Non, Le Postillon n’est pas anti-tout !
Plaidoyer pour l’affichage sauvage
La rumeur court depuis un moment et est revenue à nos oreilles dernièrement. La municipalité grenobloise voudrait en finir avec l’affichage sauvage et envisage de mettre des contraventions aux contrevenants. Une rumeur confirmée par une discussion avec deux employés municipaux en train de décoller des affiches sous le pont de l’Estacade : « La mairie en a marre, ça lui coûte trop cher. Dans pas longtemps, elle va mettre des amendes. »
D’autres municipalités – notamment socialistes – en sont arrivées là. A Lyon par exemple, plusieurs procès ont eu lieu l’année dernière contre des associations, avec à la clé des amendes allant jusqu’à 1700 euros. Les « brigades vertes » créées par la mairie multiplient les enquêtes et vont même jusqu’à traquer les poseurs d’affiches scotchées.
A Grenoble, l’affichage sauvage est resté jusqu’à maintenant relativement toléré. De temps à autre, la mairie contacte des associations dont les affiches sont collées hors des panneaux autorisés pour leur demander d’arrêter. Régulièrement, des flics s’arrêtent devant des colleurs, les réprimandent oralement et les menacent d’amendes. Plus rarement, cela finit au poste par un contrôle d’identité. Mais jamais - à notre connaissance - il n’y a eu de poursuites judiciaires ou d’amendes.
Dernièrement, quelques faits ont attiré notre attention. Sur certains « spots » très prisés des colleurs (le marché de l’Estacade ou très récemment le passage sous le train près de la gare), la mairie a payé des graffeurs-peintres pour réaliser des fresques. Des poteaux systématiquement tapissés d’affiches (au croisement Alsace-Lorraine/Jean Jaurès ou vers l’arrêt de tram Saint-Bruno) ont été recouverts d’une peinture anti-tag et anti-affichage, « un revêtement assez coûteux qui pourrait être généralisé », selon Pascal Garcia, conseiller municipal en charge de la gestion urbaine de proximité (Grenews, 30/08/2009). Simultanément, quelques nouveaux panneaux d’expression libre sont apparus.
Autant de signes qui montrent que la municipalité tente de limiter les possibilités des colleurs sauvages et de les remettre dans le droit chemin des panneaux d’expression libre. Sur ces panneaux, rares donc très prisés, la durée de vie d’une affiche est de quelques heures tout au plus, avant d’être recouverte par une autre. Les grosses structures, pouvant se payer d’immenses affiches en couleur, sont largement avantagées par rapport aux plus petites, limitées à des affiches A3 en noir et blanc.
Mais le but de ces panneaux n’est pas de favoriser la libre expression, seulement de faire croire à son existence. Une liberté d’expression réellement effective pour les plus forts, les plus riches, et en tous cas limitée à quelques mètres carrés. Car le reste de l’espace urbain, c’est-à-dire sa quasi-totalité, est réservé à des notions bien plus rentables que la liberté d’expression : la consommation, la circulation, ou l’aseptisation. Arrêts de tram, de bus, sucettes, panneaux 4 par 3 : la publicité envahit la ville, s’étale sur des milliers de mètres carrés, s’impose partout à nos regards, capte tant qu’elle peut la disponibilité de nos cerveaux, sans que cela ne heurte la sensibilité de ceux qui jugent qu’une affiche collée en sauvage, « ça fait sale ». Car, pour ces gens-là, on a le droit de salir la ville avec des images hideuses tant qu’on a les moyens et l’entregent de monsieur J.C. Decaux, le parrain du milieu publicitaire.
C’est aussi sous le prétexte de la propreté que la mairie de Grenoble se bat contre l’affichage sauvage. « Le problème, c’est que les lieux stratégiques pour les colleurs sont tout aussi stratégiques pour la ville, déplore Pascal Garcia. L’avenue Alsace-Lorraine par exemple, est une des premières que l’on découvre en arrivant de la gare. Il est important de comprendre l’importance de la notion de netteté, qui recouvre la propreté horizontale mais aussi la propreté verticale des rues. » (Grenews, 30/08/2009) Sous-titrage : on ne veut pas que les investisseurs et cadres qui arrivent dans notre ville soient choqués par – ô horreur – la présence d’affiches culturelles ou politiques. On préfère que les murs soient comme ceux de leurs bureaux de standing : propres horizontalement et verticalement (sic), blancs, lisses, nets, sans marques de vies ou d’envies.
Tentons de cerner « l’importance de la notion de netteté » chère à Pascal Gracia. Que signifie-t-elle ? La ville sans tout ce qui ressort, qui fait vieux, qui fait tâche, qui fait pas bien ? Sans les désaccords, les divergences, les oppositions ? La netteté, c’est l’aseptisation et l’uniformité, tant au point de vue urbanistique qu’idéologique : sur les murs de la technopôle, ne doivent s’exprimer que les avis autorisés, sous verre et avec le logo de la ville s’il vous plaît.
Le combat est inégal entre ceux qui sont du bon côté de la « netteté » et ceux qui n’en font pas partie. Entre les grosses marques qui multiplient les publicités sexistes et les féministes qui, pendant la nuit du 8 mars, collent mille affiches sauvages sur les murs de l’agglomération. Entre Le Daubé qui assure sa promotion dans les sucettes Decaux et Le Postillon qui informe de la sortie d’un nouveau numéro en barbouillant poteaux et murs gris. Entre la MC2 ou le Summum et leurs centaines de milliers d’euros de subventions, et les petites associations culturelles qui se débattent avec trois sous.
Le combat est inégal mais, jusqu’à maintenant, il est resté aux perdants annoncés une chance d’exister. Si la municipalité commence à mettre des amendes aux colleurs sauvages, elle sifflerait la fin du match et infligerait une double peine à David, pour le plus grand bonheur de J.C. Goliath.
On pourrait s’étaler sur les multiples bienfaits de l’affichage sauvage : mettre un peu de vie sur des murs ternes, créer des surprises dans un environnement routinier, permettre à des gens de décoller dix secondes les yeux de leur Ipod... On pourrait répliquer à ceux qui jugent que « ça coûte cher en nettoyage » qu’il est inutile d’ordonner aux employés municipaux de s’exciter autant sur les affiches, quand il est certain que deux jours plus tard une autre apparaîtra au même endroit. Ou alors qu’après tout ça crée de l’emploi, et comme la mairie n’a que ce mot a la bouche, elle devrait s’en réjouir.
Mais on se contentera d’appeler ceux qui ont toujours préféré Vendredi à Robinson, la diversité à la « netteté », la créativité à la servilité, à ne pas tomber dans les panneaux « libre expression » - proposant une liberté biaisée et limitée. Et à partir plutôt à la conquête des murs où peut réellement s’exprimer la liberté. Car c’est par là que se trouve la vraie vie. Sauvage