Accueil > Printemps 2025 / N°76

Foncia dans le mur

Panique chez les propriétaires grenoblois ! Après avoir racheté quantité d’agences immobilières de la ville, le groupe Foncia mène une gestion calamiteuse de quantité de copropriétés. Encore une histoire de gros sous et de remplacement des humains par des robots.

C’est toujours marrant de relire les déclarations d’intention passées. Pendant des années, Jacques Reboh a promu son agence Agda immobilier en vantant les vertus de la « proximité ». Ainsi, ce notable grenoblois défendait à longueur d’articles l’autonomie de ses agences locales, avec « des dirigeants et des collaborateurs qui connaissent parfaitement leur environnement local et ses spécificités » : « Les agents immobiliers sont des épiciers de quartier. Le client recherche un commerce de proximité » assurait-il dans Immo matin (19/11/2013).

Aussi, quand après 23 ans de développement de « proximité », Jacques Reboh a décidé début 2022 de revendre son activité au géant de l’immobilier Foncia, il s’est empressé de rassurer ses clients en parlant d’un « projet conforme à nos préconisations, respectueux de notre organisation. (…) L’approche de Foncia est bienveillante et ambitieuse. Elle propose de belles perspectives. » (journaldelagence.com,
22/03/2022)

Trois ans plus tard, les «  belles perspectives  » « bienveillantes » se sont transformées en cauchemar pour les clients de Foncia. Si les locataires ont une certaine habitude d’être maltraités par les agences, les copropriétaires tombent par contre des nues. Sur les forums, les messages en colère s’enchaînent. Exemple parmi tant d’autres de la part de la famille Poletti : « Client historique d’Agda immobilier, (…) rien ne va plus depuis son rachat en 2022 par Foncia. L’appartement libre depuis 4 mois n’a toujours pas été loué. (...) Les accords écrits passés avec Agda n’ont pas été respectés ce qui entraîne pour le propriétaire jusqu’à 45% de frais de gestion par rapport aux revenus (frais CONFISCATOIRES) et pour les locataires des frais importants. Une suggestion, propriétaires et locataires, passez votre chemin pour d’autres agences plus efficaces. »
Les messages désemparés sur la gestion de Foncia débordent des groupes Facebook et autres forums Internet pour arriver aux oreilles du Postillon ou dans les pages du Daubé. C’est Dominique du collectif Malherbe Olympique, habitant dans une copropriété gérée par un petit syndic racheté par Agda puis par Foncia, qui raconte comment Foncia a « oublié » de convoquer l’assemblée générale de sa copropriété, bloquant toutes les décisions. C’est Alice, qui raconte le cauchemar de la gestion d’un sinistre par Foncia (voir encart). C’est l’ancien élu socialiste Denis Pinot qui raconte au Daubé (3/12/2024) comment il est bloqué chez lui parce que Foncia a oublié de payer la facture de téléphonie de l’ascenseur. Partout, on trouve des histoires de retards de plusieurs mois ou années pour leur AG de copropriété, de non-remboursement des trop-perçus (faute d’AG pour les valider), d’erreurs en cascade dans les comptabilités des copropriétés.

Les témoignages ne s’arrêtent pas à l’agglomération grenobloise mais concernent toute la France. Parce qu’en fait Foncia immobilier ne s’est pas contenté de racheter Agda. En septembre 2022, Phillipe Salle, le président du groupe Foncia, annonçait acquérir un cabinet par semaine en France tout en s’implantant à l’international, ceci afin de devenir le « leader mondial des services immobiliers résidentiels  » (journaldelagence.com, 19/09/2022), rien de moins. Localement, les syndics de Vercors Immobilier ou de Valexim (anciennement Boyer Torollion) ont aussi été rachetés par Foncia ces trois dernières années. Un agent immobilier grenoblois raconte : «  Il fallait entendre les patrons de ces agences jurer il y a quelques années qu’ils ne vendraient jamais leur boutique. Mais Foncia est arrivé avec un si gros chèque qu’ils ont tous changé d’avis...  »
L’immobilier est une passion que l’argent peut vite raisonner.

À Grenoble comme ailleurs, le mécontentement est tel que les procédures contre Foncia commencent à obstruer les audiences du juge des référés. Une avocate grenobloise assure : « J’ai au moins quatre procédures par mois contre Foncia. Tout le monde veut partir et cherche un autre syndic… Mais quand les concurrents récupèrent les copropriétés, ils ne transmettent jamais les pièces nécessaires, ce qui est une obligation. J’assigne à longueur de journée pour tenter de les récupérer... »

Pourquoi Foncia gère-t-il si mal ses dossiers tout en continuant à racheter à tour de bras ? Visiblement, la raison est également aussi simple que triviale : l’argent. Foncia, qui est maintenant une filiale de la holding Emeria (anciennement appelée Foncia Group) est avant tout un instrument financier. Le but de ce bazar est donc de faire des bénéfices, pas de satisfaire le pékin moyen, ni les salariés. Devant la dégradation des conditions de travail et le mécontentement grandissant des clients, ces derniers fuient d’ailleurs de la plupart des agences. En février 2023, les salariés de Valexim Bourgoin-Jallieu, passé peu avant sous le pavillon Foncia, avaient fait grève pour dénoncer « de gros problèmes de fonctionnement et de recrutement  ». Une salariée témoignait : « Certains partent, avec parfois vingt ans passés dans la société ! Il y a des burn-outs, des arrêts maladie. La situation est compliquée. Ce sont, nous, les salariés, qui sommes au contact de clients mécontents. On s’interroge sur le maintien de nos postes. » (Le Daubé, 28/02/2023)

Une interrogation effectivement pertinente : Foncia compte se passer de plus en plus de ses salariés. Son ancien PDG Philippe Salle était réputé pour « agir avec autant de finesse envers ses troupes qu’un bulldozer sur un chantier de démolition » (Capital, 15/10/2024). Pendant ses sept années passées à la tête de Foncia (entre 2017 et janvier 2025), ce « patron très technophile » a œuvré à «  automatiser  » un maximum de tâches, notamment via le projet Millenium «  le plus important investissement digital jamais réalisé par un administrateur de biens en France et en Europe. Cette solution globale vise à automatiser l’ensemble des tâches administratives des gestionnaires : réception des factures, relation avec les fournisseurs, quittancement des loyers, appels de charges, etc. » (monimmeuble.com, 2/01/2023) Comme pour la soi-disant « dématérialisation » des services publics, les clients constatent aujourd’hui les conséquences très concrètes du remplacement des humains par les machines.

Ce franc succès, et les milliers de témoignages de clients mécontents, n’ont pas empêché Philippe Salle de prendre récemment du galon, en étant nommé PDG de l’entreprise en perdition Atos «  leader européen du cloud, de la cybersécurité et du supercalcul ». Quant à Jacques Reboh, il a pu, grâce au gros chèque de Foncia, se construire des «  belles perspectives ». En plus de multiplier les mondanités en tant que président des Brûleurs de loups ou de l’agence Grenoble-Alpes, il a monté avec ses deux frangins un «  fond d’investissement et d’ingénierie », baptisé Strey Momy holding (Symy). Il peut ainsi maintenant « accompagner les dirigeants d’entreprises  », bien loin des râleries des petits propriétaires.

Foncia et le (fond du) trou

Alice habite dans une copropriété de la rue Charrel : « L’année dernière, on a eu un dégât des eaux dans notre appartement, qui s’est ajouté à d’anciens sinistres dont on n’avait pas connaissance. Malheureusement, notre plancher déjà très abîmé a fini par céder et tomber chez le voisin du dessous. Quand c’est arrivé, il y avait un trou entre nos deux appartements sur environ un mètre carré, dans le hall d’entrée. Vraiment, on pouvait se passer le sel ! Comme ce sont des gros dégâts sur la structure de l’immeuble, c’est à la copro d’assurer le sinistre. On a les devis et l’accord de l’assurance depuis le printemps 2024, les travaux de consolidation et de reconstruction devaient commencer à l’été 2024… Sauf que depuis, on a eu un changement de gestionnaire chez Foncia, et le nouveau n’a pas trouvé le temps d’organiser une AG extraordinaire pour voter les travaux malgré nos dizaines de relances, et malgré ses engagements successifs à la programmer pour fin octobre, puis mi-décembre, puis fin décembre. Les artisans sont prêts à intervenir depuis 8 mois... Du coup, ça fait un an qu’on attend, le voisin a des étais pour tenir son plafond, et nous on a des plaques d’OSB pour reboucher les trous du sol, un mur branlant qui s’effrite, un réseau d’eau provisoire en apparent, et on a dû déplacer l’évacuation du lave-linge directement dans la baignoire. Début février, on a enfin eu l’AG, le gestionnaire s’est défendu en nous assurant que quand même les choses avançaient, que dans d’autres copro gérées par Foncia il n’y avait pas eu d’AG depuis 2021 alors il fallait relativiser… c’était lunaire ! »