Accueil > Avril 2010 / N°05

L’OPAC se trouble, des femmes occupent un appart

Depuis le 9 mars, un appartement vide est occupé dans le quartier de Renaudie à Saint-Martin-d’Hères.
Petite visite chez des femmes qui tentent de sortir de la fatalité de la galère de logement.

Voilà le printemps et pour la première fois, on monte dans le tram D. Direction le terminus. On traverse le nouveau quartier du centre de Saint-Martin-d’Hères, en plein chantier. Comme d’habitude, nos urbanistes ont du génie  : c’est grand, propre, et fonctionnel. La ligne s’arrête à l’entrée du quartier populaire Renaudie.

On erre un peu avant de trouver l’adresse recherchée  : 43, rue du 8 mai 1945. C’est là que depuis le 9 mars, un groupe de femmes occupe un logement vide de l’OPAC 38. L’objectif est de faire pression sur le bailleur social. Des femmes attendent des logements adaptés à leur vies depuis des années, sans succès. Elles sont seules ou avec enfants, en couple ou pas, des vieilles et des jeunes, soutenues notamment par le collectif Défends-toit, qui agit en faveur des mal-logés. Une lutte payante, puisque certaines d’entre elles ont déjà obtenu un logement adéquat. Ces femmes continuent d’agir, même si leur situation personnelle s’est débloquée.

On monte au premier étage de l’immeuble. L’accueil est chaleureux  : sourires, thé à la menthe, gâteaux. Dans le deux-pièces occupé, des enfants dessinent sur de grandes affiches. Sur la porte, une affichette rappelle qu’il faut vérifier qu’il ne s’agit pas d’un huissier ou de la police qui frappe à la porte. Même si l’on nous explique qu’il n’y a pas de menace d’expulsion malgré la fin de la trêve d’hiver. L’OPAC 38 se ferait une mauvaise pub en mettant à la porte ces femmes. Sur les murs, des affiches reprennent le tract qu’elles font circuler, et des feuilles sur lesquelles sont indiquées les tâches à accomplir, par roulement  : les réunions, les courses, les contacts.
Des femmes de l’union de quartier passent. Des meubles ont été apportés pour aménager l’endroit, et de la nourriture achetée ou glanée pour faciliter la vie.

Le quartier Renaudie, du nom de l’architecte, date des années 70-80. Il paraît plutôt agréable à vivre, même si les façades sont austères. Il y a des décrochements d’un étage à l’autre, pour bénéficier de grands balcons. Derrière les immeubles, des cours, invisibles depuis la rue, où le soleil chauffe en ce début de printemps. Mais les appartements ont été mal conçus, et beaucoup d’habitants doivent faire face à des problèmes d’infiltration. «  Mon appartement boit l’eau  » nous explique Mimount : «  Il y a de l’eau partout sur le sol, les prises électriques ne marchent pas, j’ai perdu deux aspirateurs et une télévision à cause de courts-circuits. J’ai peur de rentrer chez moi  », continue-t-elle. Elle s’est adressée à la mairie, qui l’a baladée d’un service à l’autre, espérant noyer le poisson. «  On m’a dit  : allez voir au service Hygiène. Mais c’est pas un problème d’hygiène  ! Mon appartement est propre, il est bien tenu. C’est que l’eau rentre de partout, je te jure monsieur  ! J’ai même demandé aux pompiers, mais ils peuvent rien faire  : c’est à la mairie et au bailleur social de faire quelque chose  ».

Le bailleur social a bien une idée  : faire des travaux. Pour cela, il faut de l’argent. Mais où le prendre ? Chez les pauvres, tout simplement. L’OPAC envisage, pour financer ce projet, d’augmenter de 13% les loyers et charges. Les loyers sont déjà énormes  : pour le deux-pièces occupé, le bailleur social soutire plus de 500€ par mois, alors que la chambre est si bien conçue qu’une fois le lit installé, on ne peut plus ouvrir la fenêtre. Et comment payer le loyer quand on touche le minimum vieillesse  ? Pas sûr que même un urbaniste chevronné ait la réponse à ce genre de question.

Forcément, au bout d’un moment, ça énerve. Alors ces femmes, aidées par le collectif Défends-toit, s’organisent pour demander un truc tout bête  : des logements décents, et adaptés à la vie des habitant.e.s. M. Gaillard, directeur général de l’OPAC 38 s’est engagé à organiser une réunion avec tous les autres bailleurs sociaux et publics pour mettre à plat la situation de l’offre et de la vacance des logements sur toute l’agglomération, et de trouver des solutions pour ces femmes. La promesse tient toujours, mais sera-t-elle réalisée  ?
Cela fait plus d’un an que ce groupe de femmes s’est constitué. Il diffuse des tracts sur les marchés, rencontre les habitant.e.s du quartier, colle des affiches. Les femmes sont impressionnées par l’importance du soutien, et de l’ampleur que prennent leurs revendications. Elles ne se pensaient pas aussi puissantes. C’est qu’ici vivent celles et ceux à qui on ne pense pas quand on a de grands projets pour l’agglomération. Et qui en viennent à douter de leur propre existence. Alors que ce sont elles et eux qui font vivre cette ville.

Quand on reprend place dans le tram D, on repense à ce que nous a dit Mimount, alors qu’on finissait notre thé  : «  Le plus important de l’histoire, c’est qu’on a pu parler de tous nos problèmes. Et puis on y a gagné des visages. Maintenant, je vous connais, et vous me connaissez. Si on se croise, on se dira bonjour, on pourra se parler. ça, c’est le plus important pour moi.  »