Accueil > Printemps 2019 / N°50
« Bien vivre sa fin du monde »
(Jet) Set électro à l’Alpe du pèze
Il paraît que plus de trente journalistes chinois avaient fait le déplacement. Le Postillon y était aussi. Tomorrowland Winter, c’est la première version hivernale d’un des plus gros festivals de musique électronique au monde. Tous les étés, il se déroule en Belgique. Cette année il y avait aussi une édition au mois de mars à l’Alpe d’Huez. 25 000 festivaliers, cent cinquante gendarmes, une station de ski privatisée pour des riches et des ultrariches, une subvention de 400 000 euros de la région, des scènes électro à l’arrivée des télésièges, des immenses structures montées pour l’occasion : est-ce que vous êtes prêts à foutre vos « fucking hands in the air » ?
Imagine, Marie. On est arrivé par au-dessus de l’Alpe d’Huez, par la Grande Sure. Tu remets ? La petite montagne à 2100 mètres, une des premières à avoir été équipée d’un téléski dans ton village.
On n’a pas pris le chemin le plus court parce qu’on ne pensait pas pouvoir accéder à la station de ski par la route. Sur le site du festival, on avait lu que pour accéder à la station, il fallait être « détenteur d’un billet Tomorrowland Winter ou présenter un justificatif de logement ou contrat de travail en cours de validité à l’Alpe d’Huez ». Il était même précisé que les habitants désirant recevoir des invités devaient « en informer préalablement l’organisation officielle ».
Vu que la porte de l’Alpe d’Huez était a priori fermée, on voulait passer par la fenêtre, en arrivant à ski de randonnée. On avait prévu de venir par Clavans, en empruntant le magnifique col de Sarennes. Tu te souviens ? Lui n’a pas trop changé, depuis ton époque : il y a juste de gros bâtiments (qui ont servi de refuge avant de cramer il y a deux ans) et puis une petite route où il n’y a jamais grand monde, surtout l’hiver – elle n’est pas déneigée. Mais on a eu peur du retour de nuit sur cet itinéraire – la météo annonçait de la neige, du vent et c’est un secteur avalancheux.
Alors on a changé nos plans et on s’est garé au petit village de Villard Reculas. On a mis des peaux de phoque sous nos skis et on a remonté les pistes pour atteindre la Grande Sure. Là-haut, ça a bien changé en un siècle, Marie. À côté des arrivées des remontées mécaniques, il y a un bar-restaurant. Quand on est arrivé, après avoir passé les banderoles « Réservé Tomorrowland », il y avait un DJ qui mettait du gros son sur la terrasse et quelques dizaines de boloss qui se trémoussaient gentiment en se bourrant la gueule.
Je sais, Marie : j’utilise plein de mots que tu ne dois pas comprendre. Si je parlais quelque chose qui ressemble à du patois dauphinois, j’aurais pu te raconter que des arsouilles bien mal gaunés et des demoiselles toutes pimpinaudes étaient en train de de jinguiller et de se goyoter en buvant de bonnes goutres tout en haut de la Grande Sure. Mais je peux même pas tout traduire, parce que cette scène était filmée par un hélicoptère tournant autour du restaurant, et ça je vois pas comment le transcrire dans le lexique du patois dauphinois. Bref, malgré le vocabulaire étrange, je ne doute pas que tu saisiras l’essentiel.
À vrai dire, nous non plus on a pas compris grand-chose à ce festival, aussi parce que la majorité des participants ne parlaient pas notre langue. Les organisateurs avaient demandé aux festivaliers de venir avec leurs drapeaux, et c’était sacrément impressionnant. T’aurais vu ça, Marie, il y en avait de tous les pays : on a entendu plein de dialectes inconnus à nos oreilles et on a vu des drapeaux du Brésil, du Mexique, de la Colombie, de la Russie, du Japon, de la Chine, de l’Australie, de l’Algérie, de la Turquie, de la Norvège, de la Suisse, de la Belgique : 92 nationalités représentées, selon les organisateurs ! C’est beau, ce mélange, cet antiracisme, et d’ailleurs ça a même ému l’élu d’extrême droite d’Échirolles Alexis Jolly, qui a tweeté sa satisfaction : « Très belle opportunité que le #TomorrowlandWinter pour notre région, particulièrement pour l’Isère et l’Alpe d’Huez ! Ce gigantesque festival connu du monde entier contribuera à donner une image moderne, jeune et dynamique à notre territoire ! » Voir un élu du Rassemblement national aimer une événement où il y a tant d’étrangers, c’est plutôt rare Marie. C’est que ces étrangers ont une grande qualité : ils ont de l’argent.
Un festival « cashless » très cher
Le « pass 4 jours » Tomorowland comprenant le logement dans une petite chambre, l’accès aux remontées mécaniques et aux concerts coûte 685 euros. C’est le minimum : sur Internet on ne trouvait pas de billet qui se revendait à moins de 900 euros. Et je ne parle pas des logements dans des chalets qui peuvent se louer des milliers d’euros la nuit. Le Daubé (10/03/2019) a rencontré deux américains avec « chemise en soie Versace que l’on devine sous leur manteau de fourrure » qui « nous livrent sans complexe, verre de whisky à la main, qu’ils ont déboursé 10 000 euros pour se brûler les ailes ici et vivre à fond leur “first” Tomorrowland ».
Aux frais du pass, il faut rajouter la nourriture et l’alcool. Là aussi c’est pas donné : au bar de la Grande Sure, comme dans tout le festival, la canette de bière de base était à plus de quatre euros, la Leffe à 7 euros, le magnum de champagne à 214 euros. Face à nous, il y en avait quatre qui descendaient un magnum de rosé : 80 euros la bouteille. 685 euros, plus de la nourriture et des boissons hors de prix, ça donne quatre jours à minimum mille euros, sans compter le transport.
Je te rassure Marie, nous on a rien bu. C’est pas qu’on avait pas envie, c’est qu’on pouvait pas. Le festival Tomorrowland est un festival entièrement « cashless », sans monnaie. Tous les paiements s’effectuent grâce à un bracelet porté par chaque festivalier et débitant des « pearls », la monnaie du festival. Pas de liquide, un suivi parfait des habitudes de consommation de chacun, des écrans et des machines partout : c’est aussi ça le « pays de demain », le Tomorrowland.
Marie, tu as vécu il y a un siècle, et je te parle du futur, du « pays de demain ». Ça fait peut-être loin, mais nous on est venu pour ça : observer ce qui nous attend. À Grenoble, on entend beaucoup de blabla pompeux sur la « ville de demain », sans plus y prêter attention tellement c’est creux. Tomorowland n’a a priori rien à voir avec le prêchi-prêcha de la transition : considéré comme un des plus gros festivals de musique électronique du monde, il attire chaque été plus de 200 000 personnes en Belgique. Cette édition à l’Alpe d’Huez est sa première version hivernale, et devrait être reconduite pour les quatre prochaines années au même endroit.
Dans le « pays de demain », il faut en tous cas avoir les moyens. Si cet événement est cosmopolite, il est surtout très homogène socialement, étant destiné à la jeunesse dorée du monde entier. Dorée parce que n’ayant pas de problème d’argent. Et dorée aussi parce que presque tous les festivaliers ont une plastique correspondant aux canons de la beauté actuelle.
Des fourrures clignotantes, mais pas d’idées
Qu’il est loin le temps des goitreux, Marie ! À ton époque, les villages comme Huez avaient une proportion importante, un quart, peut-être un tiers, d’habitants considérés comme des crétins des alpes, généralement petits, avec un gros goitre pendant de leur cou, et souvent incapables d’aligner trois mots de suite. Les écrivains parcourant les Alpes à cette époque ne comprenaient pas comment des paysages aussi sublimes pouvaient cohabiter avec des êtres aussi laids. Victor Hugo ressort ainsi perplexe d’une de ses premières rencontres avec un crétin : « Ô abîme ! Les Alpes étaient le spectacle, le spectateur était un crétin. Je me suis perdu dans cette effrayante antithèse ; l’homme opposé à la nature : la nature dans son attitude la plus superbe, l’homme dans sa posture la plus misérable. »
Aujourd’hui les montagnes sont toujours belles, quand elles ne sont pas hérissées de remontées mécaniques et de canons à neige. Les goitres ont laissé la place à d’autres laideurs, les combinaisons fluos et les perches à selfie, omniprésentes pendant le festival. Ceux qui peuvent aller dans les grandes stations comme l’Alpe d’Huez sont des winners bien portants. À Tommorowland, les corps des festivaliers – beaux et belles gosses au visage lisse, aux seins éventuellement refaits, au sourire triomphant, et au regard méprisant – racontent l’entre-soi de la jeunesse dorée. « This is your life, make it legendary », c’est un des slogans de Tomorrowland que je pourrais essayer de te traduire comme ça : « c’est ta vie, fais-en une légende ». Pour construire leur légende, nombre de festivaliers se déguisent : pas avec des tenues récupérées et bricolées, mais avec des déguisements déjà tout fais, des combinaisons d’animaux, de belles fourrures avec des trucs qui clignotent dessus. À Tomorrowland, tout est permis, à part venir avec des idées : « L’organisation se réserve le droit de refuser ou annuler l’accès au festival Tomorrowland à tout moment. Les vêtements et/ou apparences physiques visibles exprimant un mouvement politique, social ou de groupe sont interdits. (...) Pendant le festival, il est interdit de distribuer des “flyers” et d’accrocher des affiches à l’intérieur et à l’extérieur du site de Tomorrowland. » Ici, on n’affiche pas nos opinions parce qu’on est tous frères : « Unissez-vous avec 30 000 People of Tomorrow du monde entier », comme proclament les organisateurs. Si les flyers sont interdits, la publicité est par contre autorisée, notamment pour les partenaires de l’événement : North Face, Lipton, Red Bull, Carrefour ou le Crédit Mutuel, par ailleurs propriétaire du Daubé. Le quotidien local a d’ailleurs réalisé tous les jours des comptes-rendus très enthousiastes de cette grande messe pour « happy-fews ».
Au début du XXème siècle, il y avait quelques trois cents habitants à Huez, et les visiteurs ne devaient pas se bousculer. Ce festival rassemblait plus de 25 000 personnes. Tu t’imagines, Marie ? Il y en avait de partout. Après le bar de la Grande Sure, on est un peu descendu puis remonté en face, au restaurant Chantebise, situé sur le chemin du lac Blanc. Là il y avait une véritable scène, du gros son, et des centaines de personnes sur le dance floor plus ou moins derrière de grands murs de neige. Un peu plus loin, à la Folie douce, une autre scène, à peu près identique. Ça fait longtemps que chamois et bouquetins ont déserté ces pentes, avec les télésièges, les ratracks, les touristes. En rajoutant les décibels de scènes électroniques en pleine montagne, tu penses bien qu’ils ont dû aller se planquer bien plus loin que le Pic blanc.
Certains festivaliers viennent juste pour la musique, d’autres en profitent pour faire du ski, voire pour prendre des cours : « Les pulls rouges s’adaptent à tous les cas de figure, à l’image de ce “Chinois qui a pris deux moniteurs, un pour l’enseignement, un autre pour le relever en cas de chute, sans oublier ses deux gardes du corps” » (Le Daubé, 13/03/2019). C’est pour ce genre de clientèle que la région Auvergne Rhône-Alpes a débloqué 400 000 euros, une somme qui a créé un petit scandale l’année dernière. Plutôt que d’aider de petits festivals, ou des séjours de gamins pauvres au ski, par exemple, Laurent Wauquiez et sa bande ont préféré grassement subventionner Tomorrowland. Encore une mesure d’assistanat à la jet set mondiale.
Hélicoptères, avions & Mère Nature
Quand le soleil est passé derrière la crête, on est redescendu au village, enfin à la petite ville, parce que les quelques cabanes en bois que tu connaissais ont laissé place à des centaines de maisons, des immeubles, des hôtels, des magasins. Et pour ce festival, des nouvelles structures, énormes, ont poussé comme des champignons, en quelques semaines, occasionnant un ballet de camions et d’engins de chantier : « 700 personnes mobilisées pendant cinq semaines pour que tout soit prêt ». Ici, un énorme entrepôt chauffé pouvant accueillir 10 000 personnes. Là, des grandes scènes aux décors fantastiques. À côté, un chapiteau entièrement rempli de chiottes, un autre avec des casiers pour que les festivaliers puissent poser leurs affaires.
Bref, un beau gaspillage d’énergie, pour amuser le gotha mondial pendant quatre jours. Et encore Marie, il faut aussi rajouter les hélicoptères qui tournent sans arrêt, pour filmer, hélitreuiller du matériel pour les scènes d’altitude (qui sont pourtant accessibles en téléphérique), ou transporter de riches clients. Et les projecteurs qui éclairent la montagne, les machines à fumée, les énormes feux d’artifices tirés pendant les sets des DJ.
On vit une époque assez consternante, Marie, où beaucoup de gens assurent défendre des causes qu’ils combattent au quotidien. Sur le site de Tomorrowland, on peut ainsi trouver ces injonctions au recyclage des déchets en jetant « dans la bonne poubelle aux nouvelles îles de tri » : « respectez les terres sacrées de Tomorrowland et Grand Domaine de ski et respectez la Mère Nature. » Je te jure, Marie , ils osent écrire ça, ils osent demander de « respecter la Mère Nature » quand leur festival occasionne toutes ces nuisances, en plus des millions de kilomètres parcourus par les festivaliers en avion ou en bagnole (pour y rester quatre jours). Un avion spécial, affrété par Brussels Airlines et peint aux couleurs de Tomorrowland, a même fait plusieurs fois l’aller-retour avec l’aéroport de Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs.
Nous, on aurait finalement pu venir jusqu’à l’Alpe d’Huez en voiture. Les « 150 gendarmes mobilisés » pour sécuriser l’événement ne bloquent pas la route, et les taxis suisses peuvent tranquillement amener leurs clients venant d’atterrir à l’aéroport de Genève. Ce qui est par contre bien gardé, c’est le site du festival, tout un quartier de l’Alpe d’Huez privatisé, avec des dizaines de vigiles contrôlant et fouillant aux deux entrées. Mélanie Turleque, une des organisatrices, annonçait : « Le but du jeu, c’est de faire un événement 100 % sécuritaire… » (Place Gre’net, 07/03/2019).
Marie, peut-être as-tu des descendants qui habitent toujours dans ce village. En tous cas, ces bouleversements de leur village ne semblent pas trop déranger les quelques autochtones croisés. Une gérante de bar regrette surtout le timing : « Ce festival a atterri ici parce que le maire et le président de la Sata (société d’aménagement touristique de l’Alpe d’Huez) l’ont voulu. Les commerçants, on est pas pour, parce qu’il y a moins de monde dans les bars vu que tout le monde consomme au festival, alors que mi-mars, c’est normalement une semaine qui marche très bien. Certains restaurateurs ont pu faire un stand à l’intérieur du festival, mais ils doivent reverser 50 % de leur chiffre d’affaires à Tommorowland ! Alors le maire nous dit que ça fait une grosse pub dans le monde entier, mais ça aurait quand même été mieux de le faire fin avril, quand il n’y a plus personne ! » Autour des grilles du festival, deux hommes et une femme se baladent en souriant : « Au début on avait peur du bruit et de la drogue, mais là on voit que ça se passe bien. C’est bien organisé, les festivaliers sont gentils. » Officiellement, il n’y a pas de drogue ici. Des affiches « tolérance zéro aux drogues » sont placardées et le festival dit « appliquer une politique de tolérance zéro absolue concernant les stupéfiants ». Un affichage rassurant mais qui doit être bien loin de la réalité. Le 13 mars, un dealer hollandais s’est fait arrêter à Huez avec « 93 grammes de cocaïne, 740 comprimés d’ecstasy, 26 sachets de MDMA, 44 comprimés de LSD et 14 ampoules de GHB et 11 000 euros en espèces » selon Le Daubé (voir l’article Perchés comme jamais).
Tout schnouf sur les pistes
Juste avant d’aller à l’Alpe d’Huez, on avait un peu traîné dans le quartier Mistral, théâtre de violentes émeutes suite à la mort de deux adolescents. Deux décors qui n’ont rien à voir, quoique reliés par cette question de la drogue. Quand on parle du trafic de drogue, on pense aux « quartiers », mais pas à toutes ces stations où « il y a parfois plus de poudreuse sur les tables que sous les skis », selon l’ancien procureur de la République d’Albertville (Libération, 9/02/2018). On n’évoque pas ces consommateurs bien sous tous rapports, ces jeunes et moins jeunes branchés que tous les promoteurs de territoire veulent attirer pour qu’ils viennent dépenser leur fric chez eux. Les guerres des gangs et règlements de compte sous la nappe de pollution sont pourtant le revers de la médaille de ces orgies en altitude. Mais là-haut, on s’en fout de la misère du bas : on pense juste au fun. Un autre slogan bisounours de Tomorrowland, c’est « Live Today, Love Tomorrow, Unite Forever ». « Unite » avec qui ?
Finalement, on a trouvé un passage entre deux grilles : il suffisait de les écarter un peu. On a hésité un moment devant en se disant que c’était trop facile, et puis on est rentré sans problème. D’autres avaient du passer avant nous, certainement des saisonniers, les exploités des stations gagnant en un mois ce que d’autres claquent en quatre jours pour venir à ce festival. Alors on a vu les scènes fantastiques, les loges VIP, les chalets avec de la bouffe pour tous les goûts (« frites belges », « burgers », « galettes », « tartiflettes », « thai food », « italian food », etc.), et puis les bars énormes avec plus d’écrans que d’humains, où il faut commander sur une tablette, comme au Macdo. On a écouté ce DJ banal dans le grand entrepôt baptisé Garden of Madness monter sur ses platines, brailler « Put your fucking hands in the air », et tout le monde obtempérer sagement. Au milieu du dancefloor, il y avait un petit endroit à moitié fermé, un « exclusive box », une sorte de carré VIP. À l’intérieur, une trentaine de Chinois, fumant des cigares et buvant du champagne.
La Chine ! Une vraie mine d’or pour tes successeurs, les promoteurs de l’Alpe d’Huez. Le Daubé (19/02/2018) nous apprend que « la station s’ouvre de nouveaux horizons avec Tomorrowland Winter, un festival qui la replace sur la carte du monde. Et les nouveaux pôles de croissance sont à l’étranger, notamment en Chine, où la pratique du ski explose avant les J.O de 2022 ». Anthony Guzman, directeur marketing et commercial de la Sata, s’émerveille : « L’Alpe d’Huez accueille des prescripteurs chinois, qui sont des relais d’opinion sur le marché du ski en Chine. On reçoit beaucoup de Chinois, d’éduc tour, de tour opérateurs qui viennent découvrir la destination. On s’inspire de leurs remarques pour améliorer notre produit sur le marché. Et puis on va sur place, en Chine, pour aller à la rencontre de nos clients et des principaux pôles émetteurs de ski chinois. »
Après quelques heures à errer dans ce temple du fun, on ne peut toujours pas boire et on s’ennuie, ceci expliquant sans doute cela. Alors on rechausse nos skis sans attendre la fin de soirée pour remonter sur la Grande Sure, en esquivant les dameuses.
Marie Muller, il paraît que c’est toi qui a introduit le ski à l’Alpe d’Huez. Tu étais institutrice, et la légende dit que dans les années 1900 tu as gagné une paire de skis, à l’époque ils étaient fabriqués à partir de planches de tonneau. Tu les aurais ramenés à l’Alpe, où tu aurais initié des gamins aux joies de la glisse.
Je ne sais pas ce que tu penserais de toute cette évolution, de ta montagne et tes alpages présentés comme un « produit sur le marché ». Peut-être serais-tu fière de cette métamorphose, de cette opulence, ces pylônes, ces télécabines, ces ratracks, ces hôtels de luxe, ces carrés VIP. De ton village qui est parvenu à tirer son épingle du jeu de la guerre d’attractivité entre les territoires, les anciens paysans transformés en riches propriétaires fonciers. De cette fuite en avant permanente pour attirer plus de gens. Sais-tu qu’ils veulent même prochainement installer une liaison en télécabine avec la station des Deux Alpes (à ton époque c’était les alpages de Mont‑de-Lans et de Venosc) ? Que le but de ce projet mégalo est de devenir une des plus grandes stations du monde avec plus de 800 kilomètres de pistes et un prix de forfait qui devrait aussi battre des records ?
À ton époque, les gens avaient faim et froid, dit-on, maintenant ils ont une bonne connexion internet et du goudron à la place de la terre battue. C’est quand même beaucoup mieux maintenant. Qu’est-ce que t’en penses Marie ?