Si la sagesse est un art de vivre, elle réside aussi dans l’art de bien mourir, grosso modo sans trop mettre ses proches dans l’embarras. Bizarrement, nous parlons peu de la mort, de peur, comme disait ma mémé, que ça la fasse venir trop vite. Et nous ne préparons rien, ni nos directives anticipées, ce qui peut nous valoir un séjour plus long que prévu par la case coma, ni nos funérailles, déléguant à nos proches affligés le soin de traiter avec nos croque-morts locaux, dont certains se sont d’ailleurs copieusement gavés sur la bête.
« Les temps sont durs (…) vivement que revienne le choléra »
À Grenoble, le contexte est particulier. Sans revenir jusqu’au temps des crieurs des morts, il y a quatre dates fondamentales à retenir.
1904 : virage laïc. On retire aux paroisses le monopole de la pompe funèbre de l’Isère.
1988 : virage capitaliste qui voit la Régie municipale des pompes funèbres de Grenoble, publique, devenir une société anonyme d’économie mixte (SAEM), avec un CA composé à 80 % d’élus censés garantir le service public. Censés ? Oui, car en 2015, troisième date : la première SAEM funéraire de France a été épinglée par la Chambre régionale des comptes, dans un rapport accablant sur sa gestion 2008-2012. Entre autres, frais de communication exorbitants, logements de fonction attribués à des prix défiant toute concurrence et salaires flambants pour les dirigeants : pas loin de 21 000 euros brut par mois pendant les quatre ans du mandat de Madame la directrice Corinne Loiodice, par ailleurs administratrice du Crédit mutuel, et 18 000 euros pour son directeur général délégué (et accessoirement conjoint), Monsieur Blas. Tout cela sous l’œil attendri du conseil d’administration de l’époque, notamment le président Marcel Repellin, maire depuis 22 ans de Seyssinet-Pariset, et Alberte Bonnin-Dessart, première adjointe de Gières, qui ont gentiment caché les événements à la Métro. Le Parquet de Grenoble avait bien lancé une enquête pour abus de biens sociaux, mais elle sera classée sans suite, au motif qu’il n’y aurait rien de pénal dans ce dossier, et que de toute façon, tout le monde était au courant de la manière dont cette entreprise fonctionnait. En attendant, ce sont les profs de philosophie qui remercient Madame Loiodice pour cette phrase au Dauphiné Libéré qui fera sans doute un sujet de dissertation au bac en juin prochain : « Je ne démissionnerai jamais, c’est mon éthique de ne pas le faire ».
Enfin, 2017 : Familles de France sort un rapport montrant que les écarts de prix dans le secteur sont faramineux : un facteur de un à trois pour une crémation (entre 1 300 et 4 000 euros), et de un à cinq pour une inhumation (de 860 à 4 500 euros). L’an passé, c’était 60 millions de consommateurs qui pilonnait les banques pourvoyeuses de contrats obsèques.
Alors, le cadavre coincé entre une SAEM, certes assainie depuis, mais qui fut gérée par des dirigeants voraces et qui détient 90 % du marché de la Métropole et des banques qui se gavent sur nos assurances obsèques, comment mourir tranquille loin des rapaces ?
« On ne naît pas mort, on le devient »
La solution ne vient pas de chez nous, mais d’un groupe de femmes d’Orvault, près de Nantes, en Loire-Atlantique. Elles ont monté la première société coopérative d’intérêt collectif funéraire de France il y a un peu plus d’un an. Cotiser une part donne accès à des services peu chers, une information complète, du salariat local de gens motivés par le bien social et une voix dans la direction de la coopérative. Les dames en question sont prêtes à nous aider à les copier si nous réunissons un groupe de personnes motivées.
Alors le pré-retraité du Postillon propose ceci : dès que dix personnes auront écrit au journal leur intérêt pour monter une coopérative funéraire, il regardera la faisabilité de la chose. Et qui sait ? Mieux encore que le cercueil en carton recyclé du Gard ou le Dancof danois, en papier mâché, lorsque la Coopérative funéraire grenobloise verra le jour, l’association bien de chez nous Entropie aura mis au point son cercueil-meuble à faire soi-même en design libre. Creuser soi-même son chemin pour le paradis. Ça, même le plus futuriste (et non cramé) des fablabs n’y avait pas pensé.