carrosserie, la distillerie de la Croix-Rouge et la verrerie de Saint-Gobain. Dans les proches alentours, les entreprises de Caterpillar, Alsthom Atlantique, Aceg, Ectra (entreprise de logistique) ainsi que le célèbre fabriquant d’équipements hydrauliques, Neyrpic. La pollution est-elle due à une pollution des sols, à la « nappe d’eau souterraine qui dégaze », les polluants s’infiltrant par la dalle de béton ? Mystère.
Ce qui est sûr, c’est que toujours selon l’étude EnvirEauSol le système de ventilation de Polytech était défectueux. Mais cette défaillance ne suffit pas à expliquer la présence de dichlorométhane, vu qu’on en a aussi retrouvé dans l’air extérieur. Ce fait pose quelques questions, et pas seulement sur Polytech. Il ne s’agit pas d’être paranoïaques, mais perspicaces. Quid des bâtiments d’habitation récemment construits à côté de l’école d’ingénieurs ? Et quid du gigantesque projet de centre commercial Neyrpic, à la place des anciennes usines, situé à quelques dizaines de mètres de Polytech ?
La mairie de Saint-Martin-d’Hères n’a pas non plus daigné répondre à notre sollicitation, adressée cinq jours avant le bouclage. Dans Le Daubé (4/06/2021), le maire David Queiros s’agace déjà : « Les opposants au projet [NDR : de centre commercial Neyrpic], je les vois venir. » Mais comment ne pas s’interroger sur la santé des futurs employés des boutiques et des clients, si l’origine de la pollution au dichlorométhane n’est pas trouvée d’ici à l’ouverture du centre commercial ? Le futur site marchand a de fortes chances d’être également concerné par cette pollution « mystérieuse ». En tous cas, il est avéré que les sols de la friche sont pollués, l’étude d’impact du projet Neyrpic l’atteste et préconise la mise en place d’un plan de dépollution des sols avant toute construction. Pour l’instant, impossible de savoir ce qui va être dépollué, ni comment, ni qui paiera la note (le promoteur Apsys ou la mairie).
Le maire communiste tente en tout cas de dédouaner les industries de « sa » ville : « Normalement, on ne déverse pas des produits chimiques comme ça. (…) En revanche, sans vouloir accuser, nous pouvons aussi avoir affaire à un apport de polluants malveillant. C’est une hypothèse parmi d’autres. » Pour un peu, Queiros accuserait presque les opposants à Neyrpic d’avoir pollué Polytech… Cette défense en esquive révèle son malaise sur ce problème, qui l’embarrasse autant sur les causes de cette mystérieuse pollution que sur ses projets de développement commercial.