Saviez-vous que les premiers concerts punk dans la région grenobloise ont eu lieu au tout début des années 1980 dans une salle des fêtes de Lancey, avec la moitié de l’équipe de rugby du bled dans l’organisation ? Qu’ils étaient organisés par une association baptisée LAMF pour Lancey Association Musique et Films – détournement de Like A Mother Fucker ? Saviez vous que le quartier La Frise, rasé par l’opération immobilière d’Europole, était rempli de lieux bizarres, anciens locaux industriels squattés ou petits bars, et que des concerts mémorables ont eu lieu dans les années 1980 dans une maison sur pilotis appelée la Zone interdite ? Les presque 300 pages de Grenoble Calling sont remplies de ce genre d’anecdotes et d’histoires étonnantes sur 40 ans de punk dans notre chère « ville de province ». Le tout raconté de manière « orale » : Nicolas Bonanni et Margaux Capelier n’ont rien écrit eux-mêmes, le livre étant entièrement rempli de bribes de témoignages recueillis auprès d’une soixantaine de musiciens, organisatrices de concerts ou « bon public » de la scène punk. Au-delà des anecdotes instructives, ce joli bouquin transpire l’humain par toutes les pages et les trajectoires de vie enjouées ou cabossées : « Je crois que [les soirées punk] c’est les seuls espaces collectifs où l’on m’ait acceptée comme je suis, biscornue, fracassée, mal en point, qui fait style de tenir. (…) Le punk, c’est le fait que le mal-être et toutes les contradictions qui peuvent nous composer ont de la place et que ça se voit. C’est de pas être la seule à être la seule. » Au fil des témoignages, le lecteur étranger à cet univers peut percevoir à quel point le milieu punk crée et permet bien plus de choses que des concerts très bruyants. Lieux de vie et de refuge, entraide, soirées folles, tournées internationales délirantes, auto-formation, éveil politique, prise de conscience féministe, etc, le punk apparaît dans Grenoble Calling dans toute sa beauté et aussi (mais un peu moins) avec toutes ses faces obscures : défonce en tout genre, bastons, tensions, dépressions, etc. Restent quand même sans réponse deux questions essentielles à propos du volume sonore de ce genre de soirées : les sonorisateurs sont-il payés par les marchands de bouchons d’oreille et de prothèses auditives ? Et pourquoi se faire chier à écrire des paroles vu que personne ne peut les comprendre ? Hormis ces lacunes, la lecture de ce bouquin est donc un voyage dépaysant, pouvant être prolongé par une compile CD offerte dans le livre, avec des groupes grenoblois de ces quarante dernières années. À écouter en boucle, mais pas trop fort.