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La fabrique du consentement à la grenobloise

Depuis un an, on subit les décisions de restriction de libertés d’un pouvoir autoritaire, qui contraint les allées et venues de chacun sans même prendre la peine d’en débattre au Parlement. Heureusement, la municipalité grenobloise a été une fois de plus pionnière en lançant son « comité de liaison citoyen » sur le Covid-19 afin de faire vivre la « démocratie sanitaire ». À quoi ça sert ? Une vidéo nous apprend qu’il s’agit bien plus de fabrique du consentement que de démocratie.

« À Grenoble on ne se résout pas à subir la gouvernance très verticale décidée en petit comité à l’Élysée. Poursuivant un idéal de “démocratie sanitaire”, la municipalité écologiste a lancé son propre comité de liaison citoyen sur le Covid-19.  » Le 8 janvier, Bastamag a rejoint les nombreux médias à s’être émerveillés de l’initiative grenobloise du comité de liaison également dénommé «  convention citoyenne Covid 19  ». «  Les citoyens reprennent enfin la parole » se réjouit le journaliste. En bas de cet article louangeur, une note indique qu’un « premier bilan en a d’ailleurs été tiré au cours d’une web-conférence » avec le lien d’une vidéo.

En cliquant, on tombe donc sur un « webinaire  » diffusé en direct le 7 décembre, réunissant une dizaine de personnes. Outre Éric Piolle, deux de ses adjoints (Pierre-André Juven, en charge de la santé, et Annabelle Bretton, chargée de la démocratie participative) et trois salariés municipaux, on trouve Jean François Delfraissy, président du conseil scientifique Covid-19, Thierry Pech, président du think-tank Terra Nova (qui avait conseillé à la gauche d’abandonner les classes populaires) et des élues des villes de Chambéry, Lyon ou Clermont-Ferrand.

Entre toutes ces sommités, l’ambiance est très bienveillante. Dès le départ, Jean-François Delfraissy «  remercie le maire de Grenoble d’avoir été à l’initiative d’un comité citoyen  ». Pour lui, «  fondamentalement, le citoyen, l’usager de santé, dans l’ensemble des questions sanitaires, doit avoir son mot à dire ». À ce stade, précisons que Delfraissy est également à la tête du Comité consultatif national d’éthique. Au moment des débats autour de la bioéthique, il a déclaré : « Il y a des innovations technologiques qui sont si importantes qu’elles s’imposent à nous. [...] Il y a une science qui bouge, que l’on n’arrêtera pas. » Pour lui, la fuite en avant technologique n’est pas discutable, comme les mesures de restriction imposées arbitrairement. Alors il tente d’endormir le gogo : « S’appuyer sur l’avis et l’expression citoyenne est un élément majeur, qui ne passe pas seulement par le vote, mais qui s’appuie également sur le dialogue comme c’est mené dans un certain nombre de métropoles et en particulier Grenoble. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. (…) Grenoble est un très bel exemple. »

Devant tant de courbettes, Pierre-André Juven tâche de lui rendre la pareille : «  Le Comité citoyen grenoblois prend sa source dans les avis du comité scientifique national donc on est très heureux d’avoir une réponse à l’écho que les avis ont eu pour nous.  » L’initiative grenobloise n’est donc pas une fronde contre le pouvoir autoritaire, mais une application très sage des consignes du conseil scientifique, qui a pour but « d’éclairer la décision publique dans la crise sanitaire ». Médiapart avait révélé une note du 14 avril 2020 où Delfraissy alertait l’Elysée sur l’urgente nécessité d’impliquer les citoyens : «  L’exclusion des organisations de la société civile peut facilement ouvrir la voie à la critique d’une gestion autoritaire et déconnectée de la vie des gens. » Pour calmer les voix critiques « d’une gestion autoritaire et déconnectée  », la ville de Grenoble s’est donc empressée de donner une illusion démocratique avec ce comité. La docilité est allée jusque dans la sémantique, comme nous l’explique www.thegood.fr (23/11/2020) : « Si son nom officiel est le comité de liaison citoyen, c’est pour faire référence “à la demande formulée en ces exacts mots par le conseil scientifique”, souligne Annabelle Bretton.  »

C’est qu’en matière d’enfumage démocratique, Piolle et sa bande ont de l’expérience. Alors c’est presque comique d’entendre les louanges de Thierry Pech, qui en plus de présider Terra Nova dirige aussi le comité de gouvernance de la convention citoyenne pour le climat : «  Je suis particulièrement heureux de parler devant des représentants de la ville de Grenoble, parce que Grenoble est un haut-lieu de la démocratie citoyenne délibérative vous l’avez rappelé, vous avez sur ce domaine une antériorité sur beaucoup d’autres qui rend vos pratiques particulièrement intéressantes et précieuses ». En évoquant le «  haut-lieu de la démocratie citoyenne », voulait-il évoquer le fiasco de la votation citoyenne, celui des CCI (Conseils citoyens indépendants) ou le refus de la mairie de prendre en compte le Ric (Référendum d’initiative citoyenne) de l’Arlequin ? Mystère.

Piolle n’a en tout cas pas laissé passer l’occasion de se faire mousser. «  Je voudrais remercier Thierry Pech d’être présent parmi nous, vous l’avez compris, nous avons choisi depuis six ans, de mettre la démocratie participative au cœur de notre projet politique. » On s’attend à un grand fou rire d’autodérision mais rien ne vient, si ce n’est une perpétuelle autoglorification : «  Cette démocratie locale de délibération de l’information, d’entraînement collectif, elle amène finalement un résultat beaucoup plus fort que la contrainte administrative.  » Quel est ce résultat ? Pouvoir discuter des mesures de restriction imposées arbitrairement ? Pouvoir contester le confinement, le couvre-feu, les 135 euros d’amende ou l’invasion du virtuel ? Pas du tout.

Les sujets abordés par le comité de liaison grenoblois ont été par exemple le maintien ou non des marchés ; les mesures de lutte contre l’isolement ; les attentes vis-à-vis de la Ville en cas de confinement. Des thèmes où il y a certainement plein de choses à dire mais qui relèvent plus de la consultation que de la démocratie. Une conférence a abordé un «  sujet brûlant  » : les vaccins. Mais il ne s’agissait pas de «  tomber dans des débats entre les pour et les contre », plutôt de « poser des questions, comprendre les enjeux, pour informer les habitant.e.s. » En gros, accompagner le déploiement de la vaccination.

But discutable mais qui n’a, en tout cas, rien à voir avec la « démocratie ». De la même façon, si les sujets du confinement ou des amendes ne relèvent pas des compétences municipales, vouloir prétendre à une « démocratie sanitaire  » sans même poser les questions du bien-fondé des mesures de restriction est une grande supercherie.

D’où vient le Covid-19

Le 1er février, le compte Twitter de Piolle nous apprend qu’il est allé rendre visite aux laboratoires Biomérieux de Grenoble : «  À l’invitation d’ Alain Mérieux, visite de l’usine et du laboratoire de Grenoble, en présence de Maud Tavel. L’énergie d’un grand groupe français pour améliorer les tests médicaux et les systèmes de diagnostic. Un savoir-faire précieux, et présent à Grenoble, face à la #Covid19.  » Un puissant personnage, cet Alain Mérieux. Sa famille a financé le laboratoire P4 de Lyon et lui a présidé le comité de pilotage du laboratoire P4 de Wuhan. Ce même laboratoire soupçonné d’avoir manufacturé le virus Sars-Cov2 (dit Covid-19) et d’où il se serait peut-être échappé. Cette thèse défendue par quantité de gens respectables [1] mériterait d’être approfondie, par exemple en posant des questions à Alain Mérieux, témoin privilégié. Mais Piolle préfère vanter les « savoir-faire précieux » de son groupe industriel plutôt que d’interroger les responsabilités des apprentis sorciers de la virologie.

Notes

[1Voir Un virus d’origine scientifreak (8/6/2020) sur www.piecesetmaindoeuvre.com
« La question de l’origine du SARS-CoV-2 se pose sérieusement  » dans un article du journal du CNRS (27/10/2020)
« À l’origine de la pandémie de Covid-19, un virus SARS-CoV-2 aux sources toujours énigmatiques  », Le Monde (22/12/2020).