Microcentrale, maxiarnaque ?
ÀGrenoble, on n’a pas de pétrole, mais de l’eau qui coule. Ça rapporte un peu moins, mais ça fait tourner des usines et puis ça nettoie les plaques de puces électroniques.
Et puis surtout ça permet de boire. La bonne eau des montagnes. Pure et cristalline. Quoique tous les massifs ne soient pas dotés pareillement : le Vercors et la Chartreuse n’ont pas beaucoup de réserves, quand Belledonne en regorge.
Prenez par exemple cinq communes riches du Grésivaudan : Biviers, Montbonnot, Saint-Ismier, Bernin, Saint-Nazaire-les-Eymes. Elles sont situées juste en bas de la Chartreuse, et jusqu’aux années 1930, elles buvaient l’eau de ce massif, qui manquait un peu pendant l’été.
Alors un ingénieur géomètre a eu l’idée d’aller en chercher dans Belledonne, le massif d’en face. La source de la Dhuy, située sur la commune de Revel juste en dessous de la cascade de l’Oursière, est ainsi détournée et, après avoir traversé la plaine du Grésivaudan, arrive dans les robinets et les piscines des habitants des communes sus-citées. Pour gérer ce machin, le syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy (Sied) est créé et géré par des élus des communes.
Tout ça fonctionne bien jusqu’en 2012. Année où les responsables du Sied veulent innover : l’eau potable c’est bien mignon, mais ça ne rapporte pas beaucoup d’argent. Pourquoi pas lui faire faire de l’électricité, en plus de la boire ? En langage technocratique, on parle de « valorisation hydroélectrique de la ressource de la Dhuy ». En voilà une idée qu’elle est bonne ! Et incritiquable en plus : les microcentrales hydrauliques pour produire de l’électricité, il paraît que c’est l’avenir de la #transitionénergétique.
Le cabinet d’expert Alp’études est à la manœuvre et embauche une société suisse, Blue Water Power, pour mettre en place la technique de la Turbine Pelton à contre pression (TPCP), une « technologie suisse qui a fait ses preuves et qui possède l’attestation de conformité sanitaire pour l’utilisation en eau potable ».
Les élus claironnent : « ce programme est unique en France, il est novateur, il va faire baisser le prix de l’eau ». Il y a bien un investissement de 935 000 euros, mais le machin devrait rapporter 100 000 euros par an : du travail de bon gestionnaire qu’on vous dit. Le Sied n’est pas compétent pour produire de l’électricité ? Pas grave : « le Sied s’est fait voter en urgence par les conseils municipaux la compétence de produire de l’électricité en septembre 2017 », s’étonne Geneviève Picard, conseillère municipale d’opposition à Saint-Ismier.
Le turbinage devait commencer dès fin 2013, mais, comme souvent, ça prend du retard. En avril 2014, le comité syndical du Sied annonce : « Nous sommes dans une phase de réglage et de mise au point. M. Clappaz [NDR : le président du Sied] prévoit une inauguration courant juin 2014 ».
Et pourtant presque quatre ans après... toujours rien. La microcentrale a bien été installée, mais a fonctionné seulement quelques semaines sur trois ans. En fait, son fonctionnement entraîne de gros désagréments : elle pourrit l’eau potable. L’eau de la Dhuy devait alimenter la microcentrale avant d’être réintroduite dans le réseau d’eau potable. Problème : ce cheminement crée des micro-bulles dans les réservoirs d’eau potable, ce qui la trouble et oblige à la traiter par une « chloration excessive ». En 2015, puis 2016, le Sied a tout essayé pour régler ce problème, en installant notamment un « système alvéolaire » dans la turbine ou des « venturi » dans les réservoirs d’eau - entre autres techniques censées résoudre le problème.
Boire ou turbiner, il faut choisir
Mais rien n’y a fait : début 2018 la microcentrale ne peut toujours pas fonctionner. C’est ballot, mais pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Fabrice Rousset, conseiller municipal d’opposition à Biviers, ne comprend pas : « Tout a été fait à l’envers. Je bosse dans le privé, on a le droit d’être innovant mais on ne se met pas à investir sans précautions, ni garanties ou dans des trucs qui n’ont jamais été testés ailleurs. Ils ont voulu tenter une expérience, mais étaient incompétents dans ce domaine et se sont fait mener par le bout du nez, par ceux-là même qui les ont conseillés depuis toujours, à savoir leurs propres fournisseurs. A priori, dans ce dossier, il faut choisir entre fournir de l’eau “consommable” aux usagers ou faire de l’électricité. On ne sait toujours pas comment avoir les deux. »
Rappelons qu’au moment de la décision, les élus avaient assuré que « la technologie suisse a fait ses preuves ». Une affirmation visiblement fausse. Devant ce problème, les élus ont tout d’abord fait comme si tout allait se régler. Et puis devant l’allongement du retard, ils ont tenté de demander des comptes à Blue water power... Mais la société suisse a déposé le bilan sans préavis et ses responsables ont « disparu ». « Ils se sont mis sous la protection des lois helvétiques, analyse Fabrice Rousset. Je ne comprends pas qu’on soit allé signer avec une société suisse qui finalement n’avait pas de références suffisantes, n’offrait pas de garanties économiques et contre laquelle il n’existait en bout de course, du fait de sa domiciliation hors union européenne, aucun recours possible… Quel amateurisme. »
Un beau raté, donc, qui aurait pu donner l’occasion aux élus du Sied de faire amende honorable. Mais ce n’est pas le genre de la maison. Fin décembre, le Sied a été dissout, ses missions étant transférées à la communauté de communes du Grésivaudan. Quelques jours avant cette échéance, un « collectif d’usagers du Grésivaudan » a distribué un tract pour dénoncer le « macro-bug de cette microcentrale » : « à ce jour, personne ne sait ce que va devenir cette microcentrale électrique financée à hauteur d’un million d’euros par l’argent public (= l’argent du contribuable) qui n’a fonctionné qu’un mois depuis sa construction en 2014 ».
Bonne question, qui n’a pas vraiment entraîné de réponse de la part du président du Sied, si ce n’est l’éternelle promesse, la même depuis quatre ans : « toutes les conditions sont en train d’être réunies pour que ça fonctionne » (Le Daubé, 30/12/2017). Par ailleurs il a dénoncé « le coût avancé par le collectif : elle n’a pas coûté un million d’euros mais 420 000 ! ». Pourtant dans le compte-rendu du comité syndical du 15 novembre 2017, il est marqué noir sur blanc que « l’opération » a coûté 1 075 081,40 euros. On peut y lire également que le conseil régional a claqué 180 000 euros dans cette « opération » : une belle générosité pour un gros raté.
Ce qui énerve les élus, ce n’est pas de gaspiller l’argent public, mais que des habitants puissent mettre leur nez dans ces errements. Ainsi Henri Baile, le maire de Saint-Ismier, s’est emporté à propos du « collectif d’usagers du Grésivaudan » avec une prose digne du maire de Champignac : « J’ai découvert un tract d’une parfaite démagogie qui me conforte dans l’idée que ceux qui caricaturent, voire manipulent les réalités et les chiffres pour de basses raisons électoralistes, tout en feignant de se draper dans l’éthique, la démocratie et la transparence, font le lit des populismes qui fleurissent aujourd’hui » (Le Daubé 30/12/2017). Aujourd’hui, le « populisme » consisterait-il simplement à s’intéresser aux actions des élus, et à leurs éventuels gaspillages ?
Cette saillie fait en tous cas bondir Fabrice Rousset : « j’ai assisté dans le public à presque tous les comités syndicaux du Sied, mais en bientôt quatre ans, je n’ai vu que deux fois Henri Baile qui en est pourtant membre ! La première, c’était lors de l’élection du président du Sied, où il a fini comme candidat malheureux au poste et à sa coquette indemnité. La seconde c’était à la dernière réunion du Sied, quand il est venu soutenir ses pairs qui, au mépris de l’ordre du jour, ont refusé de donner des explications publiques sur le dossier microcentrale sous prétexte que le syndicat allait être dissout. Un élu 100 % absent qui se permet de faire la morale à ceux qui s’intéressent aux dossiers, c’est un comble ! »
ÀGrenoble, on n’a pas de pétrole, mais de l’eau qui coule. Ça rapporte un peu moins, mais ça fait tourner des usines et puis ça nettoie les plaques de puces électroniques.
Et puis surtout ça permet de boire. La bonne eau des montagnes. Pure et cristalline. Quoique tous les massifs ne soient pas dotés pareillement : le Vercors et la Chartreuse n’ont pas beaucoup de réserves, quand Belledonne en regorge.
Prenez par exemple cinq communes riches du Grésivaudan : Biviers, Montbonnot, Saint-Ismier, Bernin, Saint-Nazaire-les-Eymes. Elles sont situées juste en bas de la Chartreuse, et jusqu’aux années 1930, elles buvaient l’eau de ce massif, qui manquait un peu pendant l’été.
Alors un ingénieur géomètre a eu l’idée d’aller en chercher dans Belledonne, le massif d’en face. La source de la Dhuy, située sur la commune de Revel juste en dessous de la cascade de l’Oursière, est ainsi détournée et, après avoir traversé la plaine du Grésivaudan, arrive dans les robinets et les piscines des habitants des communes sus-citées. Pour gérer ce machin, le syndicat intercommunal des eaux de la Dhuy (Sied) est créé et géré par des élus des communes.
Tout ça fonctionne bien jusqu’en 2012. Année où les responsables du Sied veulent innover : l’eau potable c’est bien mignon, mais ça ne rapporte pas beaucoup d’argent. Pourquoi pas lui faire faire de l’électricité, en plus de la boire ? En langage technocratique, on parle de « valorisation hydroélectrique de la ressource de la Dhuy ». En voilà une idée qu’elle est bonne ! Et incritiquable en plus : les microcentrales hydrauliques pour produire de l’électricité, il paraît que c’est l’avenir de la #transitionénergétique.
Le cabinet d’expert Alp’études est à la manœuvre et embauche une société suisse, Blue Water Power, pour mettre en place la technique de la Turbine Pelton à contre pression (TPCP), une « technologie suisse qui a fait ses preuves et qui possède l’attestation de conformité sanitaire pour l’utilisation en eau potable ».
Les élus claironnent : « ce programme est unique en France, il est novateur, il va faire baisser le prix de l’eau ». Il y a bien un investissement de 935 000 euros, mais le machin devrait rapporter 100 000 euros par an : du travail de bon gestionnaire qu’on vous dit. Le Sied n’est pas compétent pour produire de l’électricité ? Pas grave : « le Sied s’est fait voter en urgence par les conseils municipaux la compétence de produire de l’électricité en septembre 2017 », s’étonne Geneviève Picard, conseillère municipale d’opposition à Saint-Ismier.
Le turbinage devait commencer dès fin 2013, mais, comme souvent, ça prend du retard. En avril 2014, le comité syndical du Sied annonce : « Nous sommes dans une phase de réglage et de mise au point. M. Clappaz [NDR : le président du Sied] prévoit une inauguration courant juin 2014 ».
Et pourtant presque quatre ans après... toujours rien. La microcentrale a bien été installée, mais a fonctionné seulement quelques semaines sur trois ans. En fait, son fonctionnement entraîne de gros désagréments : elle pourrit l’eau potable. L’eau de la Dhuy devait alimenter la microcentrale avant d’être réintroduite dans le réseau d’eau potable. Problème : ce cheminement crée des micro-bulles dans les réservoirs d’eau potable, ce qui la trouble et oblige à la traiter par une « chloration excessive ». En 2015, puis 2016, le Sied a tout essayé pour régler ce problème, en installant notamment un « système alvéolaire » dans la turbine ou des « venturi » dans les réservoirs d’eau - entre autres techniques censées résoudre le problème.
Boire ou turbiner, il faut choisir
Mais rien n’y a fait : début 2018 la microcentrale ne peut toujours pas fonctionner. C’est ballot, mais pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Fabrice Rousset, conseiller municipal d’opposition à Biviers, ne comprend pas : « Tout a été fait à l’envers. Je bosse dans le privé, on a le droit d’être innovant mais on ne se met pas à investir sans précautions, ni garanties ou dans des trucs qui n’ont jamais été testés ailleurs. Ils ont voulu tenter une expérience, mais étaient incompétents dans ce domaine et se sont fait mener par le bout du nez, par ceux-là même qui les ont conseillés depuis toujours, à savoir leurs propres fournisseurs. A priori, dans ce dossier, il faut choisir entre fournir de l’eau “consommable” aux usagers ou faire de l’électricité. On ne sait toujours pas comment avoir les deux. »
Rappelons qu’au moment de la décision, les élus avaient assuré que « la technologie suisse a fait ses preuves ». Une affirmation visiblement fausse. Devant ce problème, les élus ont tout d’abord fait comme si tout allait se régler. Et puis devant l’allongement du retard, ils ont tenté de demander des comptes à Blue water power... Mais la société suisse a déposé le bilan sans préavis et ses responsables ont « disparu ». « Ils se sont mis sous la protection des lois helvétiques, analyse Fabrice Rousset. Je ne comprends pas qu’on soit allé signer avec une société suisse qui finalement n’avait pas de références suffisantes, n’offrait pas de garanties économiques et contre laquelle il n’existait en bout de course, du fait de sa domiciliation hors union européenne, aucun recours possible… Quel amateurisme. »
Un beau raté, donc, qui aurait pu donner l’occasion aux élus du Sied de faire amende honorable. Mais ce n’est pas le genre de la maison. Fin décembre, le Sied a été dissout, ses missions étant transférées à la communauté de communes du Grésivaudan. Quelques jours avant cette échéance, un « collectif d’usagers du Grésivaudan » a distribué un tract pour dénoncer le « macro-bug de cette microcentrale » : « à ce jour, personne ne sait ce que va devenir cette microcentrale électrique financée à hauteur d’un million d’euros par l’argent public (= l’argent du contribuable) qui n’a fonctionné qu’un mois depuis sa construction en 2014 ».
Bonne question, qui n’a pas vraiment entraîné de réponse de la part du président du Sied, si ce n’est l’éternelle promesse, la même depuis quatre ans : « toutes les conditions sont en train d’être réunies pour que ça fonctionne » (Le Daubé, 30/12/2017). Par ailleurs il a dénoncé « le coût avancé par le collectif : elle n’a pas coûté un million d’euros mais 420 000 ! ». Pourtant dans le compte-rendu du comité syndical du 15 novembre 2017, il est marqué noir sur blanc que « l’opération » a coûté 1 075 081,40 euros. On peut y lire également que le conseil régional a claqué 180 000 euros dans cette « opération » : une belle générosité pour un gros raté.
Ce qui énerve les élus, ce n’est pas de gaspiller l’argent public, mais que des habitants puissent mettre leur nez dans ces errements. Ainsi Henri Baile, le maire de Saint-Ismier, s’est emporté à propos du « collectif d’usagers du Grésivaudan » avec une prose digne du maire de Champignac : « J’ai découvert un tract d’une parfaite démagogie qui me conforte dans l’idée que ceux qui caricaturent, voire manipulent les réalités et les chiffres pour de basses raisons électoralistes, tout en feignant de se draper dans l’éthique, la démocratie et la transparence, font le lit des populismes qui fleurissent aujourd’hui » (Le Daubé 30/12/2017). Aujourd’hui, le « populisme » consisterait-il simplement à s’intéresser aux actions des élus, et à leurs éventuels gaspillages ?
Cette saillie fait en tous cas bondir Fabrice Rousset : « j’ai assisté dans le public à presque tous les comités syndicaux du Sied, mais en bientôt quatre ans, je n’ai vu que deux fois Henri Baile qui en est pourtant membre ! La première, c’était lors de l’élection du président du Sied, où il a fini comme candidat malheureux au poste et à sa coquette indemnité. La seconde c’était à la dernière réunion du Sied, quand il est venu soutenir ses pairs qui, au mépris de l’ordre du jour, ont refusé de donner des explications publiques sur le dossier microcentrale sous prétexte que le syndicat allait être dissout. Un élu 100 % absent qui se permet de faire la morale à ceux qui s’intéressent aux dossiers, c’est un comble ! »