Accueil > Avril / Mai 2016 / N°35

Linky rira le dernier ?

Pour tous leurs promoteurs, les compteurs intelligents sont incritiquables car ce sont « des éléments indispensables à la transition énergétique ». Sous-entendu : on en a besoin pour sauver la planète, alors ceux qui s’y opposent n’ont vraiment rien compris. D’ailleurs, même les élus écolos grenoblois sont pour, c’est dire.

« La gestion intelligente des données énergétiques est un levier essentiel de la transition énergétique de notre territoire. » Ce n’est pas un responsable d’ERDF qui parle, mais un élu grenoblois vert, adjoint en charge notamment de l’urbanisme et de la transition énergétique. Cette citation de Vincent Fristot, « l’élu à énergie positive » (voir Le Postillon n°28) est mise bien en valeur dans un document de l’entreprise grenobloise Atos Worldgride intitulé « la ville du futur se construit ici et maintenant » (1). Flanqué des logos de la ville de Grenoble et de GEG (Gaz et électricité de Grenoble), ce document promet : « À Grenoble, Atos Worldgrid bâtit un réseau intelligent ».

Le compteur Linky n’est qu’un des maillons d’un futur « réseau intelligent », qui permettra de collecter toutes les données concernant la consommation d’énergie, qu’il s’agisse d’électricité, d’eau ou de gaz. Aujourd’hui le Linky pour l’électricité, demain le Gazpar pour le gaz, et un peu plus tard un autre pour l’eau... à moins que cela ne soit les trois à la fois d’un seul coup.

Depuis le début de fronde qui entoure l’installation de Linky, on peut observer un silence assourdissant de la part des élus verts & rouges de Grenoble. D’habitude si prompts à relayer les inquiétudes des habitants, surtout quand elles concernent la santé, ils n’ont jamais parlé des anti-Linky. Adepte des stratégies de communication, ils auraient pu frapper un grand coup nationalement en devenant la première grande ville à délibérer contre le Linky, et en rejoignant ainsi la centaine de petites communes réfractaires.
Raté : en fait, ils sont pour. Leur seule prise de position est le vote du vœu pro-Linky au conseil de la Métropole le 1er avril dernier (voir page 8).

Le déploiement des compteurs intelligents à Grenoble n’est pas encore d’actualité : GEG, qui gère le réseau de distribution d’électricité sur la commune, a jusqu’en 2024 pour remplacer les compteurs actuels. Officiellement, GEG en est encore « au stade de l’étude de projet » (Place Gre’net, 6/10/2015) et n’a rien dévoilé sur ses intentions : la seule chose qui est sûre, c’est qu’il n’y aura pas de Linky avant 2017.

Officieusement, on apprend que GEG travaille à l’installation d’un compteur intelligent regroupant tous les fluides. Selon Georges Oudjaoudi, élu vert de Saint-Martin-d’Hères : « À Grenoble, ils aimeraient installer un compteur intelligent qui regrouperait l’électricité, le gaz et l’eau et le chauffage ». Un article du site d’une des composantes de la majorité (Ades – Association démocratie écologie solidarité) va également dans ce sens : « Il serait bienvenu de s’interroger sur la possibilité de choisir un compteur qui puisse aussi communiquer d’autres consommations comme le gaz, l’eau et éventuellement le chauffage afin d’éviter la multiplication des compteurs et diminuer le système de collecte des données. »

Ce compteur disposerait des mêmes défauts que le Linky : collectes de données personnelles, risques pour la santé, ineptie du remplacement de quelque chose qui fonctionne, suppression des emplois de releveurs, coût élevé de ce cadeau à certains industriels. Son grand avantage, c’est qu’il permettra d’être « innovant » et de faire muter Grenoble en « ville intelligente ».

Ce compteur devrait d’abord être installé très prochainement sur la Presqu’île, où des bâtiments sont en cours de construction pour bâtir la future « Ecocité », vitrine labellisée par le gouvernement. C’est là-bas que se construit la « ville du futur », remplie de « smartgrids » (réseaux intelligents) sur laquelle bosse Atos Worldgride. « ‘‘Les logements ont été smartgridés’’, annonce Nicolas Fréchon, directeur général de la Sem GEG (dont la ville de Grenoble est actionnaire). Pour les usagers, cela signifie, entre autres, qu’ils verront bientôt débarquer dans leurs appartements des compteurs communicants pour collecter leurs consommations de gaz, d’eau et d’électricité. Nommé Vivacité, le projet, porté par GEG et Atos Worldgrid, doit démarrer fin 2016. ‘‘500 logements neufs de l’îlot Cambridge seront équipés d’afficheurs de données et de compteurs communicants nouvelle génération. On pourra aussi savoir si le véhicule électrique stationné en bas de sa résidence sera disponible », explique-t-on sur le site de GEG.’’ » (Place Gre’net, 16/02/2016).

Dans la vidéo de présentation de Vivacité, cette « démarche de gestion collaborative des données », on peut comprendre un peu mieux ce que signifie la « ville intelligente » : « la ville de demain sera durable, connectée, participative grâce à une gestion plus collaborative et efficiente des données. Les activités urbaines génèrent des données, l’enjeu aujourd’hui : collecter, traiter et valoriser ces data. C’est une excellente opportunité pour innover et expérimenter ensemble pour lutter contre le réchauffement climatique, réduire les gaz à effet de serre, maîtriser les ressources naturelles, réduire les inégalités sociales et territoriales. L’énergie est au cœur des enjeux de la smart city (…). Grâce aux technologies numériques : traitement, valorisation et restitution des données. Pour une gestion partagée et en temps réel de l’énergie. » Les supposés avantages pour les « citoyens » sont résumés ainsi : « affichage et suivi des consommations individuelles et collectives, alertes, conseils personnalisés, données comparatives, empreinte énergétique ».

Avez-vous envie d’être « alerté » et d’avoir des « conseils personnalisés » grâce à votre compteur ? Le véritable but des compteurs intelligents est donc de « collecter » des milliards de données se rapportant à la vie quotidienne des gens. Loin de « lutter contre le réchauffement climatique », « maîtriser les ressources naturelles » et autres expressions creuses, cette gigantesque collecte de données, très énergivore, travaille à un monde où tout sera collecté et « valorisé », c’est-à-dire sujet à business. Un monde où l’humain, la sensibilité, la véritable intelligence, sont remplacés par des machines et des logiciels.

Linky va les avoir ?

Depuis le premier décembre, l’installation des compteurs Linky a débuté à Fontaine, Saint-Martin-d’Hères, Pont-de-Claix et Echirolles. A Seyssins, Seyssinet-Pariset ou Eybens, cela devrait débuter en juillet 2016.
Poisat, Saint-Egrève, Sassenage, La Tronche, Meylan, Claix, Saint-Martin-le-Vinoux ne devraient pas les avoir avant juillet 2017. Quand à Grenoble (qui a jusqu’à 2024 pour les installer), aucune date n’a été fixée : GEG (Gaz électricité de Grenoble) serait en « cours de réflexion ».

Linky se fout de notre gueule ?

L’année dernière, on avait fait un article autour des beuglements de joie des autorités locales suite à l’annonce de l’installation d’une usine fabricant des compteurs intelligents Linky à Fontaine (Le Postillon n°29). L’Aepi (Agence d’études et de promotion de l’Isère), rejointe par les élus et la presse locale, s’était félicitée de cette « excellente nouvelle », qui allait permettre de « créer jusqu’à deux cents emplois ». Nous on faisait remarquer que ces compteurs allaient faire disparaître tous les emplois de releveurs, et que les fabricants de compteurs n’auront plus de boulot une fois les compteurs installés, bref qu’à moyen terme, le bilan au niveau de l’emploi sera largement négatif. En fait, c’est bien pire que ce qu’on croyait. Même le maire de Fontaine Jean-Paul Trovero est en colère : « quand on m’a annoncé que deux cents emplois allaient être créés, j’ai dit ‘‘très bien’’. J’étais content qu’une entreprise industrielle s’installe sur Fontaine, une ville de tradition ouvrière, d’autant qu’il était convenu que ces emplois seraient pour des jeunes du coin non-qualifiés.Mais en fait pour l’instant on est loin du compte. Pour l’instant, ils n’ont embauché que des cadres supérieurs, et encore c’est des personnes venant d’Espagne, qui travaillaient déjà dans une autre usine de Ziv. Ils ne s’engagent plus que sur une vingtaine d’emplois directs d’ici 2019 ». Pourtant, la presse avait annoncé cet automne, à l’occasion de l’ouverture du site, qu’il « devrait créer 200 emplois directs ou indirects ». Au téléphone, Sébastien Fontaine « opérations manager » chez Ziv insiste beaucoup sur cette différence entre directs et indirects. « Il y a eu une confusion dans les médias. On a jamais dit qu’on allait créer deux cents emplois. La majorité des emplois créés grâce à l’arrivée de Ziv le sera dans d’autres entreprises auxquelles on va sous-traiter ». à sa décharge, dès qu’il s’agit d’emplois créés, les médias locaux perdent la tête et en oublient toute précision sémantique. Toujours est-il qu’aujourd’hui à Ziv, ils n’ont embauché qu’une « petite dizaine de personnes ». Sébastien Fontaine pense que « d’ici deux à trois ans, il y aura une cinquantaine d’employés sur notre site ». à vérifier plus tard. Pour l’instant, les compteurs installés sur l’agglomération viennent en tout cas d’Espagne, selon Jean-Paul Trovéro. On attend avec impatience les réactions de l’AEPI à cette « excellente nouvelle ».

L’arnaque de la transition énergétique

Selon l’élu vert de Saint-Martin-d’Hères Georges Oudjaoudi : « Avoir des photographies des consommations énergétiques est une nécessité pour amorcer la transition énergétique et avoir une utilisation optimale des énergies renouvelables. Vu que les énergies renouvelables ont des productions irrégulières, les compteurs intelligents pourraient permettre de mieux organiser leur distribution ». Une nécessité, vraiment ? Y-a-t-il vraiment besoin de connaître les détails des consommations individuelles pour optimiser l’utilisation de panneaux solaires ou d’éoliennes ? Sans aucun logiciel intelligent, on sait aujourd’hui qu’il y a plus de consommation électrique à certaines périodes de l’année, ou certains moments de la journée. Avoir quelques détails personnalisés en plus ne changera pas grand chose, si ce n’est le coût écologique exorbitant du remplacement d’une centaine de millions de compteurs (électricité + gaz + eau + chauffage) qui fonctionnent. Derrière la transition énergétique, plein d’industriels ont compris qu’il y avait de gros marchés à exploiter, et plein de fric à se faire. Les compteurs intelligents en sont un bon exemple.