Youpi. Début septembre, la start-up du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) Aledia a posé la première pierre de la construction de son usine à Champagnier, sur l’ancien site de l’usine chimique Polimeri. Pour l’occasion, pas moins de deux membres du gouvernement (le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique Cédric O et la ministre déléguée chargée de l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher) avaient fait le déplacement afin d’inaugurer la Display Valley, ou « vallée des écrans » en français. Un nom plagiant la Silicon Valley un peu ridicule quand on sait que seule cette « pépite » va produire des écrans dans le coin pour l’instant. Ça n’a pas empêché la presse de s’extasier devant le « pari technologique » que représente la construction de cette usine, sur les « 500 emplois industriels » promis, sur la « réindustrialisation » et cet « atout exceptionnel de la France dans la compétition internationale ». De la belle communication, ne posant jamais la question des risques créés par cette nouvelle usine. Personne n’a ainsi précisé que l’usine d’Aledia sera classée Seveso seuil bas, rejoignant ainsi les huit autres sites Seveso de la métropole (l’institut Laue Langevin, Eurotungstene, Isochem, Sita Rekem, Vencorex, Arkema, Cezus et EPC France). Quels risques cela implique-t-il ? Mystère. Le service com’ de la boîte n’a pas daigné nous répondre et le maire de Champagnier n’a pas pu nous fournir les informations en sa possession parce qu’ « une demande d’autorisation ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement) est actuellement en cours d’instruction par les services de l’état. Les produits déclarés dans le cadre de la demande d’autorisation auprès de la DREAL sont pour l’heure protégés par le secret de l’instruction. »
Il y a bien une personne qui n’a pas été très enthousiaste à propos cette construction : c’est Pascale Berendes, ancienne première adjointe de Champagnier. « Quand Polimeri est parti, on était pas mal d’habitants à être soulagés, à la fois à cause des odeurs et du risque d’explosion que cette usine faisait peser sur le village. J’étais dans la précédente municipalité. On ne voulait plus avoir de chimie lourde sur ce site-là. Et là on se retrouve avec une usine Seveso seuil bas. » En avril, Pascale Berendès a été démise de ses fonctions de première adjointe à cause de « relations très compliquées de manière générale entre elle et le reste de l’exécutif municipal » selon le maire.
Si Pascale Berendès, comme un autre élu démissionnaire, Gilles Imbert, confirment qu’ « on avait cette impression de sentir mauvais parce qu’on était dans le mandat d’avant », elle évoque aussi des désaccords politiques sur les questions environnementales – et notamment sur Aledia. « Le peu de documents auxquels j’ai eu accès exposent quand même des risques conséquents, notamment à cause du stockage important d’hydrogène ». Le maire Florent Cholat, siégeant à la Métropole dans le groupe écolo d’Une métropole d’avance, évacue, lui, les critiques sur la dangerosité de l’usine : « Les échanges réguliers avec l’entreprise, les services de l’État, les documents auxquels nous avons eu accès ou encore les avis des services risques, nous permettent d’envisager l’installation d’Aledia en toute tranquillité vis-à-vis des risques technologiques et environnementaux. » Pascale Berendès reste dubitative devant le manque d’informations : « Il n’y a jamais eu de débat au conseil municipal. J’ai essayé de mettre les pieds dans le plat, mais ça n’intéressait pas les autres élus. Le maire n’en parlait jamais ou alors pour répéter que c’était super pour notre commune, qu’il allait y avoir beaucoup d’emplois. Ça m’a gênée qu’on soit pas transparents et qu’on n’explique pas à la population que les risques technologiques allaient être augmentés. » Mais au fait le jeu des risques vaut-il la chandelle des bénéfices ? Dans le dossier de presse du lancement de la Display Valley, la start-up se réjouit : « Avec le développement du numérique et la multiplication des applications, les écrans (displays) sont devenus quasi indispensables à notre quotidien. En sept ans, le temps quotidien passé devant un écran en dehors du temps de travail a augmenté de 20 minutes en moyenne chez les enfants et d’1h20 chez les adultes. Chaque foyer français disposerait ainsi de 5,5 écrans en moyenne. Pour travailler ou se divertir, communiquer ou s’informer, trouver son chemin ou réserver une table au restaurant, ils sont devenus quasi indispensables. » Pour leur business, les patrons d’Aledia espèrent bien que les écrans deviennent encore plus « indispensables ». Surtout que ces requins du numérique se frottent déjà les mains quant aux futurs développements de « l’écran souple » et des « tablettes enroulables et pliables comme du papier » et de l’aboutissement de tous leurs rêves mercantiles : « Le téléphone tel que nous le connaissons sera remplacé en partie par des lunettes à réalité augmentée. » Et peut-être, grâce à cette réalité augmentée, pourra-t-on enfin voir tous les risques encourus à cause des écrans ?