Jean François Clappaz, le jardinier artificiel
Après une longue carrière dans l’industrie à la tête de l’entreprise familiale Clappaz SARL, œuvrant dans la mécanique de précision, Jean-François Clappaz a décidé de se reconvertir. Une décision radicale afin de tout donner pour son idéal : faire pousser du béton et avoir la satisfaction de nourrir les entreprises du territoire. Après un stage de « chargé de développement économique d’un pôle aéroportuaire » chez Elegia, il a trouvé un terrain pour lancer son activité : la vice-présidence à l’économie et au développement industriel de la communauté de communes du Grésivaudan. Et depuis : ça pousse ! Récit d’un changement de vie réussi.
« L’objectif est de poursuivre l’extension d’Inovallée. » Jean-François Clappaz a la satisfaction du devoir accompli, quand il annonce, le 27 mars dernier à L’Essor, la création « d’une nouvelle zone d’activité économique au lieu-dit Secrétan à Montbonnot-Saint-Martin », la commune dont il est maire adjoint. Au menu : du béton, de la tôle ondulée et des parkings. Ce sera toujours bien mieux que les 10 hectares de terres agricoles que cette zone d’activité va artificialiser. Vu que la communauté de communes n’est pas propriétaire des terrains, il y a encore quelques petits problèmes réglementaires à régler. Mais depuis le temps qu’il officie en tant que bétonneur en chef du Grésivaudan, les savoir-faire de Jean-François Clappaz rivalisent d’ingéniosité. « Nous sommes en train de monter la procédure de déclaration d’utilité publique pour avoir cette arme supplémentaire afin de convaincre les propriétaires réticents à la vente, en espérant ne pas devoir aller jusqu’à l’expropriation et finaliser les acquisitions foncières. » L’expropriation est une technique jardinière ancestrale, consistant à enlever les mauvaises herbes pour faire place à la culture du béton. Néanmoins, depuis peu, des techniques alternatives émergent : la déclaration d’utilité publique en fait partie, ainsi que l’éducation à l’environnement économique, ou l’apprentissage de la nécessité d’aménager des espaces afin que les zones d’activité économique puissent se reproduire en toute tranquillité, loin des prédateurs agricoles.
Jean-François Clappaz est très porté sur l’expérimentation de nouvelles formes d’agencement de ses zones d’activités, où toutes les différentes cultures cohabitent en synergie. Une sorte de permaculture du béton : « Secrétan sera une zone qui va se verticaliser un peu. On ne va plus faire comme avant : vendre 10 000 m2 pour installer 5 000 m2 de bâtiments et 5 000 m2 de stationnement et espaces verts. Nous sommes en train d’écrire le cahier des charges mais j’ai déjà demandé que l’on ait une densification optimum. De plus, nous allons construire un parking silo de sorte qu’on vendra des places de parking en même temps que le foncier. »
Si la zone de Secrétan est sa dernière œuvre, ce n’est bien entendu pas la seule ! En décembre 2022, il chantait les louanges de l’extension de la zone d’activités du parc des Fontaines à Bernin. « L’objectif est bien de répondre aux besoins des industriels au sens large : les deux fleurons de notre territoire mais aussi les nombreux sous-traitants » (L’Essor, 28/12/2022). Objectif affiché : mettre hors d’état de nuire 11 hectares de terres agricoles... En février 2023, le vice-président au développement industriel du Grésivaudan inaugurait le Techniparc Grande île de Villard-Bonnot « nouvel espace d’activité ». À cette occasion, il confesse un de ses secrets de fabrication : « Le Grésivaudan a pour habitude de vendre son foncier aux industriels » (Le Daubé, 27/02/2023). Tout s’explique ! Voilà pourquoi on peut observer ces belles surfaces artificialisées, ces magnifiques entrepôts et ces superbes unités de production... Mais en l’occurrence, pour Techniparc Grande île, ce n’est pas la recette qui a fonctionné : cette fois-ci « c’est un opérateur qui a acheté le terrain ». Et pourquoi pas ? L’important, j’ai envie de dire, c’est le résultat et pour cette zone, il est là, incontestable, majestueux : les 80 hectares de terres agricoles du secteur Grande île de Villard-Bonnot ne sont plus qu’un lointain souvenir. À la place, un charmant ensemble de bâtiments rectangulaires, composteurs industriels (le fameux Terralys dont les lecteurs du Postillon se souviennent – voir n°42 et 43), immenses entrepôts logistiques comme celui de GLD (Grenoble logistique distribution) et donc cette zone de Techniparc. Ici aussi, les nouvelles techniques de culture du béton font des merveilles, selon Jean-François Clappaz qui travaille à la complémentarité des espèces : « C’est un projet assez remarquable puisque sur un terrain d’un peu plus de 2 hectares, qui a permis de disposer de 15 à 16 000 m2 constructibles, ont été érigés deux bâtiments de 4 000 m2, ce qui nous fait un programme qui a un taux d’occupation du sol de l’ordre de 50 %. » 50 % de bâtiments, 50 % de parkings : c’est le taux préconisé pour un bon développement permaculturel des zones d’activités.
Et le Grésivaudan nord ? Pensez-vous que Jean-François Clappaz l’oublie, à l’instar d’un jardinier qui négligerait de cultiver ses terres les plus mal exposées ? Pas du tout ! Même si elles sont loin du centre du jardin, le vice-président au développement industriel ne les abandonne pas. Ainsi défend-il mordicus la zone d’activité de Grignon à Pontcharra, contestée par un collectif d’habitants voulant que ces 8 hectares stagnent dans un rôle agricole : « La zone d’activité de Grignon rentre tout à fait dans le schéma directeur de la collectivité territoriale, à savoir rééquilibrer le territoire au profit de sa zone Nord » (Le Daubé, 28/11/2020). Autant de béton au sud qu’au nord ! Guidé par des principes égalitaristes, mais aussi par ses lectures défendant la nécessité d’enrichir les terres d’un maximum de ciment pour arriver à une bonne fertilisation des industries, Jean-François Clappaz ne compte pas ses heures pour développer ses cultures.
Bien entendu, il doit faire face à quantité d’obstacles institutionnels, comme par exemple les Périmètres de protection renforcée des espaces naturels et agricoles (PAEN), dont un prototype a été installé au Touvet depuis 2018. Heureusement Jean-François Clappaz se bat pour faire face à cette menace pour la biodiversité cimentière. Au conseil communautaire de la com’ com’ du Grésivaudan (26/04/2021), on apprenait qu’il était nommé au comité de suivi du PAEN, ce qu’il justifiait ainsi : « C’est une réflexion qui est absolument capitale parce que c’est arriver à articuler le besoin qu’on a de sanctuariser certains territoires à vocation agricole. Effectivement la vallée est une ressource fondamentale compte tenu de la qualité de ses terres agricoles. Mais c’est aussi le seul endroit où on peut implanter de l’activité économique en zone, de dimension importante. » Et si on ne peut plus implanter de l’activité économique de dimension importante, que se passera‑t‑il ? La destruction d’habitats naturels des industries sera l’étape suivante, avec la perspective d’un terrible déclin des différentes espèces capitalistiques.
Heureusement, notre jardinier artificiel veille au grain. À l’occasion de l’annonce de l’extension de STMicro l’été dernier, il détaillait ses nobles objectifs : « J’ai demandé que ce site de la microélectronique française dans le Grésivaudan soit frappé d’extra-territorialité en matière de ZAN (Zéro artificialisation nette). Avec un objectif : faire en sorte qu’il ne soit pas impacté dans son évolution future par les mètres carrés indispensables à l’extension du site » (Le Daubé, 13/07/2023). Le Zéro artificialisation nette est un nouveau parasite menaçant grandement la reproduction des zones industrielles. Contre ces prédateurs invasifs, Jean-François Clappaz parvient à trouver des traitements de contournement législatifs efficaces, garantis sans pesticides illégaux. Que de la magouille bio !