Accueil > Décembre 2020 - Janvier 2021 / N°58
Passage en force pour le Métrocâble
« Quoi qu’il en coûte . » Le Métrocâble a beau coûter 65 millions d’euros pour 3,7 kilomètres. Des enquêtes publiques ont beau avoir rendu des avis négatifs. Les avis émis lors de consultations truquées ont beau être très mitigés, les élus métropolitains ont quand même voté pour le Métrocâble. Un choix uniquement guidé par la volonté de « rayonner ».
Tout le nord-ouest de l’agglomération subit des projets de développement depuis de nombreuses années. Les technocrates appellent ça « la polarité nord-ouest », regroupant les projets des Portes du Vercors (à Fontaine et Sassenage), de la Presqu’île et de l’Esplanade (à Grenoble) et du Parc d’Oxford (à Saint-Martin-le-Vinoux). Mais pourquoi avoir voulu relier tous ces quartiers en cours de bétonisation par le câble ? Pour gagner cinq minutes entre La Poya et Saint-Martin-le-Vinoux par rapport au même trajet en chronobus ?
Une grosse moitié du parcours du câble se trouvera dans les communes de Fontaine et Sassenage, sur les terrains des futures Portes du Vercors, ce projet qui prévoit de bétonner 96 hectares de terres principalement agricoles. L’axe principal de ce projet est une allée métropolitaine de 30 mètres de large qui part de la place de La Poya (bientôt transformée en « pôle d’échanges multimodal »), traverse la friche de Courtade et du But (qui sera démolie), pour continuer dans la plaine de l’Argentière sur les derniers champs cultivés du périmètre urbain de la métropole. Le transport par câble sera construit sur cette véritable allée d’honneur dont le principal avantage est d’être vide d’habitations (seules deux maisons à Sassenage devraient sauter). Qu’il traverse le périmètre du plan particulier d’intervention pour les risques nucléaires du réacteur de l’ILL (Institut Laue Langevin) ne semble pas déranger ses promoteurs.
Autre inconvénient : ce trajet impose aussi la contrainte de trois virages alors que le câble préfère la ligne droite, les virages entraînant des structures plus complexes et plus chères. Peu importe ! Le transport par câble permet de « poser les éléments de développement d’un futur territoire. […] Cet élément-là est au cœur de la dynamique » (Conseil syndical du Smmag - Syndicat mixte des mobilités grenobloises - 20/02/2020). Concrètement, ce qui va être posé, ce sont surtout 35 pylônes de 8 et 40 mètres de haut et 3,7 kilomètres de câbles aller-retour.
La première enquête publique sur les Portes du Vercors en 2017 soulevait la centralité en creux du Métrocâble : « La question de la présence au sein de la Zac [Zone d’aménagement concerté] du transport par câble est aussi un vrai sujet. Si ce projet est effectivement étranger à la présente enquête, il n’en est pas totalement déconnecté pour autant car il structure en partie la Zac et n’aurait sans doute pas de suite si la Zac ne se réalisait pas. » L’enquête concluait à un avis négatif précisément pour ce type d’imbroglio : « Tous les manques, imprécisions et confusions du dossier d’enquête sont clairement de nature à avoir nui à une complète information du public. »
La deuxième enquête publique, nécessaire vu l’avis négatif de la première, en 2020, revient aussi sur ce point : « L’annonce de la réalisation du projet de câble comme une certitude pose question. » Et de citer l’impossibilité pour le public d’apprécier son impact ou les incertitudes réglementaires. Avant de conclure : « La pertinence de ce projet de transport par câble dans l’hypothèse où la Zac ne continuerait pas son déploiement sur Sassenage n’est pas analysée », justement parce que la commune s’est désolidarisée du projet des Portes du Vercors pendant les élections. En fait la précipitation des élus à faire ce Métrocâble est surtout un moyen de faire aboutir coûte que coûte ce projet des Portes du Vercors. Il faut des habitants pour rentabiliser le téléphérique, donc si le câble aboutit, les maires seront obligés d’urbaniser.
En 2018, l’enquête publique sur le plan de déplacements urbains du SMTC (Syndicat mixte des transports en commun) avait critiqué et exprimé ses réserves par rapport au transport par câble. L’enquêteur recommandait de réanalyser totalement le projet quant au coût, nombre d’usagers, priorité, concertation, tout en regrettant que le SMTC n’ait pas pris en compte la possibilité des trolleybus. Si même les enquêteurs publics soupçonnent qu’un trolley ferait mieux l’affaire… Mais « le Métrocâble se fera, et rapidement […]. Le Métrocâble doit se faire » : c’est la réponse que cet avis défavorable inspire à l’écolo Mongaburu, alors président du SMTC (France 3, 12/04/2019). Il est tellement central et symboliquement nécessaire que l’on prévoit de renommer toutes les lignes de transport public à partir de lui : le Métrocâble ne s’appellera pas Métrocâble mais T1, et les lignes de tram T2, T3, T4, etc.
Le projet a été présenté pour la première fois pour la concertation publique préalable en 2015. Mongaburu, fort des leçons de l’échec du câble dans le Vercors, a orienté la consultation autrement. La liaison Fontaine-Vercors a occasionné six « réunions publiques » dont quatre dans le Vercors où les promoteurs du câble se sont trouvés face à une opposition nourrie et bien organisée. Mongaburu a choisi de faire plutôt des « ateliers ». Trois cent cinquante personnes seulement y participent alors que 1 100 avaient assisté à celles du plateau. En plus, le principe de l’atelier dilue l’opposition : le public est réparti en tables autour d’un thème (et quelques petits fours), une personne est désignée comme porte-parole de la table et essaie de faire une synthèse de tous les avis exprimés.
Organisée par la Métropole, synthétisée par la Métropole et analysée par la Métropole, cette concertation conclut à la surprise générale que « le projet de Métrocâble a fait l’objet d’un avis globalement favorable lors de la concertation ». Ce qui, à lire les échanges recensés dans le bilan de concertation, semble plutôt une vue de l’esprit. Nous avons eu la patience de survoler par exemple quelques centaines de contributions écrites et on se demande comment on peut tirer un avis « globalement favorable » de cet amas de contributions hétéroclites, qui vont de la phrase courte (« Bravo » ou « Quand est-ce qu’on va arrêter de nous prendre pour des ânes ») à l’avis raisonné sur deux pages comme celui de l’association ADTC (contre) ou du Crédit Agricole (devinez…). Sans parler des difficultés des fois à cerner le ton : « L’outile [sic] crée le besoin. On y va. Ne demandez pas l’avis des citoyens : ils sont toujours contre les nouveautés ! » Si on peut bien qualifier 200 de ces avis de « favorables », 100 sont plutôt « défavorables » et 150 posent surtout des questions. Un résumé honnête indiquerait plutôt un avis « globalement mitigé ».
Mais cet avis « globalement favorable » et complètement fabriqué a été brandi dans toutes les décisions administratives qui ont suivi.
Le transport par câble servira surtout à « conforter l’image et le rayonnement de la Métropole grenobloise grâce à un projet innovant qui répond aux enjeux des mutations climatiques et énergétiques en cours » (délibération du conseil métropolitain, 13/07/2015). Comme le dira plus tard le président de la Métropole Ferrari : « Je crois que là nous allons aussi donner à voir sur cette entrée de Métropole un nouvel objet qui nous permet de renouer avec notre histoire d’innovation sur ce territoire » (Conseil syndical du Smmag, 20/02/2020).
Cet enjeu d’image permet de passer outre l’utilité, la pertinence, l’avis de la population et même les avis des enquêtes publiques. Pour remplacer les bulles de la Bastille sur les cartes postales de Grenoble, les élus sont prêts à tout.
Dans le numéro de décembre du Crachin, ces deux pages autour du Métrocâble sont complétées par une carte et un petit reportage auprès des habitants les plus concernés.