Accueil > Été 2016 / N°36

Giono aurait-il été pour l’éolien ?

Le Trièves se prend un vent

Dans l’entre-deux guerres, le Trièves découvrait les charmes de l’électricité et Jean Giono venait y passer ses vacances. Presque un siècle plus tard, alors que la boulimie énergétique ne fait qu’enfler, Le Postillon envoie un de ses reporters dans ce charmant territoire du Sud-Isère pour enquêter sur un projet de grandes éoliennes. Citations de Giono, prises de position des « pour » et « contre », réflexions rafraîchissantes : voilà un nouveau reportage baroque.

Et là, je m’aperçus que j’étais bien embêté. Non par la énième côte qui me faisait face et que j’abordais tranquillement en danseuse. Mais par le sujet qui m’avait poussé à venir ici et qui s’avérait complètement conflictuel.
Si j’avais voulu venir dans le Trièves, c’était justement pour fuir les controverses, les tensions, les polémiques qui envahissent Grenoble. J’avais envie de faire comme l’écrivain Jean Giono, qui y séjournait régulièrement : « C’est le cloître, c’est la chartreuse matérielle où je viens chercher la paix. »

Alors moi aussi je venais chercher la paix, inspiré par tous les trentenaires grenoblois qui transhument régulièrement dans le Trièves, pour un week-end d’abord et pour s’y installer ensuite en abandonnant lâchement ceux qui restent dans la cuvette. Bon, il avait bien fallu que je fasse croire au directeur de la rédaction qu’il y avait un sujet intéressant à traiter. J’avais vaguement eu vent d’un projet d’éoliennes, alors je brodai autour pour convaincre le boss. Le bougre se laissa convaincre, ce qui me remplit de joie, persuadé que j’étais de passer un week-end peinard, de revenir bronzé et d’assurer à la direction que ce sujet n’était pas bankable. Devant leur colère probable, j’aurais alors proposé un texte un peu mièvre à la Giono sur « cette haute plaine du Trièves cahotante, effondrée, retroussée en houle de terre, cette haute plaine du Trièves toute écumante d’orge, d’avoine, d’éboulis, de sapinière, de saulaie, de villages d’or, de glaisières et de vergers, etc ». Ça les aurait tellement endormis qu’ils m’auraient définitivement laissé tranquille.

Sauf que je ne connaissais pas vraiment le Trièves. En tant que cycliste, on se rend assez vite compte qu’ici rien n’est plat. Ce projet d’éoliennes était à l’image de la route : montueux, accidenté, autant dire intéressant.

Je suis donc obligé de m’y coller sérieusement. Pour me consoler, je me fais une promesse. Puisque c’est comme ça, je vais traiter ce sujet comme Giono : en pacifiste. Suite à son expérience traumatisante de la guerre de 14-18 passée en partie au front, l’écrivain de Manosque décida d’être radicalement pacifiste et refusa de s’engager dans toute guerre, même antifasciste. Je vais marcher dans ses pas, écouter pro et anti-éoliens, et vous raconter cette histoire avec les deux versions.

Au printemps 2015, plusieurs communes du Trièves sont démarchées par des opérateurs éoliens. Saint-Maurice-en-Trièves et le Monestier-de-Percy ne donnent pas suite à ces sollicitations, mais le village du Percy se montre intéressé. Guillaume Gontard, maire de ce charmant village de 150 habitants, raconte : « Valéco nous a contactés, on les a reçus et on en a parlé au conseil municipal. Ils nous demandaient de prendre une délibération pour pouvoir lancer une étude. On s’est dit qu’on ne pouvait pas décider seuls : c’est un sujet qui dépasse largement le cadre de notre commune. J’ai donc fait un courrier au président de la communauté de communes pour lui demander d’organiser une concertation ». Précisons que les éoliennes envisagées (entre cinq et sept) ne sont pas des petits gadgets : il s’agit de gros machins d’environ 150 mètres de haut « en bout de pale », comme on dit. De quoi renouveler les photos du Mont Aiguille, de l’Obiou ou du Grand Ferrand, trustant les cartes postales du Trièves.

Il y a un détail étonnant qu’il me faut vous préciser : le Trièves n’est pas connu comme étant une zone de vent. Beaucoup de gens du pays sont d’ailleurs sceptiques sur la rentabilité potentielle d’éoliennes. Il y a quelques années, le département avait fait un atlas éolien où le Trièves apparaissait comme l’une des zones les moins ventées du département. Évidemment, il y a bien un peu de vent entre les deux cols, celui du Fau et de Lus-la-croix-haute. Mais il s’avère que cet axe est également un important couloir migratoire pour un tas d’espèces volantes protégées. Les chauves-souris, cigognes, ou aigles royaux pourraient être gravement perturbés par la présence d’éoliennes. Pourquoi vouloir implanter des éoliennes dans un endroit où il y a peu de vent ? Permettez-moi de laisser planer le suspense sur cette question.

La communauté de communes lance en quelques mois une concertation portant sur l’éolien dans le Trièves, mais pas sur un projet en particulier. Elle réunit vingt-quatre personnes, dont huit élus, huit représentants d’associations (allant de la Frapna à la fédération départementale de chasse) et huit habitants (plus trois suppléants). Loïc Cloez faisait partie de ce dernier collège : les habitants avaient été tirés au sort parmi des volontaires venus à une première réunion peu médiatisée. Après s’être impliqué sérieusement dans cette concertation, il a fini par claquer la porte, avec cinq autres habitants (dont un suppléant) : « on a vite eu l’impression que les dés étaient pipés, qu’on n’avait pas le droit de dire ‘‘ce n’est pas opportun’’. On a apporté plein d’éléments critiques, à chaque fois ils les digéraient pour en faire ressortir quelque chose de positif. La concertation devait porter sur ‘‘l’opportunité ou non de l’implantation d’éoliennes et le cas échéant les conditions d’implantation’’. On a fini par comprendre qu’elle ne portait que sur les conditions d’implantation et non sur l’opportunité. On ne voulait pas participer à l’élaboration d’un cahier des charges ».

J’étais venu juste pour profiter du cadre, car comme Giono, je pense que « ce dont on te prive, c’est de vents, de pluies, de neiges, de soleils, de montagnes, de fleuves, et de forêts : les vraies richesses de l’homme ! ». Des projets industriels, des polémiques, des concertations laborieuses, j’en ai déjà vu à Grenoble, et j’ai pas l’impression d’en être privé : tant pis, tel est mon sacerdoce.
Il y a quatre-vingts ans, Giono rêvait à voix haute : « Ce soir, j’entre dans toutes les auberges à la fois et je m’assois à toutes les tables de tous ceux qui parlent dans ce grand pays, dans tous ces villages de Saint-Michel, de Prébois, de Saint-Maurice, de Lalley, de Tréminis, de Saint-Baudille et du Monétier ». Aujourd’hui il n’y a plus guère d’auberges, mais je vais rencontrer des personnes dans ces bleds-là, en profitant des paysages paradisiaques, sommets enneigés et verdure naissante. En plus il n’y a presque pas de vent, ce qui, pour le cyclisme, est bien agréable.

Malgré le départ des six anti-éoliens [1], le comité de concertation a fini par pondre un « avis argumenté », qui affirme que « d’une manière générale, l’éolien est jugé pertinent », mais définit les nombreuses « conditions d’implantation » que tout projet éolien devra respecter : cela va du côté nécessairement « participatif » du projet (les collectivités et les habitants doivent faire partie de la société opératrice), à une distance minimale par rapport aux habitations, supérieure à celle définie par la législation, qui est de 500 mètres. D’après cet avis, les éoliennes devront être installées dans le Trièves à une distance supérieure à 1000 mètres, ce qui limite considérablement le nombre d’endroits potentiels. Mais l’avis explique aussi qu’il pourra y avoir des « exceptions au cas par cas »….

Pour les déçus de la concertation, cet avis est une porte grande ouverte à un projet éolien. Mais il y a également des « contre » qui sont enthousiastes du travail réalisé. David Loose, élu à Cordéac, « ne pense pas que l’éolien en montagne soit à promouvoir », mais ressort très satisfait de cette concertation, parce qu’ « elle a permis de nombreux échanges, malgré le manque de temps » et que « cet avis, très restrictif et exigeant, va plutôt canaliser les projets ».

En dehors de la concertation, une enquête a également été réalisée par des étudiants, qui ont rencontré 120 personnes. Une opposante s’indigne du choix des interviewés : « la liste des personnes à rencontrer a été donnée par la communauté de communes : il s’agissait essentiellement d’élus ou anciens élus. Alors forcément il en ressort un avis pro-éolien. Lors du rendu, ils ont reconnu que cette enquête était qualitative et non quantitative, que le panel n’était pas représentatif. Mais Le Daubé et le journal de la communauté de communes se sont quand même servis de cette enquête pour affirmer qu’une grosse majorité des habitants étaient pour les éoliennes ». Les chasseurs, par exemple, regrettent de ne pas avoir été consultés. Gilbert Magniat, président de l’Acca (association communale de chasse agréée) de Lalley assure : « Tous les chasseurs locaux sont contre. La démarche de concertation est positive, mais là elle a été un peu biaisée. » La fédération départementale a émis un avis globalement négatif tout en laissant la porte ouverte à « des mesures compensatoires ». « C’est la fédération qui a parlé de compensations, nous on n’en parle pas », précise Gilbert Magniat.

Florin Malafosse, chargé de l’environnement à la communauté de communes, reconnaît que tout n’a pas été parfait : « Cette démarche de concertation est inédite pour nous, alors la méthodologie a émergé au fur et à mesure. On n’avait pas les moyens d’avoir un panel représentatif. On n’avait pas de parti pris, mais on a subi un défaut de confiance envers la collectivité. En tous cas, avec toutes ces exigences, je pense que les opérateurs iront voir ailleurs ».

Olivier Dodinot a participé à la concertation dans le collège des « associatifs » en tant que représentant des « hébergeurs » (propriétaires de gîtes ou de campings). Vu qu’il n’a pas du tout sollicité l’avis des autres hébergeurs pour les représenter, ce titre est un peu usurpé, ce qu’il reconnaît volontiers. Il se défend par ailleurs d’être un « intégriste de l’éolien » et se revendique comme « écolo-centriste », ce qui révèle une certaine forme de courage : dans le Trièves, les écolos ne sont pas centristes, et les centristes ne sont pas écolos. Pour lui, « les opposants se sont barrés quand ils se sont aperçus que ça n’allait pas dans leur sens. Certains d’entre eux vont trouver à chaque fois un nouveau problème, ont un esprit critique surdéveloppé en ce qui concerne les éoliennes. À l’opposé, ils sont pour toute autre forme d’énergie renouvelable : tout d’un coup ils n’ont plus aucun esprit critique. »

Le maire de Prébois n’a quant à lui pas participé à la concertation. Jean-François Helly a néanmoins « apprécié la démarche parce qu’il y a une volonté d’informer, de discuter, de consulter. Mais j’aurais préféré qu’on fasse une étude globale sur le renouvelable ». Il est contre des grandes éoliennes, et favorable « à un mix entre des petites éoliennes, du solaire et de la micro-hydroélectricité ». Il aime raconter qu’avant autour de son village, « il y avait une vingtaine d’anciennes scieries à eau, ou des roues à aube entraînaient mécaniquement des scies. Tout ça a disparu. »

Comme souvent, il est plaisant et très instructif de se plonger dans les vieux textes. Les « œuvres de Marius Beaup », un habitant de Lalley, s’émerveillent en 1913 qu’ « une partie des eaux du ruisseau de Lus-la-croix-haute a été dérivée en 1911 pour la production de l’énergie électrique. L’électricité est actuellement répandue à profusion dans le chef-lieu de la commune et dans les hameaux. 58 lampes publiques de 32 bougies éclairent les rues, carrefours et places. Des moteurs électriques peuvent être concédés aux petits artisans à des prix excessifs de bon marché (sic). Deux autres moteurs mettent en mouvement de puissantes machines agricoles pour le battage des céréales. Ce sont des conditions d’extraordinaire bon marché : actuellement il ne reste plus aucun ménage qui ne soit copieusement éclairé ».

Dans les années 1930, Giono déplorait : « Notre époque d’électricité (ne disons pas plus), qu’est-ce qu’elle est capable de voir dans un mouton, à part des côtelettes ? ». Depuis, la consommation a bondi (décuplé, centuplé ? je n’ai pas réussi à trouver des comparatifs). En 1960, 60 % de l’énergie était d’origine renouvelable en France, grâce à l’hydraulique. Aujourd’hui il y a toujours autant de barrages, mais ils ne fournissent plus que 14 % de l’énergie.
Notre mode de vie est devenu définitivement « non négociable ». Radiateurs, climatisation, iPhone, robots, objets intelligents sont devenus les « vraies richesses » pour nombre de mes contemporains. Moi-même, je fais le malin à vélo mais j’écris sur un ordinateur et les machines qui impriment notre canard ne fonctionnent hélas pas avec des pédales. Notre époque connectée, qu’est-elle capable de voir dans un paysage, à part un post sur Facebook ?

Toutes les personnes rencontrées, pro et antiéolien, sont contre le nucléaire – ou tout du moins veulent que sa part décroisse. Toutes sont également d’accord qu’il faut avant tout faire des économies d’énergie, même si l’ampleur de ces économies est à discuter. à savoir que la nécessaire isolation des maisons fait l’unanimité, mais pas grand monde ne se bat contre l’invasion de gadgets énergivores.
Bref. Vu que personne ne semble prêt à revenir à des besoins énergétiques limités, qui pourraient être comblés par un simple ruisseau dévié, quelle est la manière la moins nuisible de produire de l’énergie ?

Le Trièves s’inscrit dans la démarche Tepos (Territoire à énergie positive), éco-machin lancé par le ministère de l’écologie, dont le but est de produire plus d’énergie que d’en consommer. Pour les pro-éoliens, les grands moulins à vent permettront d’atteindre plus vite cet objectif. Mais si on prend en compte tous les barrages le long du Drac (Notre-Dame-de-Commiers, Monteynard, Saint-Pierre-Cognet), le Trièves produit déjà plus d’énergie qu’il n’en consomme. Pour les anti-éoliens, il n’y a donc pas besoin de grandes éoliennes. Un argument non valable pour les « pro » : « On vit dans un endroit magnifique, mais ce qui m’agace, c’est qu’on est tous formidables, on a des maisons en paille, et donc on ne veut aucune nuisance, balance Guillaume Gontard. C’est égoïste parce qu’on est beaucoup plus pollueur que n’importe quel habitant en ville, parce qu’on a des maisons individuelles et parce qu’on utilise beaucoup la voiture. Tout le monde ne peut pas vivre comme nous. En plus, pour l’hôpital ou pour l’université on va à Grenoble, donc il serait logique de produire plus d’électricité. Certains veulent concentrer l’éolien dans les endroits déjà ‘‘‘moches’’. Pourquoi pas ? Mais il faut quand même qu’on prenne notre part. »

L’esthétisme est une question de sensibilité. Les éoliennes industrielles sont certainement beaucoup moins jolies qu’un moulin à eau, par exemple. Ou pour paraphraser Giono, elles ne font pas partie des choses « sorties des mains et de l’âme de cet homme, sans moyens techniques », qui permettent de comprendre « que les hommes pourraient être aussi efficaces que Dieu dans d’autres domaines que la destruction ». Mais là n’est pas l’important.

Le problème, avec l’éolien, comme avec tout, c’est le business. Et c’est là qu’on arrive à la fin du suspense. Si certains opérateurs démarchent dans des zones où il n’y a pas beaucoup de vent, ce n’est pas par philanthropie : c’est parce qu’il y a quand même moyen de gagner de l’argent. Le tarif de rachat de l’électricité produite par des éoliennes est garanti pour 10 ans à 8,2 centimes d’euro du kwh. Si les éoliennes tournent pendant au moins 3600 heures par an, il chute à 2,8 centimes pour les cinq années d’après. En revanche, si elles tournent pendant moins de 2400 heures, le tarif reste à 8,2 centimes. Ces dispositions légales sont en quelque sorte une incitation financière à installer des éoliennes dans des endroits pas forcément très ventés. Toutes les mesures destinées officiellement à favoriser les énergies renouvelables, permettent avant tout à certains de se faire des bonnes marges. Et encore je ne vous parle pas des « crédits carbone » et de l’odieux business qu’il entraîne dans l’éolien [2]. Ni de l’arnaque de la loi sur la transition énergétique, qui veut augmenter la production d’énergie renouvelable tout en maintenant la même production d’énergie nucléaire, car l’important reste la fameuse « croissance ». Si on reste dans ce cadre, les éoliennes ne serviront qu’à assurer l’augmentation de la production électrique et pas du tout à « sauver la planète ».
Notre époque sera même parvenue à salir le vent, ce qui aurait probablement fait enrager Giono : « On a dû te dire qu’il fallait réussir dans la vie ; moi je te dis qu’il faut vivre, c’est la plus grande réussite du monde. On t’a dit : ‘‘Avec ce que tu sais, tu gagneras de l’argent.’’ Moi je te dis : ‘‘Avec ce que tu sais tu gagneras des joies. C’est beaucoup mieux’’ ».

Les pro-éoliens aimeraient faire des mesures afin « d’objectiver » la réalité du vent à cent mètres de haut. Problème : des mesures sérieuses nécessitent d’installer un mât d’au moins cent mètres pendant plus d’un an ; ça coûte très cher. Pour Loïc Cloez, « à chaque fois qu’un opérateur a fait des mesures, il a installé des éoliennes ensuite. » Face à cette réalité, Olivier Dodinot dégaine la solution de la société appartenant à moitié à des habitants et à des collectivités, ce qui permettrait de faire des choix portés par l’intérêt général. « La participation est une arnaque, objecte Loïc. Quand on s’opposera au projet, on s’opposera pas juste à un industriel, mais aussi à nos voisins qui auront mis des billes. Pas facile. Cela ne fera que diviser un peu plus la population. L’autre problème, c’est que ces dernières années, plusieurs lois ont été votées pour faciliter le développement de l’éolien. à partir de 2017, le préfet aura tous les droits sur le développement de l’éolien avec l’autorisation unique ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement) : même les communes ne pourront plus s’y opposer. Accepterait-on cela pour n’importe quel autre projet ? ».

Des éoliennes, il y en a déjà deux juste à côté du Trièves, à Pellafol. C’est un privé qui les a construites, en bataillant pendant des années contre vents et marées, à savoir surtout le préfet et ses voisins.
Bernard, opposé aux éoliennes dans le Trièves, a réalisé des calculs de rentabilité à partir du bilan financier de la société. Selon cet habitant de Saint-Jean-d’Hérans, « une éolienne de 2 MW va produire un peu moins de 0,5 MW/h en moyenne dans les endroits ou il y a du vent, soit un rendement de 24%. à Pellafol, elles font environ 0,25 MW/h, soit un rendement de 12 %. Ce n’est pas rentable ». Le propriétaire, absent lors de mon séjour, les a revendues récemment au groupe Poma-Leitwind.

Je suis resté trois jours dans le Trièves. Presque pas un souffle les deux premiers, un vent tempétueux le troisième. « En montagne le vent est turbulent alors qu’en plaine il y a un flux laminaire beaucoup plus favorable à l’éolien, explique Bernard. Je suis un pro-éolien, qui défend l’éolien au bon endroit, en mer ou dans les grandes plaines, pas dans les zones de montagne. Ce n’est pas que je n’en veux pas ‘‘au fond de mon jardin’’. Je pense que ce n’est pas pertinent partout en montagne, dans le Jura, les Alpes ou les Pyrénées. Implanter des éoliennes partout c’est aller contre les éoliennes. C’est compliqué de se faire comprendre car beaucoup de mes amis écolos sont pour ». Le charme de l’éolien, c’est qu’il rebat un peu les cartes politiques, et met au jour des clivages inédits.

Vous avez remarqué ? Je n’arrive pas vraiment à ne pas prendre parti entre pro et anti-éolien, je penche. Le pacifisme radical de Giono a été vivement critiqué après la guerre : pour avoir refusé de combattre le nazisme, l’écrivain a été accusé de collaboration. Bien que les problématiques n’aient absolument rien à voir, hormis mon acharnement à vouloir me servir de Giono, je préfère donc dire ce que j’en pense. Après tout, comme Giono, « ce qui m’importe c’est d’être un joyeux pessimiste ». J’espère en tous cas ne pas être caricatural : « dans le discours des anti-éoliens, on a l’impression que si ça arrive, c’est la fin du monde, le saccage du Trièves, déplore Guillaume Gontard. Bon faudrait tempérer un peu : l’éolien c’est quand même la seule énergie réversible. Si on fait une connerie, dans trente ans nos enfants pourront les enlever. » Il faudra quand même qu’ils arrivent à virer les opérateurs, ce qui ne risque pas d’être une mince affaire.

L’autoroute A51 s’arrête pour l’instant au col du Fau, au tout début du Trièves. Pour protester contre sa potentielle poursuite, trois cents manifestants avaient tenté de la descendre en vélo il y a trois ans. La police avait bloqué cette audacieuse initiative, et le cortège avait finalement pris la route nationale.
Quand je reviens à Grenoble ce dimanche 22 mai, l’autoroute est bloquée par une saugrenue « fête de l’autoroute ». Pour rendre cet ouvrage contesté plus populaire, Area organise un triathlon et empêche donc les voitures d’accéder aux vingt kilomètres entre Vif et le col du Fau. Je profite de l’occasion pour passer par dessus la barrière et m’offrir quinze kilomètres de descente en roue libre avec l’autoroute pour moi tout seul. Joie et enchantements. Au péage, la « fête » est bien vide et tristounette, heureusement animée par une vingtaine de Triévoises venues distribuer un tract réclamant la fermeture définitive de l’autoroute, sa reconversion en « véloroute fleurie » et la « destruction de toutes les caméras et les lampadaires dans un grand jeu médiéval pour enfants ‘‘Toi aussi sois Thierry la Fronde’’ ».
Les éoliennes auront-elles le même destin que cette autoroute inachevée ?

Portfolio

Notes

[1Je les dénomme ainsi par facilité bien que ce soit très réducteur : en fait ils sont juste contre des éoliennes industrielles dans le Trièves.

[2À ce propos, voir Les Dépossédés, le dernier film d’Antoine Costa (réalisateur du Mouton 2.0).