Combien y-a-t-il de logements loués sur les plateformes de locations courte-durée à Grenoble ? Dans ce secteur économique comme dans d’autres, l’opacité règne, les multinationales (Airbnb, Booking, Abritel) ne communiquant pas leurs chiffres. Les seuls disponibles pour Airbnb sont donc ceux sortis par le site internet Enquêtes d’Actu, utilisant la méthode dite du « datascraping » (un programme informatique qui permet de collecter des données). Selon leur enquête, si Airbnb avait perdu du terrain à Grenoble en 2022 (passant de 1 163 logements loués en 2021 à seulement 709), la plateforme a explosé ses records en 2023 : 1 607 logements loués uniquement sur la ville de Grenoble. Au niveau national, entre 2022 et 2023, le nombre de logements loués serait passé de 600 000 à 750 000. Contestant ces chiffres (sans en donner d’autres), les communicants d’Airbnb tentent de faire croire qu’en plus, cette franche augmentation permettrait avant tout à des personnes modestes d’arrondir leur fin de mois : « En cette période d’inflation, Airbnb permet aux familles françaises de louer occasionnellement leur logement pour générer un complément de revenus. » Comme si les logements loués l’étaient avant tout sur des courtes périodes, en étant habités à l’année le reste du temps…
En surfant un peu sur les annonces disponibles sur Grenoble, on se rend compte que beaucoup des propriétaires de biens immobiliers proposés sur la plateforme en ont en fait plusieurs. Qu’ils n’habitent donc jamais dans ces logements qu’ils pourraient proposer à la location longue-durée, les demandes étant bien supérieures aux offres sur ce secteur autrement plus « essentiel » que la location courte-durée. Mais cela serait certainement beaucoup moins profitable pour ces multipropriétaires dont voici quelques profils.
Il y a par exemple Anthony. Pâtissier international, la photo de son profil reprend l’une des phrases de l’auteur phare en développement personnel, Paulo Coelho : « Ne vous découragez pas, c’est souvent la dernière clef du trousseau qui ouvre la porte. » On imagine qu’il parle de la serrure de son appart, ou plutôt de ses apparts puisqu’il comptabilise 8 locations sur Grenoble, Saint-Martin-d’Hères et Seyssinet-Pariset. Se disant « disponible et serviable » même s’il vit à l’étranger (on va dire que c’est l’intention qui compte), Anthony nous parle « d’aventure » puisqu’il voit ses appartements avant tout comme des expériences uniques. Le Rosemary, l’Australie et Le Chic New-yorkais font partie de ses pépites pour 50 euros la nuit.
Andrée travaille, elle, dans la recherche clinique à l’hôpital universitaire de Grenoble mais est surtout...super hôte d’Airbnb. Avec 7 appartements à son actif, l’un d’eux est un studio de 19 m2 sur le cours Berriat, Augustin I, qui peut également faire l’objet d’un long séjour pour la modique somme de... 1 000 euros le mois !
Richard est l’un des rares à être sobre sur son profil Airbnb. Malin, il a aménagé un appartement de quatre pièces en quatre studios L’Aiglon de Foch #1, #2, #3 et #4 en les louant à 50 euros la nuit au minimum pour quatre nuits. Il complète cette juteuse affaire par un autre appartement, l’étoile du vercors, lui aussi loué au minimum quatre nuits.
Emeric est cofondateur et directeur produit de la start up Wizbii, une plateforme d’aide à la recherche d’emploi pour les moins de 30 ans afin d’améliorer leur « employabilité ». Leur chiffre d’affaires avoisinant les 8 millions d’euros en 2021 a probablement permis à Emeric de se faire son propre parc immobilier, qu’il se vante d’avoir remis à neuf pour la location. Le Dupont, Le Chantemerle, Diderot, Lego and Friends, L’Aigle, Le Peguy, Le Chic, Le Duo et Les quais. Avec un design intérieur particulier à chaque appart, il les met en location entre 60 euros et 130 euros la nuit.
Avec ce genre de profils, on se rend compte qu’on est bien loin de la première devise d’Airbnb en 2007 : « Partage un logement, économise de l’argent, rencontre des gens sympas. » L’ « économie du partage » tant vantée par la multinationale au chiffre d’affaires annuel de 10 milliards de dollars (en 2024) s’apparente bien plus aujourd’hui à du « capitalisme de plateforme », où les « gens sympas » sont avant tout des investisseurs ne pensant qu’à l’agrandissement de leur patrimoine… Et qui s’en foutent royalement des potentielles nuisances causées par leurs locataires-consommateurs.
Car si les locations Airbnb peuvent se révéler un juteux business, elles peuvent vite devenir un enfer pour les voisins. Parmi les multiples témoignages de nuisances arrivées aux oreilles du Postillon, celui de Damien est le plus effarant. Pendant deux ans, un des apparts de sa petite copropriété de la rue Ampère a été loué sur Airbnb à un prix exorbitant : « C’était 108 euros la nuit pour environ 50 m2... Le proprio a hérité de cet appart et n’y a jamais habité. Alors lui et sa femme se souciaient juste de rentabiliser au maximum leur bien, et peu importe ce qui se passait à l’intérieur. En deux ans, on a eu tout un tas de nuisances différentes. Ces plateformes ouvrent plein de portes pour le crime organisé : l’appart a servi pour des grosses fêtes mais aussi pour du deal, pour de la prostitution. Je croisais des hommes assis dans les escaliers, attendant leur “copine” qui leur avait donné rendez-vous sur “sexmodel.com” en leur communiquant le code de l’immeuble par messagerie. » Damien raconte les entrées et sorties permanentes, les personnes « complètement déchirées » qui passaient, pissaient et chiaient dans l’allée. « Certains matins, il y avait du vomi dans la montée d’escalier, sur les murs, des déchets partout. Sur Airbnb comme dans tout le monde ubérisé, toutes les relations se passent derrière un écran, le réel étant juste une aspérité étrange dans tout ça. » Damien raconte les nuits sans sommeil, pour lui ou ses voisins : « Il y a eu des nuits où il y avait des bagarres qui débordaient dans l’immeuble avec des coups sur les portes de voisins terrorisés. On envoyait des photos et témoignages des nuisances aux proprios, ils répondaient qu’ils n’y étaient pour rien, que ça ne les regardait pas. C’est impossible de contacter Airbnb, un membre du conseil syndical a tenté de signaler le problème sur un formulaire mais ils ne répondent jamais. » Finalement, ce qui a « sauvé » cette copropriété, c’est une énorme fête : « Les participants avaient même rentré leurs scooters dans l’allée. Ils ont tellement défoncé l’appart, que ça a fini par convaincre les proprios de passer à un autre type de location, plus longue durée... Depuis, on re-dort. »
Sans toujours servir au « crime organisé », la location Airbnb peut entraîner des nuisances : par essence les locataires n’ont aucun intérêt à faire attention au voisinage. Les greniers au-dessus de l’appartement de Margaux, dans le quartier Saint-Bruno, ont été réhabilités pour servir à de la location courte-durée, alors que l’isolation phonique est inexistante. « Les locataires ne font pas du tout attention au bruit qu’ils font, peuvent crier des heures au téléphone ou passer l’aspirateur à quatre heures du matin, ils s’en foutent, le lendemain ils sont partis... Quand j’en ai parlé au concierge qui s’occupe de l’Airbnb, il m’a dit qu’il ne pouvait rien faire et que je devais appeler la police pour cette histoire d’aspirateur… »
Entre de riches multipropriétaires qui continuent de s’en mettre plein les poches et des nuisances non prises en compte par une application qui annule tout rapport humain, elle est belle « l’économie de partage ».