Accueil > Avril 2018 / N°45

Les mineurs non accompagnés ballottés

MNA : que des tracas

Ce sont des jeunes, partis sur les routes pour fuir la pauvreté ou l’ennui, le décès de parents, ou la guerre. L’administration les nomme MNA, pour « mineurs non accompagnés » : des jeunes mecs pour la plupart. Selon les chiffres du département, près de 1 200 sont arrivés en Isère en 2017, contre 700 en 2016. Face à leur arrivée, les limites du système actuel explosent. Le Département, chargé de les accueillir, dit n’avoir plus un sou, et traite ces exilés de « fraudeurs ». Les jeunes, malgré les traumatismes de l’exil, sont pris dans la tourmente administrative et ballottés de département en département.

Précision importante : dans l’article sur le journal papier, une Emilie de l’Adate témoigne. Il s’agit bien évidemment d’un pseudonyme, même si nous avons oublié de mettre un astérix pour le préciser, comme pour les autres prénoms cités. Toutes nos excuses à une "véritable" Emilie, qui s’est sentie visée par cette erreur.

Ali et Mahmoud* sont deux jeunes Africains arrivés en avril 2017 à Grenoble. Après l’évaluation réglementaire, ils sont déclarés mineurs, et leur profil est passé à la moulinette de la cellule nationale MNA chargée de répartir sur la France les « mineurs non accompagnés ». Le Département de l’Isère les héberge dans une famille, et ils sont même scolarisés au lycée. Leur répit est fragile : en juin 2017, Ali et Mahmoud reçoivent une OPP du juge des enfants, une « ordonnance de placement provisoire » qui précise qu’ils doivent quitter Grenoble pour Marseille.

Ils y seront livrés à eux-mêmes. En janvier 2018, le Département les retire du lycée et de leur famille d’hébergement. Lors de leur départ, « ils ont même croisé d’autres jeunes qui venaient prendre leur place… », rapporte Anne, de RESF 13 qui a rencontré Ali et Mahmoud à Marseille. Elle poursuit : « Lorsque je les ai trouvés, ils m’ont dit qu’un éducateur du Département de l’Isère les avait accompagnés avec d’autres jeunes dans le train, jusqu’à la gare Saint-Charles. L’éducateur est rentré à Grenoble en leur expliquant que quelqu’un viendrait les chercher. Évidemment, personne n’est arrivé », soupire la militante. 

L’aller-retour

Abandonnés à la gare de Marseille, ils se font guider par d’autres jeunes à l’ADDAP, l’association missionnée pour gérer les MNA à Marseille. Une fois sur place, les compagnons d’infortune apprennent que les éducateurs ne sont pas avertis de leur venue : « ils leur ont dit “On n’a rien pour vous. Vous pouvez repartir” » poursuit Anne. C’est finalement à El Manba, un collectif militant, que les jeunes trouvent du soutien. Après moult péripéties, un juge marseillais décide finalement en mars de renvoyer Ali et Mahmoud à Grenoble. Depuis, ils végètent dans un hôtel de passes, dans le centre-ville de Marseille, en attendant qu’on organise leur retour. Cet exemple n’est pas unique, puisque de nombreux MNA sont ballottés d’un département à l’autre. En 2016, l’Isère a récupéré 25 MNA et en a évacué 54, multipliant les situations kafkaïennes. 

William*, éducateur à Grenoble en foyer et proche des MNA, l’atteste : « C’est une vraie bataille pour savoir qui va venir chercher le jeune quand il change de département. C’est très dur de joindre les éducateurs des autres départements et aucun rôle n’est défini. » Tout dépend du bon vouloir des collectivités d’accueil et de leurs éducateurs. Cette organisation défectueuse repose pourtant sur une circulaire ministérielle, datée de 2016. L’idée de la cellule nationale était de décharger l’Île-de-France, qui concentrait tous les MNA. Mais derrière la vision purement mathématique, il n’est fait aucun cas de leur scolarité, ou de leurs attaches sentimentales.

Une cellule en sous-effectif

Pour que Ali et Mahmoud soient jugés mineurs, il leur a fallu affronter nombre d’épreuves. Après un rendez-vous avec l’Adate (l’association s’occupe de mettre à l’abri les jeunes), ils passent devant une cellule d’évaluation de la minorité du Département de l’Isère. Créée à l’été 2017, celle-ci est composée de deux éducatrices, d’une juriste et d’une assistante administrative et reçoit les jeunes à la cité Dode, près du centre-ville. Dans les locaux vieillissants, où les fines cloisons laissent passer le moindre son, la cellule du Département doit décider de la minorité du jeune.

Justin*, qui travaille au Département de l’Isère, récapitule : « La fonctionnaire qui auditionne le MNA se base sur la pièce d’identité et/ou les empreintes. Sinon, elle se fie à son apparence, son attitude pendant l’entretien, sa capacité à comprendre. Elle essaye de savoir s’il a décidé de faire le voyage, s’il était accompagné », précise-t-il. Jusqu’en janvier 2017, la minorité était déterminée par la médecine légale de l’hôpital, qui réalisait des tests osseux, du palpage de testicules, ou du comptage de poils sur le cou.

Cependant, la cellule d’évaluation actuelle a vite été débordée, voire livrée à elle-même. « Les salariées n’ont pas eu la possibilité de poser les choses. Pourtant, l’organisation était carrée, avec des membres pluridisciplinaires recrutés », explique Justin. Mais elles n’ont visiblement pas le temps d’échanger ou de se réunir, tant le rythme est intense. Ainsi, pas moins de huit à neuf MNA défilent chaque jour dans les bureaux de la cellule. À chaque fois, il faut faire un rapport pour « le jour même ou le lendemain », assure Justin. De plus, une réorganisation interne a traversé l’ensemble des services du Département ces dernières semaines, ce qui complique encore plus la tâche des fonctionnaires. L’encadrement change, et le coordinateur part sur une autre mission. Bref, après six mois d’exercice, les quatre membres de la cellule essuient les plâtres.

Après avoir « évalué » le mineur, le Département a trois choix. Soit il le déclare mineur et il est pris en charge, soit il est majeur, et sort du dispositif. Troisième solution ? Ni l’un, ni l’autre. Le Département décide alors de poursuivre les investigations (en demandant le concours de la police pour analyser les empreintes ou les papiers du jeune). Il est alors en « cage ». « Dans 95 % des cas, le Département ne confirme ni n’infirme la minorité. Il reste présumé mineur », affirme Val, co-président à la Cimade Grenoble. 

William, de son côté, rappelle qu’en « foyer, les gamins doivent attendre de passer devant un juge pour enfants, qui statuera sur leur minorité », et évoque le cas d’Abdel* : « il est arrivé à la mi-mars 2017 et le département conteste sa minorité. Il a donc été convoqué deux fois par la police pour vérifier sa pièce d’identité et il n’a aucun retour ». En attendant, le jeune reste en foyer. D’après une source de l’ADATE, sur 748 MNA placés en 2017, 261 sont dans ce cas « d’évaluation longue », le terme technique de la « cage ». Val déplore que d’autres jeunes sortent de ce dispositif à cause de cette situation : « En ce moment, nous avons une jeune fille dans ce cas. Elle est sous la coupe d’un réseau de prostitution. Il y a une vraie mise en danger. »


Foyers surchargés, familles non préparées

Si le Département a augmenté les moyens alloués aux MNA (passant de 3,5 millions d’euros en 2016 à 9,6 en 2017), ils restent largement insuffisants. Ainsi, les foyers sont eux aussi débordés par les demandes d’hébergement. « Il y a 53 enfants pour une capacité de 30 places, dont 29 MNA », rapporte encore William, qui évoque le foyer du Charmeyran à La Tronche. à la Villa Mansard, à Grenoble, 35 enfants sont hébergés pour 24 places. Surtout, l’éducateur est pessimiste. « Le foyer est déjà à bloc et le Département envoie quatre nouveau MNA que le foyer va devoir accueillir », conclut William. Ainsi, pour soulager ces centres, le Département a créé deux petits foyers à Biviers et Autrans. Accueillant respectivement une quinzaine de jeunes, ceux-ci disposent d’une équipe encadrante recrutée en vitesse. « Nous sommes quatre accompagnateurs et un moniteur éducateur sans formation », nous explique Vincent*, qui a été embauché dans l’une de ces structures aux locaux vétustes. L’accompagnateur soupire : « En plus, l’eau s’infiltre dans les chambres des jeunes ».

Pour les plus de 15 ans, l’alternative au foyer reste la famille d’accueil. Ali et Mahmoud étaient justement hébergés dans l’une d’entre elles, qui semblait bienveillante. Mais ce n’est pas une règle générale. En effet, elles sont recrutées dans l’urgence et ne bénéficient d’aucune formation pour les préparer à l’accueil. « Cela peut-être tout un chacun. La famille est payée pour l’hébergement, les vêtements, la nourriture » détaille Émilie, qui travaille à l’Adate. Et cela peut poser de très gros problèmes. « Il y a une famille où les jeunes hébergés n’étaient pas autorisés à manger à table. La mère leur amenait une gamelle de riz. Et lorsque la famille est partie en vacances, les jeunes sont restés enfermés durant une semaine. » Émilie regrette : « J’en ai parlé à l’Adate, mais je n’ai pas réussi à avoir le nom. »

Deux éducateurs de l’Adate sont pourtant chargés de rencontrer les familles, mais aussi de réaliser des visites inopinées. Encore une fois, la surcharge est totale. Autant que la mauvaise volonté de l’État, qui sous-finance les Départements. Et l’on peut compter sur Gérard Collomb, et sa future loi Asile Immigration pour réussir à empirer la situation.

* Il s’agit de pseudos.