PFAS à la merde
PFAS, fluor de ma vue
Depuis l’année dernière, la pollution due aux composés chimiques PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) fait l’actualité nationale et locale. Dans la vallée de la chimie du Sud-lyonnais, incluant un bout du Nord-Isère, l’eau, les poissons, le lait maternel, les légumes et les œufs sont contaminés par les polluants sortant des usines Arkema et Daikan de Pierre-Bénite. Cette pollution est surtout associée à la vieille industrie de la chimie ou à celle de la production des poêles Téfal, comme en Haute-Savoie. Mais pour la microélectronique aussi, les PFAS sont indispensables ! Un récent document de l’Agence régionale de santé (ARS) nous apprend que le site de STMicro Crolles est un des plus gros pollueurs régionaux.
En 2023, la pollution due aux PFAS a commencé à être documentée par plusieurs études et travaux journalistiques. Pour la nappe phréatique sous Grenoble, l’étude Antéa a trouvé des traces dans 49 des 87 points mesurés. L’enquête du Monde sur les polluants éternels (23/02/23), avait, elle, recensé 43 points dans la Cuvette où ils étaient présents. Pas de trace ici de pollution par nos fleurons de la microélectronique.
Depuis, il y a du nouveau. Un arrêté ministériel de juin 2023 a imposé à plusieurs milliers d’établissements industriels de rechercher l’éventuelle présence de PFAS dans leurs rejets vers les cours d’eau. Pour la région Auvergne-Rhône-Alpes les résultats ont été publiés le 22 avril dernier par l’ARS une fois écoulé le délai maximum de dix mois établi dans l’arrêté. Premier constat, à cette date, seulement 205 des 662 établissements concernés ont répondu à l’injonction ministérielle. Parmi les 457 dont les résultats sont « à venir » figurent, dans la Cuvette, Arkema, Framatome, Athanor et le CEA, par exemple. Deuxième constat, après Arkema à Pierre-Bénite, qui remporte la première place régionale haut la main avec un demi kilo de PFAS rejetés par jour, la deuxième place revient à Vencorex, sur la plateforme chimique de Pont-de-Claix, et la troisième à l’usine en pleine extension de STMicro à Crolles (1). Quant à Soitec, elle passe à travers les impératifs de transparence, ses « rubriques d’activité » n’étant pas inclues dans l’arrêté.
Ça commence à être très documenté : les PFAS, causant des problèmes de fertilité, des réductions de la croissance fœtale, des maladies du foie et augmentant les risques de cancer chez les humains, sont partout. Pour comprendre la nature et l’intérêt de ces composants, il faut les replacer dans l’ensemble plus vaste de la chimie industrielle. Vous êtes prêts pour un petit voyage ?
« Dix millions de composés chimiques auraient été synthétisés au cours du XXe siècle, parmi lesquels 150 000 ont reçu des applications commerciales » nous apprend un article de la revue Terrestres (27/03/2023). La plus grande partie des ceux-ci provient de la chimie organique, celle qui est capable de synthétiser les molécules présentes dans les êtres vivants. Par exemple : les engrais azotés sont faits grâce à la synthèse d’urée, une molécule présente dans l’urine. Mais la chimie organique s’est aussi mise à créer plein de nouvelles substances qui n’avaient jamais existé auparavant : solvants, pesticides, colorants, explosifs, entre autres. Aussi, et surtout, des plastiques : PVC, nylon, polystyrène, polypropylène, plexiglas, PCB. C’est parmi celles-ci que sont régulièrement découverts de nouveaux perturbateurs endocriniens, cancérogènes, neurotoxiques, ou de nouvelles substances liées aux maladies chroniques et dégénératives ou aux troubles autistiques…
À tous ces merveilleux composants est venu s’ajouter, en 1930, le fluor, le plus réactif des éléments, qui crée des liens particulièrement forts avec les particules de carbone et qui a donné naissance à une nouvelle famille de composés organiques aux propriétés miraculeuses, les PFAS. Sous forme plastique, ils sont résistants à la chaleur et à la corrosion de toute autre substance chimique, étanches, anti-poussière, antiadhésifs, isolants électriques, etc. Ce sont ces PFAS qui permettent de faire du téflon, du gore-tex, des joints et des valves, ou le recouvrement des écrans, par exemple. Sous forme gazeuse, ça donne de bons liquides réfrigérants, comme des chlorofluorocarbones, responsables du trou dans la couche d’ozone. Mélangés à des liquides ça donne des lubrifiants, des peintures ou des liquides nettoyants. Si les PFAS sont aussi largement utilisés, c’est surtout parce qu’ils ne se dégradent pas : ils ne sont attaqués par aucune substance chimique, rien ne s’accroche à eux et il faut 1 200ºC pour détruire les liaisons entre le carbone et le fluor. Et c’est exactement pour la même raison qu’ils posent problème : ils sont la partie la plus persistante de la pollution industrielle.
Vous avez survécu au voyage dans la chimie ? Passons à nos incidences locales. Ce qui est moins connu du grand public, c’est que ces PFAS sont aussi indispensables pour la production de semi-conducteurs, à plusieurs étapes de la production. On se sert de leur résistance aux produits chimiques pour composer des couches photosensibles où s’impriment, par photolithographie, les plaques de silicium. Ils sont également utiles pour la transparence et l’absence de reflets que demandent les gravures les plus fines. Enfin, ils sont nécessaires pour les joints, tuyaux et valves par lesquels doivent circuler les tonnes de produits chimiques qui sont utilisés dans la fabrication des puces. « Sans certains PFAS la production de semiconducteurs n’est tout simplement pas possible. Il n’y a pas encore d’alternative dans les marchés » avoue un responsable anonyme d’entreprise européen au Financial Times dans un article qui évoque largement cette dépendance (2).
Vu la gravité du sujet, plusieurs propositions sont en marche pour interdire progressivement l’utilisation des plus de 14 000 PFAS commercialisés, comme la consultation publique lancée par l’Union européenne (UE) le 23 mars dernier et qui rendra ses résultats en 2025. Mais, à ne pas en douter, la notion d’« usage essentiel » viendra limiter largement leur disparition complète. Une équipe de chercheurs suédois a cherché à définir cette notion pour les PFAS. Les usages « essentiels » sont ceux « nécessaires pour la santé ou la sécurité ou d’autres sujets hautement importants, et pour lesquels des alternatives n’ont pas encore été trouvées ». Comme le rapporte le Financial Times, les groupes de lobbying s’affairent déjà à Bruxelles afin de montrer l’essentialité des usages de leurs produits. Le European Chemical Industry Council a dépensé plus de 10 millions d’euros et a eu au moins cinq réunions de haut niveau avec des représentants de l’UE pendant la seconde moitié de 2022. Un quart des compagnies qui dépensent plus de 3 millions d’euros en lobbying à Bruxelles sont des compagnies chimiques…
Et pour la microélectronique ? Nul doute que, de la même façon que l’extension de STMicro à Crolles passe outre les règles du Zéro artificialisation nette, les lobbyistes des puces parviendront à faire passer la production de semi-conducteurs pour voitures autonomes ou satellites d’Elon Musk comme « usage essentiel ». Si STMicro n’avait pas répondu aux questions du Financial Times, Le Postillon, institution autrement plus prestigieuse, a eu droit aux éléments de langage du service com’ : « En étroite coordination avec les acteurs du secteur, STMicro travaille à identifier et mettre en œuvre des solutions techniques autres que des PFAS, à court, moyen et long terme. Cette démarche s’inscrit dans le cadre de notre engagement de longue date à minimiser notre empreinte environnementale à chaque étape du cycle de vie de nos produits. » Le plus incroyable, c’est que tous les élus vont croire à cette langue de bois à l’ancienne, garantie sans innovation ni PFAS.
(1) On parle ici de quantité maximale, en grammes, rejetée par jour sur les trois mesures demandées par le ministère des 28 PFAS les plus répandus : Arkema Pierre‑Benite, 562 g/j, Vencorex 7,6 g/j, STMicro 7,1 g/j. L’arrêté a demandé également une analyse de présence de fluor absorbable, ce qui peut indiquer l’existence d’autres PFAS. Dans cette rubrique STMicro décroche, toujours en quantité maximale sur les trois mesures demandées, une belle 4ème place, 155 g/j, derrière Polytechnyl (un autre fabricant de plastiques de la vallée de la chimie lyonnaise) 238 g/j, Arkema Pierre‑Benite, 1120 g/j, et Vencorex, qui tient ici la première place avec 5521 g/j !
(2) The crackdown on risky chemicals that could derail the chip industry, dans The Financial Times, 22/05/23