C’est le premier vœu du maire de Crolles pour cette année 2023, énoncé en public le 13 janvier dernier : « La tenue d’une conférence sur la gestion de l’eau avec, autour de la table, le Grésivaudan, la Métropole, l’Oisans et le Voironnais, pour ne pas laisser la place aux alarmistes qui laisseraient entendre que nos industriels volent l’eau des habitants. L’eau a fait la richesse et le développement économique de ce territoire, nous devons protéger cette ressource mais aussi accepter de la partager au bénéfice de tous. » (crolles.fr, 17/01/2023).
Dans cette intervention comme dans d’autres, on sent une pointe d’agacement de Philippe Lorimier, maire de Crolles et vice-président en charge de l’environnement, de l’énergie et de l’innovation au conseil communautaire du Grésivaudan. Lors d’une séance de ce conseil le 30 Janvier 2023, il met en garde : « Je ne voudrais pas que certains activistes qui se sont manifestés à Grenoble en fin d’année dernière devant les locaux de la SPL [société publique locale des Eaux de Grenoble] nous fassent avaler une logique simpliste qui serait “des légumes, pas des puces”. Voilà. Donc je crois qu’il faut être en capacité politiquement de répondre. »
La manifestation à laquelle fait référence Philippe Lorimier, c’est celle du 14 décembre dernier organisée par le collectif Stop Micro, créé cet automne, notamment en écho aux différents articles des Postillon n°66 et 67 sur les besoins grandissants en eau de l’industrie de la microélectronique dans le Grésivaudan. L’été dernier, l’annonce en grande pompe par le président Macron de l’extension de l’usine de STMicro (arrosée par 2,3 milliards d’euros d’argent public) a eu lieu en pleine sécheresse. Cette usine et sa voisine Soitec, produisent toutes deux des puces électroniques pour les bagnoles à « smart driving », les téléphones, les objets connectés ou les satellites de Space X, la fabrication de ces puces étant très gourmande en eau. D’ici l’année prochaine, elles vont consommer 29 000 m3 par jour, soit l’équivalent de 12 piscines olympiques ou 700 000 douches.
La manifestation du 14 décembre dernier a rassemblé une soixantaine de personnes sous le mot d’ordre « De l’eau, pas des puces ». Un nombre pas ridicule pour une lutte naissante mais pas très conséquent pour une métropole de 400 000 habitants. Pourquoi cette relativement faible mobilisation fait tant réagir le maire de Crolles ? Parce que dans la région grenobloise (comme ailleurs à différentes échelles), les sujets de la consommation et de la pollution de l’eau ont tout pour être explosifs.
L’été dernier, l’ensemble du département de l’Isère a été « placé » au niveau 4 sur 4 de crise sécheresse par le préfet de l’Isère. Ceci entraînant notamment l’interdiction totale d’arroser les pelouses, massifs fleuris ou espaces verts ou l’interdiction entre 9h et 20h d’arroser les potagers privés. Les agriculteurs étaient également rappelés à l’ordre et, entre autres mesures et déclarations obligatoires, priés de réduire de 50 % l’arrosage des cultures maraîchères (communiqué de presse du 17/08/2022). Dans ces communiqués, la préfecture incitait « chaque consommateur d’eau à être particulièrement attentif à l’utilisation de cette ressource » mais dans le même temps, aucune restriction ne s’appliquait aux industries Soitec et STMicro engloutissant à l’époque environ 20 000 m3 par jour. Pour la préfecture, le choix est clair et un peu « simpliste » comme dirait Philippe Lorimier : tout pour les puces, beaucoup moins pour les légumes.
La chimie a pourri la nappe
Le maire de Crolles a raison : l’eau a « fait » la richesse et le développement économique de ce territoire. Sans sa présence abondante dans le coin, nous n’aurions pas la joie de vivre aujourd’hui dans une région sururbanisée, où les pics et plateaux de pollution s’enchaînent. La « houille blanche », (c’est son nom local, en référence à la « houille noire », le charbon) a permis l’invention de l’hydroélectricité et l’implantation de quantité d’usines le long des rivières locales s’alimentant de l’excellente eau du réseau et y rejetant leurs pollutions – une histoire maintes fois racontée dans ces pages et dans d’autres.
C’est notamment grâce à cette « houille blanche » que des usines chimiques se sont implantées pendant la Première Guerre mondiale à Pont-de-Claix et Jarrie, dans le but de produire le fameux « gaz moutarde » envoyé sur le front. Plus d’un siècle d’histoire, de charmantes productions (après le gaz moutarde, il y eut notamment « l’agent orange », un herbicide pulvérisé par les Américains sur les forêts vietnamiennes) et des traces indélébiles pour la « richesse de ce territoire ». Dans notre dernier numéro nous documentions la présence de millions de tonnes de produits chimiques dans la forêt de Champ-sur-Drac, sous un parc municipal ou à proximité immédiate de la plateforme chimique. Ces déchets abandonnés par l’entreprise PCUK / Arkéma dans les années 1950 et 1960 se décomposent peu à peu dans le sol avec l’aval des autorités préfectorales, malgré la présence de la nappe phréatique à proximité.
Depuis, de nouveaux éléments sont venus détailler à quel point les industriels ont « enrichi » le territoire. En décembre 2022, « l’étude de zone du sud-grenoblois », réalisée sur 10 ans, est publiée par la Préfecture de l’Isère. On y apprend la présence de dioxine dans les sols des communes environnant les plateformes chimiques de Pont-de-Claix et de Jarrie. La Préfecture de l’Isère adresse une série de recommandations aux riverains : « ne pas laisser les enfants jouer dans la terre », « retirer ses chaussures en venant du jardin », « préférer le nettoyage humide des sols », etc. Pour les 500 à 700 personnes habitant à proximité immédiate, cela va jusqu’à la non-consommation des produits animaux ou végétaux… Ça n’empêche pas Mathias Peyre, chef de l’unité départementale de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) de se dire « plutôt rassuré par cette étude » (Le Daubé, 12/01/2023), qui n’établit pas une hausse significative des cas de cancers. Pour les autorités, la logique est assez « simpliste » : des produits chimiques, pas des légumes. Ni des œufs de poule.
Les services de l’État ont-ils été également « plutôt rassurés » par l’étude du cabinet Antéa et du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sortie en janvier 2023 ? Intitulée « État des lieux de la qualité des eaux des nappes et cours d’eau de l’agglomération grenobloise », cette étude commandée par la Métropole et l’Agence de l’eau est encore plus éloquente. La nappe phréatique FRDG 372, c’est son nom, située sous Grenoble et les plus grosses communes environnantes (Fontaine, Saint-Martin d’Hères, Échirolles) fait partie des « plus polluées de France » titre Le Daubé (26/01/2023). Elle présente une « qualité chimique dégradée en surface et en profondeur en lien avec les nombreuses activités industrielles du secteur » : chlorates, hexachlorobutadiène, PCE, COHV, pesticides, perchlorates, hydrocarbures, etc. Ces joyeusetés sont présentes en quantité sous nos pieds, et pourrissent littéralement l’intégralité de la nappe, rendant cette importante réserve d’eau impropre à tout. On voit à quel point, « le développement économique » a « enrichi » ce bien commun qu’est l’eau. Cette étude sera-t-elle au centre de la table de la « conférence de l’eau » voulue par le maire de Crolles ?
Des projets qui tombent à l’eau
« On avait plein de projets avec la mairie de Grenoble et la Métropole. Mais quand l’étude d’Antea est sortie, ça a été la douche froide ». Julien Bigué est directeur de l’association rivières Rhône-Alpes Auvergne (Arra2), basée à Grenoble. Cette association porte notamment un projet « Eaux Ville Nature » pour « permettre aux habitants des villes de se réapproprier les milieux aquatiques ». « En 2022, on a lancé un appel à partenariat régional avec des villes prêtes à faire de la restauration de rivières avec un volet social, raconte Julien Bigué. Parmi celles qui ont répondu, il y avait notamment Grenoble. On avait identifié trois projets : créer une piscine à la Villeneuve alimentée par l’eau de la nappe, découvrir une partie du ruisseau le Verderet dans le parc Mistral et réaménager une partie des berges de l’Isère, pour favoriser l’accès à l’eau. »
Après plusieurs rencontres enthousiastes avec les élus grenoblois, ceux-ci ont temporisé début janvier, après avoir eu connaissance des résultats de l’étude d’Antéa. « L’étude montre qu’il y a des traces de produits toxiques partout dans la nappe… Les élus ont également stoppé des projets d’agriculture urbaine où ils voulaient utiliser l’eau de la nappe. »
Une information confirmée par Anne-Sophie Olmos, élue de la majorité verte-rouge grenobloise et vice-présidente en charge du Cycle de l’eau à la Métropole. « En plus de l’agriculture urbaine, on voulait remplir les piscines avec l’eau de la nappe pour économiser l’eau potable. L’autorité régionale de santé (ARS) nous a dit que l’eau était trop polluée pour cette utilisation. » Une fois encore, l’État semble faire un choix très clair et simpliste : des produits chimiques, pas de légumes. Et pas de baignade non plus.
Julien Bigué se sent « un peu dépassé » par l’ampleur de la pollution, mettant à mal les projets de « réappropriation des milieux aquatiques » dans l’agglomération grenobloise. « L’eau peut être classée selon trois “qualités” : potable, baignable, agricole. Cette eau-là n’est plus bonne à rien. »
L’eau potable même pas protégée
Jusqu’au XIXème siècle, c’est pourtant cette nappe qui alimentait les Grenoblois, par l’intermédiaire de 500 puits. Comme nous l’apprend le livre Ça coule de source (Direction de l’information de la ville de Grenoble, 1985), on s’aperçoit dès 1822 que cette eau est de plus en plus polluée par « les eaux des égouts, des fosses d’aisance et du rouissage des chanvres ». Le conseil municipal se met à la recherche de nouvelles sources le long du Drac, d’abord le Rondeau, les sources de Dalban et finalement, les captages de Rochefort.
Aujourd’hui, les réseaux de collecte des eaux usées permettent d’éviter les pollutions du XIXème siècle. Mais celles du XXème et du XXIème siècle sont encore plus redoutables et risquent de mettre bien plus longtemps à disparaître. Ce n’est pas demain la veille qu’on pourra se servir de l’eau là où les humains en ont toujours trouvé : sous leurs pieds.
À la fin du XIXème siècle, l’agglomération devient donc complètement dépendante des nappes du Drac et de la Romanche. Leur bon état et leur abondance deviennent objet de préoccupation, alors que le début du XXème siècle est marqué, comme aujourd’hui, par des sécheresses qui abaissent le niveau des nappes. Plus tard les industries chimiques de Pont-de-Claix et Jarrie puisent dans les nappes « leurs besoins d’eau, aussi considérables que ceux d’une grande ville » tout en rejetant dans le Drac « des produits qui ne tardent pas à polluer les puits ». Face à ces constats, une zone protection des captages se met en place progressivement et culmine en 1967 avec une Déclaration d’Utilité Publique (DUP) préfectorale. Mais aujourd’hui, même cette DUP n’est pas respectée...
L’étude d’Antéa se penche aussi sur cette nappe du sud, la dénommée FRDG 371, considérée comme une ressource stratégique et protégée. D’après le système d’évaluation de l’état des eaux (SEEE), elle est jugée « en bon état », parce que moins de 20 % des points de mesure montrent un état dégradé. Concrètement il s’agit de dépassements en benzo(a)pyrène et en hexachlorobutadiène à côté des points de captage. Mais d’autres molécules non prises en compte dans ce SEEE ont été également détectées de façon ponctuelle dans la nappe : BTEX, HAP, bisphénol A et S, chlorates, perchlorates et pesticides. Tout ceci n’est pour l’instant a priori pas dangereux pour la santé, mais prouve quand même que des « transferts de molécules sont possibles » entre les deux nappes, la très polluée et celle de l’eau potable. Dans ce grand mystère du sous-sol, impossible d’assurer dans les conditions actuelles que la nappe de l’eau potable restera « en bon état ». Conclure, comme le fait l’étude, qu’il faut établir un réseau de surveillance bien serré sur la nappe où se trouvent les champs de captage de l’eau potable semble la moindre des choses.
L’origine de ces pollutions n’est un secret pour personne : les activités industrielles passées et actuelles des plateformes chimiques de Jarrie et Pont-de-Claix. Car le plus ahurissant c’est qu’aujourd’hui ces sources de pollution ne sont pas coupées. Arkema Jarrie continue à déverser quotidiennement des tonnes de chlorate et des kilos de perchlorate dans la Romanche (voir notre n°48), à quelques centaines de mètres des champs captants. Comme le lit des rivières n’est pas « imperméable », des polluants déversés dans la Romanche et le Drac peuvent se retrouver dans les nappes en-dessous.
Comment se fait-il que l’État prenne le risque de polluer les réserves d’eau d’un demi million d’habitants ? C’est difficilement compréhensible. La DUP de 1967 stipule que « tout déversement d’eaux usées ou polluées chimiquement est interdit dans la Romanche à l’aval de Vizille et dans le Drac à l’aval du barrage de Notre-Dame-de-Commiers ». Une interdiction que contournent différents arrêtés préfectoraux depuis au moins 1986, les derniers datant de 2007 et 2013.
Cette contradiction administrative reste un mystère, même pour l’élue Anne-Sophie Olmos. « Les rejets sont interdits par la DUP mais autorisés par des arrêtés ! Quand l’étude d’Antéa est sortie, les représentants d’Arkema ont dit lors d’une réunion “on est d’accord pour protéger les champs captants mais les arrêtés nous autorisent à rejeter ici”. C’est incompréhensible que l’outil de protection du champ captant, la DUP de 1967 ne soit pas respecté. J’ai fait des signalements au procureur... »
Un autre militant écolo a tenté d’actionner le levier judiciaire : Raymond Avrillier, ex-élu et habitué des recours. En janvier, il a déposé deux référés-suspension devant le tribunal administratif pour faire interdire ces rejets à proximité des champs captants. Le 3 février, les juges ont rejeté sa demande, excluant « le caractère d’urgence » vu que les rejets en cause existent depuis des dizaines d’années. « Le juge considère que, puisqu’il s’agit d’une longue maladie qui vient seulement d’être révélée, il n’y a pas à prendre “d’ordonnance” de traitement », considère Avrillier, qui est quand même satisfait de son « action préventive » qui devrait, selon lui, faire à court ou moyen terme cesser ces rejets proches des champs captants. « L’alerte a été donnée, ils ne peuvent plus faire comme s’ils ne savaient pas. Il y a quand même une responsabilité légale qui est mise en cause sur la question très sensible de l’eau potable, donc je pense que ça va bouger... »
Le chantier de la dépollution loin d’être entamé
Si jamais cette source de danger pour l’eau potable venait à être stoppée un jour, resterait l’autre nappe « très polluée » et l’épineuse question de sa dépollution. Un vaste chantier qui est bien mal embarqué, selon Anne-Sophie Olmos. « Normalement, selon la directive cadre de l’Union européenne sur l’eau, on est censé atteindre un bon état des eaux en 2027, y compris pour les nappes phréatiques. Pour la nappe de Grenoble on savait déjà depuis 2015 qu’on n’y arriverait pas. Alors on a réalisé une demande de dérogation et commandé l’étude d’Antéa. Une dépollution coûterait plus de 80 millions d’euros et durerait très longtemps. Sauf que, dans les calculs coûts – bénéfices fait par le BRGM, face à ces 80 millions d’euros, on a des usages de l’eau très difficiles à quantifier. Donc on constate la pollution, on a notre dérogation mais pas de plan d’action. » Parce que, en effet, qui payerait ? Les usagers ? Les usines ? « Les industriels sont censés provisionner un fonds pour la dépollution mais ces détails restent confidentiels. Donc en bref, rien n’est fait... »
La vice-présidente métropolitaine à l’eau regrette « le manque de coordination avec l’État », pour ces questions de pollution ou de fourniture en eau des industriels. « La Métropole doit veiller à la bonne utilisation de l’eau, mais ce n’est pas nous qui autorisons les entreprises à pomper plus. Le fait que la Dreal valide de nouvelles demandes sans se coordonner sur la prospective pose un réel souci. »
Parmi les « nouvelles demandes », il y a forcément la future extension de STMicro à Crolles et ses besoins pharaoniques en eau. On avait déjà détaillé dans notre n°66, comment les élus du Grésivaudan « étaient prêts à nous assécher » pour répondre aux exigences des industriels. Si des solutions ont été trouvées pour répondre à l’augmentation de la demande à court terme (voir page suivante), les solutions techniques pour subvenir aux besoins des industriels à long terme (qui devraient – si les extensions de ST et Soitec ont lieu – avoisiner les 40 000 m3 dans quelques années) ne sont pas encore connues. Si le maire de Crolles aimerait un « doublement de la conduite » amenant l’eau depuis le réseau de la Métropole, Anne-Sophie Olmos n’est pas prête à donner son accord. « 29 000 m3 c’est le maximum qu’on peut faire, politiquement et techniquement sur la canalisation actuelle. Pour l’instant, en tant que Métropole, on n’est pas saisis officiellement d’une demande de doublement de la conduite... Dans la DUP de 1967, il y a une limite de pompage journalier. On commence à s’approcher de la moitié de ces limites, dans les champs captants de Vizille et de Rochefort. On ne peut pas dépasser la moitié de ces limites, car s’il y a une grosse casse ou une grosse pollution, il faut qu’un champ puisse compenser l’autre. »
Anne-Sophie Olmos ne semble donc pas souhaiter un développement infini des industries de la microélectronique. Lors de la venue de Macron claironnant l’extension de STMicro, les principaux élus « écolos » du coin (le maire Piolle, le sénateur Gontard, les députés Iordanoff et Chatelain), avaient pourtant « salué cette annonce réjouissante » (voir nos numéros précédents). S’agit-il d’une dissension parmi ces élus écolos ? Ou d’un des travers classiques des politiciens écolos, préférant gérer les nuisances plutôt que de s’attaquer à leurs causes ?
Toujours est-il que la vice-présidente de l’eau souhaiterait « qu’on priorise les besoins » : « La communauté de communes du Pays voironnais manque aussi d’eau pour ses habitants. Elle nous a demandé de leur en fournir, notamment pendant les périodes de sécheresse. On est en train de faire des travaux pour répondre à cette demande. Pour se coordonner et prioriser les besoins, il y aurait besoin d’états généraux à l’échelle de la grande région grenobloise. » Voilà donc un point commun avec le maire de Crolles, qui a appelé à une « conférence de l’eau ». Lui n’arrête pas de plaider pour « mieux partager » cette ressource, à savoir comment en apporter plus pour les industriels. Toujours lors de cette séance, il a plaidé pour mieux exploiter « la réserve d’eau qui existe dans l’Oisans » en ressortant un vieux projet du syndicat intercommunal des eaux de la région grenobloise (Sierg) : faire venir de l’eau depuis la vallée de l’Eau d’Olle par un tunnel gigantesque sous le massif de Belledonne qui ressortirait au niveau de Domène. « Je ne sais pas si c’est la réponse, une réponse, mais il me semble important que ces éléments soient regardés et étudiés pour que dans le cas où on en aurait besoin on soit en capacité d’agir et d’agir rapidement. » Prêt à tout pour continuer tête baissée dans la voie d’un « développement économique » infini.
Dans ce même conseil communautaire, le vice-président délégué à l’eau François Bernigaud a longuement présenté la « stratégie pour le territoire pour l’eau ». « J’ai choisi le titre “préserver un commun infiniment précieux”. On va exploiter cette ressource avec précaution. Ce sera avec un souci d’économie, de sobriété et de soin. » De grands mots pour faire passer le terrible constat qu’il présenta ensuite. Si dans le monde, l’eau est utilisée à 10 % pour des usages domestiques, à 70 % pour l’agriculture et à 20 % pour l’industrie, le rapport est complètement inversé dans le Grésivaudan : 29 % pour le domestique, 70 % pour l’industrie et seulement 1 % pour l’agriculture. Une illustration claire d’une vérité « simpliste » : des puces, pas des légumes.
Si ces éventuels « états généraux » ou « conférence de l’eau » ont lieu un jour, il faudrait pour les préparer réaliser une étude (inexistante selon nos recherches) sur la nappe du Grésivaudan, observer à quel point trente ans de rejets pollués dans l’Isère par STMicro et Soitec (équivalent à des centaines de tonnes de produits chimiques) ont dégradé le milieu aquatique (voir ici ).
Dans la vidéo « Vos questions au maire n°11 » du 13 septembre 2022, le maire de Crolles répond à un de ses administrés lui posant la question du sens de gaspiller autant d’eau pour des « futilités électroniques » : « On peut discuter de la futilité de l’électronique, je vous engage à tous jeter vos ordinateurs dans l’Isère et à tous jeter votre téléphone portable à l’Isère, à ce moment on pourra commencer à entamer des discussions un peu plus sérieuses. » Des propositions à étudier véritablement, même s’il faudrait plutôt viser des points de collectes de déchets électroniques que l’Isère : elle est déjà assez polluée comme ça.
Nous avons contacté la Préfecture et la Direction régionale de l’eau, de l’aménagement et de l’alimentation (Dreal) dix jours avant le bouclage de ce numéro pour avoir leur réaction aux éléments amenés dans cet article. La Dreal nous a répondu deux jours avant le bouclage : « Nous avons bien reçu votre demande et sommes en lien avec la préfecture quant aux suites à donner. » Malgré une relance rappelant nos délais, nous n’avions reçu aucune réponse à la date du bouclage. En attendant peut-être une suite au prochain numéro.
Même « l’autorité environnementale » est critique...
Dans un document rendu public le 17 février 2023, la MRAE (mission régionale d’autorité environnementale) d’Auvergne-Rhône-Alpes donne son avis sur l’extension de STMicro. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la multinationale est appelée à revoir sa copie. Extrait : « Le dossier présente de nombreuses lacunes qui rendent difficile la compréhension du projet et les impacts sur l’environnement de ce dernier. En particulier, le projet lui-même n’est pas suffisamment décrit, l’état initial relatif à la consommation d’eau, l’état des ressources en eau, les rejets aqueux et atmosphériques, et le niveau de bruit n’est pas assez détaillé et le niveau d’enjeu retenu pour ces thématiques semble sous-estimé au regard des enjeux et des impacts du site existant. (…) En l’état le dossier ne permet pas d’appréhender correctement les incidences du projet sur l’environnement, et ne permet pas de conclure à l’absence d’incidences négatives notables sur l’environnement du projet. »
Obligé de « pomper » la nappe !
On sait de longue date que le site d’Arkema Jarrie risque de polluer la nappe où se trouvent les champs de captage d’eau potable. Déjà un arrêté de 1976, celui qui autorisait par ailleurs l’usine à prélever et déverser « l’eau nécessaire au refroidissement de ses appareils de fabrication », enjoint l’entreprise à « poursuivre sans interruption les pompages permanents qu’elle effectue dans la nappe phréatique » en raison des risques de pollution pour l’eau qui alimente Grenoble. En gros l’usine crée un vide de pression de son côté de la nappe phréatique pour être sûre que les polluants vont s’écouler vers la nappe de la ville et non vers celle qui fournit l’eau potable. Évidement, comme le signale l’étude d’Antea : « Il n’est pas à exclure que des transferts soient possibles au sein entre les masses d’eau FRDG372 et FRDG371, sur de brèves périodes lors de l’arrêt du turbinage de la centrale de Champ II. » Comme le 10 novembre dernier : ce jour-là des explosions dans l’usine avaient entraîné le confinement pendant une heure et demi des habitants dans le kilomètre alentour et une coupure d’électricité sur tout le site… Combien de polluants étaient passés entre les deux nappes ?
À la recherche des points de rejet perdus
C’est étonnant comme certaines informations capitales sont cachées. Il est par exemple très compliqué de trouver des indications géographiques des points de rejets des effluents pollués d’Arkéma dans la Romanche, ceux qui sont suspectés de polluer la nappe de l’eau potable. Dans le dernier arrêté préfectoral autorisant ces rejets, datant de 2013, il n’y a rien de mentionné. Dans son recours devant le tribunal administratif, Raymond Avrillier somme le préfet de rendre publiques ces informations, sans résultat.
Il faut fouiller encore plus, notamment sur le site gouvernemental Géorisques, où l’on trouve les arrêtés et autorisations des sites industriels à risque. Elles ne sont pas vraiment organisées par date, les plus anciennes ne sont qu’en format image (échappant donc aux recherches par mots-clés) mais, finalement, l’information recherchée s’y trouve dans des vieux arrêtés (arrêté 86-5240) : l’ensemble des eaux en provenance d’Arkema est collecté dans un réseau unitaire et se rejette au « milieu récepteur la Romanche », par trois points de rejet, aussi appelés « émissaires » : le « 2A » au « pk 53,647 », le « 3A » au « pk 53,527 » et le « 4A » (qui recueille aussi les effluents de Framatome) au « pk 52,800 ». Bigre, c’est pas encore très clair... En fait « pk » signifie « point kilométrique » – celui de la rivière et non de la route qui passe à côté. D’accord, mais 53 ou 52 km à partir d’où ? Il est où le point 0 ? Les usages varient puisque les sources d’une rivière ne sont jamais très claires. Il s’avère que le barrage de Chambon est exactement à 53 km d’Arkema par la rivière. Notre hypothèse, outre que le barrage fut pris comme point zéro, est qu’on essaie de bien noyer le « poison »… Qui donc, avec cette hypothèse, est bel et bien déversé à quelques centaines de mètres des champs captants des eaux de Rochefort.